La Vérificatrice générale dénonce les ententes entre le MSSS et les fédérations médicales

Pas besoin d’attendre les résultats des études demandées par le Commissaire à la santé sur la rémunération des médecins pour comprendre que Québec a perdu le contrôle. Le rapport de la Vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, rendu public jeudi matin, est dévastateur à ce sujet.Son rapport comprend cinq chapitres, dont trois sont consacrés aux coûts liés au système de santé:- Rémunération des médecins: conception et suivi des ententes (chapitre 2)- Rémunération des médecins: administration et contrôle (chapitre 3)- Équipements médicaux (chapitre 4)Concernant la conception et du suivi des ententes, on apprend que non seulement les économies potentielles prévues par l’étalement accordé par les fédérations ne se concrétiseront pas à moyen terme, mais que les enveloppes budgétaires dépassent de plus de 400 millions de dollars ce qui avait été prévu. Il est à noter qu’avec 384 M$, ce sont les spécialistes qui ont facturé la quasi-totalité de cette somme.Clause particulièreÀ la base, cette augmentation résulte d’une erreur d’évaluation de l’évolution de la pratique médicale. Mais aussi du fait qu’il a été impossible de réajuster le tir. Une clause particulière de l’entente des spécialistes précise en effet «qu’un dépassement de l’enveloppe budgétaire globale ne peut compromettre les augmentations salariales prévues».Enfin, Québec serait mieux de bannir définitivement toute idée de faire pencher la pratique des médecins dans un sens via des incitatifs tel qu’ils sont négociés actuellement, car quand le MSSS en accorde, il semblerait que ce soit sans cible à atteindre ni conditions à respecter. Dans le rapport, il appert même que certains incitatifs ont des seuils tellement bas que les médecins peuvent avoir droit au boni sans vraiment changer leur pratique.À titre d’exemple, la Vérificatrice générale rappelle que le MSSS a accordé une compensation pour frais de cabinet afin d’améliorer l’accès de la population aux services de première ligne. En accordant une somme forfaitaire annuelle moyenne d’environ 6 400 $ par médecin, le ministère espérait que les médecins seraient plus nombreux à exercer en cabinet. Le MSSS voulait mettre 20 M$ pour y arriver, la FMOQ en réclamait plutôt 30, qui lui ont été accordés en attendant qu’une firme indépendante puisse évaluer si cette estimation était basée sur des coûts réels. Pas de chance, trop peu de médecins ont accepté de participer à l’étude qui n’a donc jamais été réalisée. Et le MSSS continue de payer chaque année 30 M$ sans savoir si les frais de cabinet sont financés à leur juste valeur.FiascoLe supplément accordé au volume de patients inscrits est aussi décrit comme un fiasco. Pour inciter les médecins «à augmenter la prise en charge de leurs patients, le MSSS voulait initialement établir un taux cible de 80 %. Après négociation avec la FMOQ, le taux initial a été fixé à 61 % pour l’année 2012», peut-on lire dans le rapport de la Vérificatrice. Or, à ce taux, poursuit-elle, presque la totalité des médecins atteignaient déjà la cible et pouvaient ainsi recevoir le supplément au volume de patients inscrits. En outre, alors que ce seuil devait augmenter de 5 % chaque année jusqu’en 2016, en 2014, il est resté à 61 %, même si cette année-là, 99 % des médecins l’atteignaient déjà.Entre 2010 et 2015, plus de la moitié des augmentations salariales des médecins omnipraticiens étaient consacrées à des mesures incitatives, et 40 % pour les médecins spécialistes. La preuve que les augmentations accordées aux médecins l’ont été en bonne partie pour améliorer l’accessibilité. Pourtant, elles ont surtout servi à gonfler l’enveloppe budgétaire globale des médecins.La quasi-totalité des mesures incitatives que la Vérificatrice générale a fait analyser n’étaient accompagnées d'aucune cible ni d'aucun indicateur permettant d'évaluer leur efficacité. «De plus, lorsque les résultats obtenus montrent peu ou pas d'amélioration dans la prestation de services, les actions entreprises par le MSSS pour corriger la situation sont insuffisantes», résume-t-elle.Et cela, sans parler des coûts engendrés par tous ces changements pour mettre à jour les systèmes informatiques, par exemple, ou des complications qu’ils ont provoquées dans la facturation. En 2013-2014, le centre d’appels de la RAMQ a dû répondre à plus de 63 000 demandes de renseignements concernant la rémunération des 20 883 médecins.Suite à la page 2La Vérificatrice générale était chargée de vérifier si Québec avait pris les moyens pour s’assurer que les ententes prises avec les fédérations médicales conduisent à «une gestion efficace et efficiente de la rémunération des médecins». Elle devait aussi s'assurer qu'il soit mis en place un suivi approprié pour vérifier si ces ententes sont bien appliquées et conduisent aux résultats voulus. Force lui a été de constater que ce n’est pas le cas.Le diagnostic est donc alarmant. Reste à savoir si les recommandations de la Vérificatrice générale pourront inverser la tangente.Elle recommande donc de:- revoir le mode de gestion des enveloppes budgétaires globales pour qu’elles soient plus économiques et transparentes;- s’assurer d’avoir les outils nécessaires pour justifier les augmentations salariales basées sur le rattrapage salarial des médecins du Québec par rapport à ceux des autres provinces canadiennes. Des comités devaient notamment être créés à cet effet dès 2011, mais ils n’existent toujours pas;- définir des paramètres d’application des mesures incitatives et d’inscrire ces mesures dans une stratégie globale, afin de favoriser une efficacité et une efficience accrues des médecins.- déterminer des cibles et des indicateurs pour l’ensemble des mesures incitatives, tout en faisant un suivi rigoureux de ceux-ci. Avec bien sûr aussi à la clé des actions correctives lorsque les résultats ne suivent pas;- tenir compte davantage de la complexité d’application des modalités de rémunération convenues avec les fédérations médicales, des coûts de développement des systèmes informatiques et des délais d’implantation de ces modalités dans les systèmes.Les médecins se défendent• La FMOQLa Fédération des médecins omnipraticiens du Québec n’a évidemment pas apprécié ce rapport. Selon elle, et contrairement à ce que dit avoir constaté la Vérificatrice générale, la plupart des mesures mises en place à ce jour «ont bel et bien donné des résultats probants sur le plan de l’efficience et de l’accessibilité aux soins». Selon la FMOQ, si on a modifié en cours de route les incitatifs à l’inscription et à la prise en charge, ce n’est pas parce qu’ils ont coûté beaucoup plus cher que prévu, et ce pour un impact somme toute minime sur les clientèles les plus vulnérables, mais plutôt parce qu’ils ont «tellement bien fonctionné qu’ils ont été modifiés en cours de route afin d’en limiter les coûts et la portée!» Depuis 2012, les médecins de famille ont en effet inscrit 1 602 783 nouveaux patients.La FMOQ relativise aussi le dépassement de 32,7 M$ qui concerne les médecins omnipraticiens. Ce dépassement, qui correspond à des services supplémentaires, «équivaut à une minime marge d’erreur de 0,3 %» quand on le remet en contexte, à savoir une enveloppe totalisant 10,6 milliards $ sur cinq ans.Enfin, si les mesures se sont avérées moins probantes que prévu sur le terrain, ce serait «indépendamment de la volonté des médecins omnipraticiens» qui ont dû composer avec le retard de plusieurs mesures qui «ont tardé à être mises en place en raison de certains choix du gouvernement».• La FMSQ De son côté, la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) met en cause la méthodologie du bureau du Vérificateur général du Québec. «Sur les quelque 6000 heures de vérifications effectuées à la réalisation de cet exercice, seulement deux heures ont été consacrées par l'équipe du Vérificateur à une rencontre avec les représentants de la Fédération, le 3 novembre dernier», a ainsi choisi de commenter la présidente de la FMSQ, la Dre Diane Francœur.Dans une réaction préliminaire, la FMSQ rappelle que le gouvernement voulait repousser les échéances de décaissement sur une période additionnelle de sept ans. «C'est ce que voulait le gouvernement, et c'est ce qu'il a obtenu.» Selon elle, il n’a jamais été question de faire des économies.Quant à la question de la sous-estimation des changements de pratique des médecins spécialistes qui ont entraîné un surplus de 384 M$, c’est une erreur du MSSS et on ne peut donc en blâmer les médecins spécialistes. Au contraire, selon la Dre Francœur, dès 2008, la FMSQ demandait au ministère de la Santé d'établir l'évolution de pratique à 2,5 %. Pour la FMSQ, «cet excédent de dépenses a été utilisé pour des services à la population» et ne reflète que sa «productivité accrue».Tout comme son collègue, le Dr Louis Godin, président de la FMOQ, la Dre Francœur tout en disant respecter le travail de la Vérificatrice regrette ce qu’elle qualifie d’analyse «strictement comptable».

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