L’activité physique, parent pauvre de la prévention primaire chez les médecins de famille

«Au Québec, on bouge!», lançait il y a quelques années le gouvernement. Dans les faits, le ton est un peu moins enthousiaste: près du tiers de la population est sédentaire, et 37% des adultes sont considérés comme actifs selon la dernière Enquête québécoise sur la santé de la population. Les recommandations officielles sont connues – 300 minutes d’activité physique d'intensité modérée ou 150 minutes d’activité d’intensité élevée par semaine –, mais la promotion de l'activité physique par les médecins de famille reste insuffisante pendant les consultations de routine.C’est ce qui ressort d’une étude dirigée par Suzanne Laberge, professeure à l’École de kinésiologie et des sciences de l’activité physique de l’Université de Montréal (UdeM). «Depuis dix ans, la promotion de l’activité physique s’est accentuée pour quelques conditions comme la dépression, l’arthrose ou encore les lombalgies. En revanche, le nombre de conseils en contexte de prévention primaire ou pour des patients en situation d’obésité a diminué», observe-t-elle. Santé mentale et douleurs musculo-squelettiques privilégiéesAvec deux anciennes étudiantes, Kim Lestage et Véronique Gosselin, ainsi que Miguel Chagnon, statisticien au Département de mathématiques et de statistique de l’UdeM, et Claude Guimond, responsable de la formation continue à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), Suzanne Laberge a analysé la fréquence des conseils donnés en matière d’activité physique par les médecins omnipraticiens du Québec entre 2010 et 2020. Objectif: déterminer l'impact du partenariat avec l'initiative La Grande Marche.Dans le détail donc, la proportion de médecins de famille discutant d’activité physique avec leurs patients est passée de 51 à 73% pour la dépression, de 38 à 51% pour l’arthrose ou encore de 29 à 46% pour les lombalgies. Mais la prescription de sport a diminué pour les personnes en surpoids (de 85 à 80%), et présentant un syndrome métabolique (74 à 69%).À lire aussi: L’activité physique, une alliée incontournable pour la santé de notre cerveauLes résultats sont pourtant là, selon Suzanne Laberge: «les recommandations pour les patients atteints de cancer sont minimes, alors que les effets de l’activité physique sur la maladie sont connus et manifestes dans la littérature scientifique. Elle ne guérit pas le cancer mais va servir de traitement adjuvant, aider à se remettre, freiner la prise de poids, aider au plan psychologique...» De même, l'activité physique est parfois aussi efficace que les antidépresseurs ou les anxiolytiques en termes de santé mentale, assure Claude Guimond.Les médecins manquent de tempsAlors que les médecins de famille sont souvent le premier contact des patients avec le réseau de la santé, comment expliquer que la promotion de l’activité physique en contexte de prévention primaire soit passée de 40% en 2010 à 34% en 2020? «La pratique des médecins de famille est très lourde en termes médico-administratifs», avance Claude Guimond. Les tâches administratives occupent en effet de 20 à 25 % de leur temps selon la FMOQ. Le manque de temps est bien la principale explication de ces résultats, confirme Suzanne Laberge. Avec des consultations durant en moyenne 15 à 20 minutes, difficile en effet de balayer tous les sujets, surtout si le patient est en bonne santé. «On peut avoir tendance à penser que les effets de l’activité physique seront plus payants pour une personne atteinte de dépression, et que l’obésité se traite avant tout par l’alimentation», estime la scientifique. Certaines catégories de médecins sont toutefois plus propices à prodiguer des conseils à leurs patients que d’autres. Suzanne Laberge pointe en effet que les médecins ayant plus de 20 ans de pratique sont cinq fois plus susceptibles de conseiller la pratique de l’activité physique, et les médecins eux-mêmes adeptes de l'activité sportive, trois fois plus susceptibles – une tendance déjà observée il y a dix ans. «Si le médecin est lui-même très actif ou a eu des problèmes de santé, et a pu tirer un bénéfice de l’activité physique, il en parlera plus spontanément à son patient», confirme Claude Guimond. Promouvoir l’interdisciplinaritéSuzanne Laberge se dit surtout préoccupée par le fait que les jeunes médecins «sont moins susceptibles de promouvoir l’activité physique dans leurs consultations de routine». Leur formation comporterait-elle des lacunes sur ce sujet? C’est l’une des pistes privilégiées par Claude Guimond, responsable de la formation continue à la FMOQ, qui réfléchit avec des groupes de travail à prolonger la résidence en médecine de famille à trois ans au lieu de deux actuellement. «Le cursus est lourd, nous sommes avant tout formés pour prendre en charge le curatif. On délaisse l’enseignement de base sur l’alimentation et l’activité physique par manque de temps», regrette-t-il.À lire aussi: Saines habitudes de vie: comment les faire enfin adopter par les patients?S’ils veulent endosser ce rôle de conseil, les médecins de famille s’estiment bien souvent trop peu outillés, et moins experts que les kinésiologues, avec lesquels ils aimeraient davantage collaborer, affirment 72% des répondants en 2020, contre 62% en 2010. Bien que les kinésiologues soient de plus en plus nombreux dans la province – leur Fédération compte à ce jour 1800 membres dont 1200 accrédités –, seuls 25% d’entre eux pratiquent au sein du réseau de la santé. À ce jour, 50 GMF sur les 300 que compte le Québec ont intégré au moins un kinésiologue dans leur effectif. «Leur présence au sein des GMF semble faire ses preuves, observe Claude Guimond. Mais il en faut plus, car on ne peut pas tout faire reposer sur les épaules des médecins de famille, et obliger les patients à aller dans le privé. Davantage de kinésiologues inciterait les médecins à leur référer des patients, les équipes de soins à s’emparer de ces sujets et les patients à pratiquer l'auto-soin.»

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