La tyrannie du dossier

Cela fait 28 ans que je pratique en hôpital et je n’avais pas réalisé à quel point j’étais à la merci du dossier. Je ne parle pas du dossier antérieur non numérisé (lui, ça fait très longtemps qu’il devrait avoir disparu). Non, je veux parler du dossier-papier actif lorsque je travaille à l’hôpital. J’ai besoin de tenir le dossier pour le consulter avant de voir mon patient, idéalement pendant la consultation dans la chambre du patient (mais ça, c’était avant le temps de la COVID) et, bien sûr, après, pour enfin écrire ma note. Première étape: trouver le dossier. «Ah, la patiente du 203? Le dossier est à l’autre poste…» Deuxième étape: saisir le dossier, sans l’arracher des mains de l’infirmière, du pharmacien, du résident, etc. On négocie: «Est-ce je peux juste prendre ma note, la note d’évolution, de consultation ou autre?» Bref, on éparpille le dossier… Troisième étape: trouver un endroit moyennement confortable pour le consulter sans être dérangé. C’est parfois tout un défi. Quatrième étape: prier que les documents soient bien dans le dossier et classés au bon endroit. L’ordre des séparateurs est souvent aléatoire et consulter un dossier signifie: feuilleter et refeuilleter, encore et encore… En cas d'inquiétude: Si je suis inquiète pour mon patient, j’appelle l’infirmière de l’étage pour avoir des nouvelles. Après avoir probablement abandonné le patient dont elle s’occupait pour répondre à mon appel, elle se met à la recherche du dossier, le trouve finalement, et me donne des nouvelles ou tente de déchiffrer les notes et les ordonnances du consultant. Avant de quitter l’hôpital: Je veux m’assurer que mon patient est stable, qu’il a bien passé tous les tests prescrits. Je veux aussi lire les notes de consultation. Hop! Une nouvelle promenade vers le département. Et je me remets à la quête du dossier, et, lorsque je l’ai trouvé, je prie que les résultats y soient classés. Parfois, je l’avoue – mea culpa –, je dérange encore l’infirmière pour qu’elle me donne des nouvelles. Je réalise à quel point on a plus souvent besoin de consulter le dossier que de voir le patient. En fait, plusieurs personnes consultent le dossier uniquement, les pharmaciens, notamment.

La tyrannie du dossier

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