La technologie pour s’extirper de la paperasse médicale

Lors de de l’événement Première ligne en santé 2024, qui se déroulait les 2 et 3 mai à Montréal, plusieurs conférences ont porté sur l'utilisation des plus récentes innovations technologiques pour faciliter le travail clinique, mais aussi afin d'alléger la charge administrative.« Les médecins canadiens passent 18 millions d’heures à faire de l’administration, à ne pas voir de patients, à faire de la paperasse», a déclaré le Dr Jean-Joseph Condé, médecin de famille et porte-parole du conseil d’administration de l’Association médicale canadienne (AMC), citant les résultats d’un rapport publié en 2023 par la Fédération canadienne des entreprises indépendantes. «C’est 55 millions de Canadiens qui auraient pu avoir une rencontre avec un médecin, s’il n’était pas pris à faire de la paperasse», s'est-il indigné. Des changements doivent donc être apportés au système de santé déjà surchargé afin de surmonter les obstacles additionnels causés par cette charge administrative superflue. Le coup de pouce de la pandémieS’il y a une chose que la pandémie nous a apportée, c’est la réalisation qu’on peut travailler à distance. Pourquoi ne pas faire usage de la télémédecine en cas d’urgence ou simplement pour faciliter l’accessibilité aux soins? C’est ce qu’a demandé le Dr Richard Fleet, médecin clinicien et enseignant titulaire à l’Université Laval.«Le but serait de laisser la possibilité au patient de rester chez lui au lieu d’aller à l’hôpital» a expliqué Gaétan Lévesque, analyste informatique en télésanté au CISSS du Bas-Saint-Laurent. Intégrer la télémédecine au système actuel permettrait d'élargir l'offre de suivis qui ne requièrent pas nécessairement des consultations en personne. Ces suivis à distance pourraient contribuer à désengorger les cliniques et les urgences, selon Philippe Chartrand, pharmacien et PDG d’Empego, une entreprise qui a développé une plateforme permettant aux pharmaciens communautaires d’optimiser l'utilisation des ressources en pharmacie.À lire aussi: Intelligence artificielle: Vitr.ai implanté dans une première clinique médicaleEn plus d’être particulièrement pratique pour les personnes vivant en milieu rural, en leur évitant notamment des déplacements inutiles, la télémédecine faciliterait la prise en charge de patients aux prises avec une maladie chronique, telle que l’hypertension artérielle.Philippe Chartrand a souligné que des suivis réguliers à distance permettraient de détecter et de prévenir les urgences avant qu'elles ne se produisent.Aller à l’urgence pour un mal qui pourrait être réglé en pharmacie ou en clinique «est un symptôme d’une première ligne défectueuse», a renchéri le pharmacien Alexandre Chagnon, fondateur de Vitr.ai. L’interopérabilité dans un monde où les fax sont roisMalgré les avancées continues en intelligence artificielle (IA) et les mises à jour des programmes informatiques, le système de santé peine cependant à se départir de sa dépendance au fax.«La semaine dernière, j’ai un patient à qui j'ai prescrit une coloscopie, a raconté le Dr Jean-Joseph Condé, médecin de famille à Val-d’Or. Je prescris ce test-là il y a trois mois, je le fais sur mon DMÉ et ça part à l’hôpital.» Il reçoit une confirmation de l’envoi de sa demande et avise son patient qu’il recevra un appel concernant la coloscopie dans les 60 jours à venir.Or, trois mois plus tard, le Dr Condé revoit son patient, qui lui confie ne pas avoir été contacté par l’hôpital. Malgré la confirmation reçue dans le système après avoir soumis la demande, l’hôpital n’a jamais reçu la demande qui avait supposément été faxée. Cette situation n’est pas unique.«Il y a actuellement un problème de sécurité, a admis le Dr Condé. Il y a des fax qui se perdent. Il y en a qui ne se rendent pas à destination. Ça nous pose un énorme problème de qualité des soins.» Une bonne communication doit être basée sur l’interopérabilité des systèmes utilisés dans les divers acteurs du système de santé – et cette interopérabilité n'est pas encore établie. À lire aussi: Utiliser l’intelligence artificielle pour déchiffrer l’écriture des médecins?«Il y a des technologies sécurisées et homologues pour transférer des informations des plus sensibles,» a confirmé Frédéric Simard, cofondateur de MedHelper, site web et application mobile permettant aux professionnels de la santé d’optimiser le partage d’informations avec leurs patients.«Pour améliorer l’accessibilité, il faut augmenter l’efficacité [des professionnels de la santé], et pour augmenter l’efficacité, il va falloir qu’on investisse en technologie, a poursuivi le Dr Condé. Sinon, on s’en va dans un mur.» En effet, selon l’Institut national de santé publique du Québec, la population québécoise vieillit, et, conséquemment, expérience un plus grand taux de problèmes de santé et de comorbidités. «Ça va demander de l’orchestration qui vient d’en haut» a conclu Frédéric Simard.Quelles sont ces technologies qui pourraient faciliter la tâche?Certaines technologies sont déjà disponibles: MedHelper, CoeurWay, MapIT, pour n’en nommer que quelques-unes, et sont utilisées dans certains groupes de médecine familiale (GMF).Certaines normes sont aussi déjà en place, telle que la HL7, soit la norme internationale actuelle pour tout ce qui touche à l’échange de données entre différents établissements de la santé. SMART on FHIR (Fast Healthcare Interoperability Resources) est une interface de programmation d’application (IPA) à code source libre permettant à des systèmes et applications d’origines variées de communiquer entre eux.En 2023, deux provinces canadiennes, l’Ontario et la Colombie-Britannique, ont ajouté SMART on FHIR à leur boîte d’outils administratifs.Avant cette implémentation, le Dr Ian Becker, médecin gériatrique de Vancouver, a témoigné de la frustration générée par l’utilisation des formulaires papiers: si le mauvais formulaire était rempli par mégarde, il fallait retourner dans le système pour trouver le formulaire approprié, le remplir à nouveau, le numériser pour l’ajouter au DMÉ et finalement le renvoyer. Et comme le Dr Condé a attesté durant le congrès, aucune confirmation de réception n’est communiquée à l’expéditeur.Dans les deux provinces, des médecins ont été consultés quant à l’intégration de SMART on FHIR à leurs système, afin d’assurer que le produit final corresponde à leurs besoins. «Il est nécessaire d’obtenir ces commentaires rétroactifs, a établi Chris Mota, premier gestionnaire de la technologie chez OntarioMD. Chaque département va avoir ses propres nuances et des besoins différents.»Les données comprises dans ces formulaires devraient être intégrées dans un système afin de les rendre accessible aux professionnels de santé de divers établissements, selon Andrew King, directeur de la technologie chez OntarioMD. Pourquoi ne pas partager les formulaires en format PDF? «Nous ne voulons pas des PDFs, nous voulons les données», a-t-il affirmé. Les PDFs contiennent les informations de manière statique, et ces informations ne peuvent pas être extraites pour des usages ultérieurs. Par exemple, ces données pourraient être reprises par un autre établissement visité par le patient et être mises à jour, sans avoir à passer par l’intermédiaire d’un communiqué par fax destiné au médecin ayant originalement créé ces données dans le système.À lire aussi: Comment l'intelligence artificielle va faire progresser les soins de santé en 2024, selon les expertsL’intelligence artificielle (IA) est un autre outil qui a un grand potentiel dans le monde de la santé. «Les outils d’IA deviennent un co-pilote», a expliqué Marc-André Lépine, stratège technologique chez Microsoft au secteur de la santé de l’Est du Canada. L’IA générative pourrait justement alléger la charge administrative des professionnels de la santé.La plateforme DAX Copilot, résultant du partenariat de Microsoft et Nuance, permet justement aux médecins de mettre leur focus davantage sur leur patient que sur la paperasse qui est normalement de mise avec chaque consultation. Cette IA devient un assistant qui écoute la conversation durant la consultation et prend des notes de manière organisée. Le médecin n’a qu’à réviser la note clinique et modifier certains aspects au besoin avant de soumettre le tout. Cette technologie IA peut être adaptée à plusieurs situations, incluant les services téléphoniques ou de clavardage qui sont présentement effectués par des employés du système de santé. En fournissant à l’IA les données requises pour répondre aux questions les plus communes, ces employés pourraient donc se concentrer sur les requêtes plus complexes requérant une attention particulière.Évidemment, il est possible et recommandé d’intégrer des dispositifs de sécurité, particulièrement dans un contexte où des données confidentielles sont présentes. De plus, les patients qui communiqueraient avec une IA générative pour obtenir de l’information quant à leur état de santé pourraient ne pas le faire de bonne foi. L’IA peut être programmée de manière à reconnaître certaines intentions et émotions chez son interlocuteur. Elle peut donc choisir de ne pas répondre à la question et de diriger le patient à un professionnel de la santé.«Il y a tellement d’avantages possibles [avec l’IA en santé], qu’il faut faire attention quand on va mettre des barrières de ne pas empêcher d’en avoir les bénéfices» a averti Luc Sirois, innovateur en chef du Québec. «J’ai toujours pensé que l’hôpital de demain, c’est un hôpital vert et un hôpital très zen, avec une belle relation avec la technologie», a confié Ann Nguyen , directrice responsable de l’IA au Conseil de l’innovation du Québec. Cette relation avec la technologie permettrait justement au praticien de consacrer plus de temps et d’énergie au patient, pour établir une meilleure relation et optimiser son temps.

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