La mort de Joyce Echaquan et le silence des autres : «Est-ce que j’aurais fait différemment?» s’interroge un médecin

L’anesthésiologiste Louis-Philippe FortierLe sort dramatique et révoltant de Joyce Echaquan, mère de famille atikamekw de 37 ans décédée dans des circonstances nébuleuses à l’hôpital de Joliette le 28 septembre après avoir subi des propos racistes de la part d’une infirmière et d’une préposée, secoue encore le monde médical.«C’est quelque chose qui m’a beaucoup attristé. Il n’y a pas de façon de décrire à quel point c’est bouleversant pour quelqu’un qui passe sa carrière à s’occuper de gens malades d’entendre des nouvelles de ce genre», a confié le Dr Louis-Philippe Fortier, anesthésiologiste à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, dans une entrevue à ProfessionSanté.ca où il a lui-même tenu à aborder cette affaire.Le Dr Stanley Vollant, chirurgien d’origine amérindienne, a parlé de «meurtre au second degré» et prétend qu’il y a eu des dizaines de morts provoquées par du racisme systémique au Québec, et des centaines au Canada.Troublé par le méprisL’aspect qui a le plus troublé le Dr Fortier dans cette histoire, c’est le mépris. Médecin, chef du département d’anesthésiologie depuis 14 ans et désormais patron de toutes les activités péri-opératoires à HMR, c’est son quotidien, insiste-t-il, de ne jamais avoir de mépris envers les patients.À lire aussi: À quoi ressemble le racisme dans la médecine canadienne?«Quand je vois des gens qui se conduisent de cette manière, ça me perturbe beaucoup, commente-t-il. C’est l’essence de ce que l’on fait. On peut avoir de mauvaises journées, être challengé par des situations où des patients sont très difficiles, mais nos réactions ne peuvent jamais être conduites par du mépris.»Faire différemment?Cette affaire a été discutée entre des médecins de Maisonneuve-Rosemont estomaqués par les événements. Le Dr Fortier a indiqué que des personnes se trouvaient près de l’infirmière et de la préposée et n’auraient rien dit, ni rien fait.«Ma première réaction comme être humain par rapport à une situation comme celle-là n’est pas d’accuser les gens et de lancer une pierre. Je me pose plutôt la question : Est-ce que moi, j’aurais fait différemment? Est-ce que j’aurais eu à ce moment la fortitude de prendre des mesures actives et de dire à des membres de ce groupe : "Toi, tu t’éloignes de ce patient et tu ne lui parles plus." Je pense que c’est ce que j’aurais fait, du moins j’ose espérer que ça aurait été ma réaction. On s’occupe du patient d’abord et de la source de la problématique par la suite.»L’anesthésiologiste voit dans le cas de Joyce Echaquan un cas aussi fort que celui de George Floyd aux États-Unis. «On a toujours la présomption de penser qu’on est meilleur et que ça ne peut pas nous arriver. Cet épisode démontre clairement qu’il y a un potentiel pour ce déraillement au Québec et qu’on ne peut pas faire l’autruche.»Impacts sur l’enseignementLe Dr Fortier affirme que cette affaire aura des impacts dans l’enseignement de sa propre spécialité. Au département d’anesthésiologie de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, précise-t-il, trois médecins sont des spécialistes de l’enseignement médical et une quatrième a fait une surspécialisation dans ce domaine.«C’est sûr, croit-il, que le décès de cette dame atikamekw va provoquer un questionnement sur l’enseignement et ce que l’on peut adopter comme mesures pour bien éduquer les résidents et en faire des thérapeutes qui possèdent toutes les qualités nécessaires pour faire correctement leurs tâches, entre autres, avoir de l’empathie.»Un cas qui n’est pas uniqueDans une entrevue accordée au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières, Reginald Echaquan, un cousin de la victime, a affirmé que le drame était loin d’être unique en son genre et qu’il y a de graves problèmes à l’hôpital de Joliette. «On a déjà fait des plaintes écrites, on n’a jamais eu de retour. On n’était pas entendu et on ne voulait pas nous entendre», a-t-il affirmé au journal.La Dre Pascale Breault, une médecin de famille qui pratique auprès des Atikamekws, a indiqué dans une lettre ouverte qu’elle se souvenait, lors de consultations au dispensaire de Manawan, de dizaines de conversations avec des patients et des familles qui la suppliaient de ne pas «être descendus» à Joliette par peur des soins, de l’accueil, de ne pas être compris, de ne pas être entendus ou d’être dénigrés. Aujourd’hui, elle se sent ébranlée de ne pas avoir cru les victimes.Silence du CMDP de JolietteProfessionSante.ca a expédié un message écrit au président du CMDP de l’hôpital de Joliette, le Dr Jérôme Olivier, afin de connaître sa réaction et celle des médecins et pharmaciens de l’établissement deux semaines après le décès de Joyce Echaquan et des impacts de sa mort sur les professionnels de la santé de l’hôpital et les soins cliniques aux membres des communautés. Au moment de publier, nous n’avions pas reçu de réponse.

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