La vaccination contre la grippe A (H1N1) et le Code de déontologie

Un médecin qui entretient toujours des craintes à l’égard de la vaccination et qui suggère à ses patients de ne pas recevoir le vaccin enfreint-il son Code de déontologie ? Cette question, entre autres, nous l’avons posée au secrétaire du Collège, le Dr Yves Robert.En plus de son rôle au Collège, le Dr Robert a travaillé par le passé à la planification des programmes de lutte contre la pandémie d’influenza. Il a été coprésident national du premier plan de pandémie canadien contre l’influenza publié au début des années 2000. Il a aussi travaillé sur la préparation de la campagne d’immunisation contre l’influenza. C’est donc un dossier, et un adversaire, qu’il connaît bien.Le Collège a-t-il subi des pressions de la part du ministère de la Santé afin d’inciter ses membres à adhérer à la vaccination ?D’aucune manière. Notre position à l’égard de la vaccination est purement scientifique. Pour l’heure, la vaccination est le seul moyen efficace pour prévenir la morbidité et la mortalité associées à l’influenza H1N1. C’est fondé scientifiquement. Il n’y a pas de raisons de ne pas recommander la vaccination. Nous sommes aujourd’hui en face d’un rendez-vous historique.Que voulez-vous dire ?C’est la première pandémie contre laquelle nous avons des outils, vaccins et antiviraux, pour réduire les effets morbides et mortels. En 1918, en 1957 et en 1968, nous n’avions rien. J’étais présent au milieu des années 1990 quand il a été décidé de développer une capacité de produire localement suffisamment de vaccins pour l’ensemble de la population canadienne. Le but était d’éviter la répétition des événements survenus en 1976 avec la grippe porcine quand les vaccins expédiés au Canada avaient été rappelés aux États-Unis pour vacciner 50 millions d’Américains. Aujourd’hui, nous avons donc une capacité de production locale.Des médecins ont recommandé à la population, sur la place publique, de ne pas se faire vacciner. Ces déclarations ont-elles préoccupé le Collège ?Nous suivons cela de près. Nous sommes toujours préoccupés par les sorties publiques de médecins qui pourraient ne pas se conformer aux données de la science. Une des obligations déontologiques des médecins est d’exercer selon les principes scientifiques. Ça me préoccupe personnellement dans la mesure où tous les médecins n’ont pas la même formation et la même compétence dans le domaine de l’immunisation et de l’influenza. Le message que j’aurais à leur transmettre est le suivant : quand vous ne connaissez pas ces deux domaines, fermez-la ! C’est valable pour tout sujet que vous ne connaissez pas. Renseignez-vous aux bons endroits, des sources comme le New England Journal of Medecine et l’Institute of Medicine. Beaucoup d’informations négatives ont circulé sur Internet au sujet de la valeur du vaccin. On a même vu « la mère d’un cardiologue » se prononcer sur le sujet !C’est une autre première autour de cette pandémie. Tous les pays n’ont pas nécessairement produit des vaccins identiques. Sur le plan de la production, l’Europe a devancé l’Amérique du Nord de quelques semaines. Il a donc circulé sur Internet des informations sur la nature des vaccins utilisés là-bas avant l’Amérique. Les informations transmises et largement discutées en Grande-Bretagne et en France en particulier ont fait l’objet d’un débat qui a traversé en Amérique du Nord. Mais que pouvions-nous répondre quand nous ne savions même pas quels seraient les vaccins que nous allions avoir ici et qui sont différents de ceux utilisés en Europe ? Pour une question de brevets, les adjuvants ne sont pas tout à fait les mêmes. Ils ont le MS59, nous le AS03.Internet s’est donc révélé plus rapide que la grippe.C’est exactement cela. Le débat s’y est répandu plus vite que la pandémie. Beaucoup d’informations y ont circulé avant même que nous ayions les données pour faire un débat intelligent et fondé sur la science. On ne peut pas contrôler ce qui se dit sur Internet, c’est exponentiel et ça devient délirant. Mais autant Internet peut être un ennemi, autant il peut être un allié. Pour le Collège, j’ai mis une vidéo sur You Tube pour appuyer la campagne de vaccination. En une semaine, il y a eu 125 000 visionnements (277 286 en date du 2 novembre). La guérilla se livre donc sur le même terrain.Que répondez-vous aux médecins qui se croient privés de leur jugement clinique face à la vaccination ?Je dirais : allez aux bonnes sources d’information pour être capable d’alimenter et de développer votre jugement. Les bonnes sources d’information, ce n’est pas une personne en particulier, mais les données scientifiques et on les trouve dans des revues révisées par des pairs. Il faut constamment revenir aux bases. Qu’on en discute entre nous, je n’ai aucun problème avec cela. Mais qu’on ne fasse pas l’effort de revenir aux sources de la science, c’est là que j’ai un problème. Si tu veux émettre un jugement, tu as le devoir de prendre le temps d’aller aux sources scientifiques.Revenons à la question de fond. En vertu de leur Code de déontologie, les médecins sont-ils tenus de dire à leurs patients : faites-vous vacciner ?Ce n’est pas écrit ainsi dans le Code et ce n’est pas comme cela qu’on va l’interpréter. Qu’un médecin recommande à un patient de ne pas se faire vacciner parce que celui-ci présente des contre-indications et qu’il est capable de justifier sa décision scientifiquement et médicalement, il n’y a jamais de problèmes. Mais de dire « ne vous faites pas vacciner parce que moi je ne crois pas aux vaccins », c’est autre chose. Ce n’est pas cela qui est écrit dans le Code. Un médecin est tenu de suivre les données probantes de la science.À l’avenir, des médecins pourraient-ils être inquiétés par le Collège s’il est démontré qu’ils ont dit clairement à leurs patients sur la base de leurs propres croyances : ne vous faites pas vacciner ?Au milieu des années 1990, une médecin, Guylaine Lanctôt, avait écrit un livre, La mafia médicale. Non seulement elle a été radiée mais également décertifiée. C’était le premier cas dans l’histoire du Collège des médecins, mais c’était un cas excessif. Face à la pandémie actuelle, les médecins sont généralement en faveur de l’immunisation. Certains peuvent avoir des réserves par manque d’informations, mais on ne les poursuivra pas pour les amener en discipline. Ce qu’on dit, c’est qu’avant de faire des déclarations publiques ou des recommandations à leurs patients, basez-vous sur les données de la science. C’est vrai pour l’immunisation et c’est vrai pour tous les domaines. Un médecin qui ne suit pas les recommandations de la science peut s’exposer à se faire interroger par le Collège.Les craintes à l’égard du syndrome de Guillain-Barré sont-elles fondées ?Malgré les assurances, des médecins craignent que le vaccin ne provoque le syndrome de Guillain-Barré.C’est un problème d’information. En 1976, quand le président Gerald Ford a fait vacciner 50 millions d’Américains, il est survenu 13 ou 14 cas de plus qu’il n’aurait dû se produire normalement. Le lien causal entre la vaccination et le syndrome de Guillain-Barré n’a jamais été démontré. Il ne faut pas oublier que l’augmentation de l’incidence du syndrome de Guillain-Barré n’est survenue qu’en 1976 et que cela ne n’est jamais reproduit en dépit des millions de doses de vaccins contre l’influenza qui ont été données par la suite.Existe-t-il toujours une possibilité, même minime, de risques du syndrome ?En 1976, il s’agissait de la première génération de vaccins contre l’influenza. À l’époque, les techniques de production étaient différentes. On avait un vaccin tué complet parce qu’on ne savait pas quelles étaient les portions du virus utiles à l’immunisation. C’était aussi un vaccin sans adjuvant. Depuis le début des années 2000, nous avons des vaccins tués et fragmentés où l’on ne conserve que la portion utile à l’immunité. Cela fait en sorte qu’on expose le patient à moins d’antigènes inutiles qui auraient pu être un des éléments associables, si cela avait été le cas, à un syndrome de Guillain-Barré. Il faut être prudent dans les conclusions. Peut-on observer un syndrome de Guillain-Barré après une immunisation ? La réponse est oui. Est-elle causée par l’immunisation ? Pas nécessairement parce qu’il peut s’être passé bien d’autres choses après cette immunisation.Doit-on s’étonner que des médecins ne soient pas totalement à jour en matière d’immunisation ?Non, parce que c’est un milieu en explosion. J’ai travaillé dans ce domaine pendant 22 ans. Le nombre de nouveaux produits, de nouvelles présentations d’anciens produits et le développement de nouvelles technologies de production de vaccins ont explosé entre 1980 et aujourd’hui. Se tenir à jour dans le domaine de la vaccination est un travail à temps complet. Je comprends très bien que mes collègues ne puissent pas être au fait des toutes dernières innovations en matière d’immunisation. C’est la raison pour laquelle j’interprète leurs appréhensions comme une demande d’informations additionnelles que nous nous devons de leur transmettre.

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