La mélatonine est-elle la bonne solution? Guide du pharmacien sur l'utilisation de la mélatonine chez les enfants

Un membre de ma famille a récemment raconté que son amie donnait 10 mg de mélatonine chaque soir à son enfant scolarisé au primaire, sans aucun avis médical. Lorsque les doses plus faibles ne fonctionnaient pas, les parents continuaient de les augmenter, sans succès. Ne sachant pas quoi essayer d'autre, ils continuaient d'augmenter, espérant que cela finirait par fonctionner. Des situations similaires se produisent quotidiennement dans les foyers, se terminant souvent par une crise silencieuse au rayon des médicaments en vente libre de la pharmacie communautaire.Si cela se produit dans une famille, combien d'autres familles de nos communautés pourraient être dans la même situation? Pas de prescripteur. Pas de conseils professionnels. Juste une escalade aveugle.En tant que pharmaciens, nous constatons que la mélatonine s'envole de nos rayons, mais derrière ces délicieuses gommes et ces promesses irrésistibles d'un meilleur sommeil se cache une question plus importante: quand la mélatonine est-elle vraiment adaptée aux enfants, et quand devrions-nous rechercher plus en profondeur d'autres causes à leurs troubles du sommeil?Sur le même thème: MVL: quelques conseils sur les 10 produits les plus vendus en pharmacieDans cet article, nous allons décortiquer les preuves cliniques et les conversations que nous devrions avoir avec les familles au sujet de l’insomnie pédiatrique.Au-delà des difficultés du coucher: le coût des troubles chroniques du sommeil chez les enfantsPeu de situations poussent les parents à rechercher des solutions rapides et faciles que de voir leur enfant lutter nuit après nuit pour s'endormir. L'insomnie touche jusqu'à un quart des enfants en bonne santé et jusqu'aux trois quarts de ceux atteints de troubles neurodéveloppementaux ou psychiatriques, ce qui en fait l'un des troubles du sommeil pédiatriques les plus fréquents1. Lorsque l'insomnie devient chronique dans cette tranche d'âge, elle peut altérer significativement le développement cognitif, émotionnel, comportemental et physique des jeunes enfants et des adolescents.Savoir quand il ne s'agit pas seulement de troubles du sommeilPar définition, l'insomnie pédiatrique se caractérise par une difficulté persistante à initier, maintenir ou obtenir un sommeil réparateur malgré des opportunités et des conditions appropriées, ce qui entraîne une altération fonctionnelle diurne pour l'enfant et sa famille2.Avant de recommander un traitement ou un complément alimentaire, les pharmaciens doivent d'abord évaluer les signes avant-coureurs suivants, susceptibles d'indiquer une affection médicale sous-jacente nécessitant une consultation chez un médecin.Signes avant-coureurs et affections associées potentielles justifiant une consultation:Somnicité diurne importante → possible apnée du sommeil, carence en fer ou autres causes médicales d'hypersomnolence;Ronflement ou respiration anormale pendant le sommeil → possible apnée du sommeil infantile et/ou hypertrophie des amygdales ou des végétations adénoïdes;Changements inexpliqués d'humeur, de comportement ou de développement → possibles troubles anxieux, troubles du comportement ou autres troubles psychologiques/développementaux;Dommages ou agitation nocturne → possible syndrome des jambes sans repos ou autre cause.Troubles du sommeil chez les nourrissons, les jeunes enfants et les adolescentsParmi les causes les plus fréquentes de troubles du sommeil chez les nourrissons, on peut citer les difficultés d'alimentation et la possibilité d'un reflux gastro-œsophagien. Chez les tout-petits, la cause la plus fréquente est généralement liée à la peur et au développement. Pour les nourrissons et les enfants de moins de 5 ans souffrant de troubles du sommeil, il est recommandé de consulter un médecin.Chez les adolescents, la cause la plus fréquente d'insomnie est le syndrome de retard de phase du sommeil (SRPS). L'adolescent se couche plus tard que nécessaire, a du mal à se réveiller à l'heure et se plaint d'une sensation de fatigue le lendemain matin.Stratégies d'hygiène du sommeil fondées sur des données probantes pour les enfantsPour l'insomnie pédiatrique, le traitement de première intention doit privilégier les stratégies non pharmacologiques et de bonnes pratiques d'hygiène du sommeil. Les stratégies suivantes doivent être mises en œuvre et discutées avant de recommander toute intervention pharmacologique: Interventions non pharmacologiques pour le sommeil des enfantsLimiter le temps passé devant les écrans: éviter les écrans au moins une heure avant le coucher et éviter les contenus stimulants ou violents le soir.Éviter la caféine: éliminer les sources telles que les sodas, le thé, les boissons énergisantes et les sources cachées comme le chocolat.Promouvoir l'activité physique quotidienne: encourager au moins une heure de jeu actif ou d'exercice par jour.Établir une routine du coucher: viser 20 minutes d'activités apaisantes à la même heure chaque soir (par exemple, lecture, musique douce).Optimiser l'environnement de sommeil:Maintenir une température ambiante fraîche (environ 65°F/18°C).Réduire les bruits intrusifs dans la chambre (utilisez des appareils à bruit blanc ou des bouchons d'oreilles peut être une option).Maintenir l'obscurité et tamiser l'éclairage l'heure précédant le coucher. (Pensez à installer des rideaux occultants si nécessaire.)Autres considérations:Évitez de dormir avec des animaux domestiques, car il est prouvé que cela perturbe la qualité du sommeil et augmente la fréquence des réveils nocturnes.Limitez les siestes diurnes si elles perturbent le sommeil nocturne.Si de bonnes habitudes de sommeil constituent la base du traitement, certaines familles peuvent néanmoins rechercher un soutien supplémentaire ; c'est là que les compléments alimentaires, notamment la mélatonine, entrent souvent en jeu.Mais comment fonctionne réellement la mélatonine et que disent les données probantes sur son utilisation et sa sécurité à long terme chez les enfants?L'«hormone de l'obscurité»La mélatonine joue un rôle clé dans la régulation du cycle veille-sommeil, aussi appelé rythme circadien. C'est une neurohormone naturellement produite par la glande pinéale du cerveau en réponse à l'obscurité, ce qui lui vaut le surnom d'«hormone de l'obscurité». En plus d'influencer le moment de l'endormissement, la libération de mélatonine affecte la qualité globale de notre sommeil.Comme nous le savons, la mélatonine peut être synthétisée en laboratoire et également prise par voie orale sous forme de supplément.Au Canada, la mélatonine est classée comme produit de santé naturel et est disponible en vente libre sous diverses formes. Ni Santé Canada ni la Food and Drug Administration aux États-Unis n'ont approuvé la mélatonine pour le traitement des troubles du sommeil chez les enfants et les adolescents, ce qui rend son utilisation chez cette population non indiquée sur l'étiquette. Consultez aussi: Santé Canada approuve le premier traitement à base de mélatonine pour l'insomnie chez les enfants atteints de TSASur le plan pharmacodynamique, la mélatonine a une demi-vie d'environ 40 minutes et subit un important métabolisme de premier passage hépatique. Elle atteint son pic plasmatique environ une heure après administration.En pédiatrie, la mélatonine est le plus souvent envisagée pour l'insomnie et certains troubles du sommeil spécifiques à une affection. Les principales indications comprennent l'insomnie primaire, les troubles d'endormissement associés au trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et l'insomnie liée au trouble du spectre de l'autisme (TSA).Que disent les données probantes?Une revue systématique de 2019 intitulée «Traitements pharmacologiques des troubles du sommeil chez l'enfant»1 a analysé 19 essais contrôlés randomisés et a constaté que la mélatonine améliorait significativement la latence d'endormissement, la durée du sommeil et le temps d'éveil après l'endormissement, mais ne réduisait pas le nombre de réveils par nuit. Les améliorations du fonctionnement et du comportement diurnes étaient également inégales. Notamment, les bénéfices sur le sommeil étaient plus importants chez les enfants autistes ou atteints d'autres troubles neurodéveloppementaux, et moins importants chez les adolescents et les enfants présentant un retard chronique du sommeil.Dosage de la mélatonine et somnifères alternatifsEn l'absence de signes avant-coureurs justifiant une consultation, et pour les enfants de cinq ans et plus, une faible dose de mélatonine, d'environ 0,5 à 1 mg, prise 30 à 60 minutes avant le coucher, peut être efficace à court terme2. Bien que ce ne soit pas le sujet de cet article, le L-tryptophane, un précurseur de la mélatonine, dispose de données probantes en faveur de son utilisation chez les enfants souffrant de parasomnies telles que le somnambulisme ou le langage pendant leur sommeil. En revanche, les antihistaminiques, les antidépresseurs tricycliques et les benzodiazépines en vente libre sont déconseillés.Utilisation à long terme et considérations de sécurité concernant les suppléments de mélatonineLe rôle de la mélatonine va bien au-delà de la régulation du cycle veille-sommeil. Nous savons que la mélatonine endogène influence également les fonctions immunitaires, cardiovasculaires et reproductives. Elle agit également comme antioxydant et pourrait même contribuer à réguler la douleur. On ignore encore si une supplémentation chronique chez les enfants comporte des risques pour la santé à long terme.Les études actuelles n'ont suivi les enfants que pendant 3,7 ans en moyenne3. Cependant, il n'existe aucune donnée probante de l'impact potentiel d'une utilisation chronique de mélatonine à long terme sur le développement hormonal, notamment concernant son impact potentiel sur la puberté et les cycles menstruels. Ce manque de données a été signalé par certains experts comme une préoccupation concernant l'utilisation à long terme de mélatonine chez les enfants.En lien avec ce sujet: Médicaments et produits de santé naturels: La pharmacothérapie de l’insomnie à la loupeMalgré des résultats généralement positifs et une perception répandue selon laquelle la mélatonine est relativement sans danger pour les enfants, l'accent doit être mis sur une utilisation à court terme uniquement et toujours avec le suivi d'un professionnel de la santé.Conservation: gommes à la mélatonine et risque de surdoseEn termes de conservation, les bonbons gélifiés à la mélatonine sont attrayants pour les enfants, ce qui augmente le risque de surdose accidentelle. Les cas d'intoxication à la mélatonine ont fortement augmenté chez les enfants américains, les cas les plus graves se produisant chez les moins de 5 ans et de nombreuses surdoses chez les adolescents étant intentionnelles4. Les parents doivent s'assurer que les compléments alimentaires à base de mélatonine sont conservés en toute sécurité et privilégier les produits portant un numéro de produit naturel (NPN) afin de garantir leur intégrité.Guider les familles vers des nuits sûres et reposantesEn cas de troubles du sommeil chez l'enfant, les pharmaciens peuvent être une ressource fiable pour les parents, offrant des conseils pratiques et fondés sur des données probantes sur les habitudes de sommeil saines, l'utilisation sécuritaire des compléments alimentaires et le moment opportun pour consulter un médecin.Le conseil doit commencer par identifier les signaux d'alerte nécessitant une consultation chez un médecin généraliste, puis fournir des conseils sur les stratégies comportementales et environnementales. La mélatonine ne doit être envisagée qu'en complément et non en remplacement d'une bonne hygiène de sommeil. En cas d'utilisation, insistez sur le dosage approprié, la courte durée d'utilisation, la conservation en toute sécurité et l'importance d'un suivi régulier pour évaluer l'efficacité, surveiller les effets secondaires et déterminer les besoins.En proposant des conseils fondés sur des données probantes et des stratégies pratiques, les pharmaciens peuvent contribuer à favoriser un sommeil sain et réparateur chez les enfants, assurant ainsi une meilleure nuit de sommeil pour toute la famille.Lindsay Dixon est pharmacienne, communicatrice scientifique et créatrice de contenu santé. Ambassadrice de la santé publique pour Heart Pharmacy Group, elle est également fondatrice du podcast et de la chaîne YouTube Friendly Pharmacy 5. Pour toute collaboration ou consultation: friendlypharmacy5@gmail.com📣 Vous avez un sujet en tête? Je veux connaître votre avis!Si vous souhaitez voir un sujet abordé dans un prochain texte de cette série, faites-le-moi savoir! Vos commentaires m’aident à répondre aux questions concrètes et aux défis cliniques auxquels vous êtes confrontés dans votre pratique. Faites-moi part de vos suggestions dans les commentaires ci-dessous ou envoyez-moi un courriel à ldixons@gmail.com

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