La liberté d’expression des médecins

«En vérité, l’histoire moderne a démontré qu’une société de gens courageux prêts à admettre leur ignorance et à soulever des questions difficiles est habituellement plus prospère, mais aussi plus pacifique, que les sociétés où tout le monde accepte aveuglément une seule réponse.» Yuval Noah Harari Mettons qu’un individu adéquatement vacciné contre la COVID-19, ayant reçu quatre doses, contracte néanmoins la maladie. Serait-il en droit de questionner l'efficacité du vaccin? Disons aussi que plusieurs de ses proches, tous autant adéquatement vaccinés, aient connu le même sort, certains ayant été hospitalisés ou admis aux soins intensifs, l’individu, frustré, pourrait-il en conclure que le vaccin ne fonctionne pas? Coudonc… Ça ne sert à rien, ce vaccin-là? Mettons qu’un autre, qui s’occupe activement de sa vieille mère démente placée dans une RPA, allant la voir régulièrement, la faisant manger, l'aidant à aller à la toilette, se fasse dire un beau jour, qu’en raison de la pandémie, il n’est plus autorisé à se présenter au Centre, les soins étant dorénavant prodigués par des préposés envoyés par des agences. Puis, qu’il apprenne que sa mère ait été confinée dans sa chambre et est finalement décédée, abandonnée, déshydratée et retrouvée dans ses excréments. L’individu, amer et révolté, aurait-il le droit de traiter le directeur de la santé publique d’incompétent? Que vous soyez d’accord ou non avec eux, il y a plein de personnes qui ne partagent pas les vues de la Santé publique et ne se gênent pas pour le dire. Plusieurs épanchent leur fiel sur leur compte Twitter ou sur Facebook. Ils rejoignent ainsi la bande du convoi de la «libârté», même s’ils n’ont pas mis les pieds à Ottawa. Vous êtes en droit de trouver cela déplorable, mais c’est comme ça. C’est la liberté d’expression. On a le droit dire et d’écrire tout ce que l’on pense… ou presque. Mais supposons que l’individu soit plutôt un médecin. Oh! Attention… Un médecin a-t-il le droit d’exprimer ouvertement son désaccord envers les directives sanitaires et gouvernementales sans subir les foudres de tous, particulièrement de ses pairs et de son ordre professionnel? Il importe ici de savoir que la conduite des médecins et des autres professionnels est régie par un ensemble de règles inscrites au Code de déontologie et au Code des professions. Ainsi, dans la présente affaire, les Codes sont très explicites. Code de déontologie des médecins1 Article 3. Le médecin a le devoir primordial de protéger et de promouvoir la santé et le bien-être des individus qu’il sert, tant sur le plan individuel que collectif. Article 13. Le médecin doit s’abstenir de participer à une action concertée de nature à mettre en danger la santé ou la sécurité d’une clientèle ou d’une population. Article 88.0.1. Le médecin qui s’adresse au public doit communiquer une information factuelle, exacte et vérifiable. Cette information ne doit contenir aucune déclaration de nature comparative ou superlative dépréciant ou dénigrant un service ou un bien dispensé par un autre médecin ou d’autres professionnels. 89. Le médecin exposant des opinions médicales par la voie de quelque média d’information doit émettre des opinions conformes aux données actuelles de la science médicale sur le sujet et, s’il s’agit d’une nouvelle méthode diagnostique, d’investigation ou de traitement insuffisamment éprouvée, mentionner les réserves appropriées qui s’imposent. Code des professions2 59.2. Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice de sa profession. D’accord. Mais imaginons que le médecin qui veut exprimer son désaccord s’appuie sur des données probantes. Supposons, par exemple, que ce médecin note qu’au Québec, en date du 3 août 2022, la couverture vaccinale adéquate contre la Covid pour les personnes de 12 ans et plus était de 91.8%3. Assez impressionnant que cela! Pourtant, à la même date, on dénombrait dans les 24 dernières heures[1] : 1 505 nouveaux cas, pour un total de 1 151 659 personnes infectées* ; 21 nouveaux décès rapportés dans les 24 dernières heures, pour un total de 15 992 décès ; 5 053 travailleurs de la santé absents pour des raisons liées à la COVID (retrait préventif, isolement, en attente de résultats, etc.) ; 2 146 hospitalisations, dont 733 en raison de la COVID-19, soit une augmentation de 20 par rapport à la veille ; 179 nouvelles entrées, 159 nouvelles sorties ; 67 personnes aux soins intensifs, dont 31 en raison de la COVID-19, soit une augmentation de 8 par rapport à la veille ; 13 nouvelles entrées, 5 nouvelles sorties ; Ce médecin pourrait-il, face à ces données probantes5,6,7 exprimer son doute quant à l’efficacité vaccinale? Aurait-il le droit de dire que ce vaccin apparaît moins efficace que bien d’autres que nous administrons régulièrement? Aurait-il le droit d’ajouter : Coudonc, si ce vaccin est si efficace comment se fait-il qu’il y ait tant de gens malades? Tant de gens hospitalisés et aux soins intensifs? Tant de vagues successives? (Notez au passage que le médecin n’est pas contre la vaccination. Il a reçu lui-même ses quatre doses. Il ne part pas non plus en croisade contre la vaccination.) Pourrait-il aussi, en s’appuyant sur le Rapport Spécial du Protecteur du Citoyen8, La COVID-19 dans les CHSLD durant la première vague de la pandémie, critiquer la gestion de la pandémie par le directeur de la santé publique? Bien que cela puisse sembler raisonnable, j’ai comme l’impression que la réponse est négative. J’ai le sentiment que ce médecin s’exposerait alors au courroux de ses pairs qui adhèrent habituellement aux croyances et règles édictées, mais surtout qu’il s’exposerait au regard inquisiteur de son ordre professionnel. Les médecins du Québec ne connaissent peut-être pas tous les articles du Code de Déontologie, mais tous savent par instinct qu’il est préférable de ne pas se frotter à son ordre. Un médecin peut sans doute exprimer son opinion à la maison avec son conjoint et ses proches. Il pourrait y faire allusion dans les corridors hospitaliers ou à la cafétéria ou aux postes infirmiers avec quelques collègues triés sur le volet, mais là s’arrêtent ses droits. Au-delà desquels sa liberté d’expression est risquée. N'allez surtout pas à la radio ou à la télévision pour exprimer votre point de vue. De toute façon, on ne vous invitera assurément pas. Toute la meute journalistique composée d'experts ciblés se fera un devoir de vous crucifier. N'écrivez surtout pas cela dans ces pages, ni ailleurs. On exige des médecins qu’ils soient des érudits (les fameuses compétences professionnelles), mais pas à l’encontre des lignes édictées, et certainement pas déviants à l’endroit de ces dernières. La question demeure alors entière: jusqu'où la liberté d'expression des médecins va-t-elle? Dans les sociétés démocratiques, nous nous targuons d'avoir le droit à la liberté d'expression. Est-ce vraiment le cas? Nous répudions la Russie qui laisse entendre que son envahissement de l'Ukraine est une opération militaire et non pas une guerre, et qui emprisonne Alexeï Navalny pour ses positions politiques. Nous lançons des hauts cris face au traitement que la Chine réserve à ses minorités ethniques. Sommes-nous si différents? Alors que Sa Sainteté le Pape est venu en visite au Canada et a présenté des excuses officielles pour le rôle de l’Église catholique dans les pensionnats et pour l’assimilation des peuples autochtones9, j’aurais aimé qu’à l’époque, un simple prêtre se soit levé pour divulguer les méfaits qui étaient commis en son sein. J'aime alors à rappeler cette phrase qu'on attribue à Voltaire: «Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire.» Références: 1. http://www.cmq.org/publications-pdf/p-6-2015-01-07-fr-code-de-deontologie-des-medecins.pdf 2. https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/c-26 3. https://www.inspq.qc.ca/covid-19/donnees/vaccination (en date du 17 juillet 2022) 4. https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/situation-coronavirus-quebec (en date du 24 juillet 2022) 5. Zou, Y.; Huang, D.; Jiang, Q.; Guo, Y.; Chen, C. The Vaccine Efficacy against the Sars-Cov-2 Omicron: A Systemic Review and Meta-Analysis. Frontiers in Public Health 2022, 10, 940956–940956 DOI: 10.3389/fpubh.2022.940956. 6. Cheng, H.; Peng, Z.; Luo, W.; Si, S.; Mo, M.; Zhou, H.; Xin, X.; Liu, H.; Yu, Y. Efficacy and Safety of Covid-19 Vaccines in Phase Iii Trials: A Meta-Analysis. Vaccines 2021, 9 (6) DOI: 10.3390/vaccines9060582. 7. Diallo, A.; Carlos-Bolumbu, M.; Diallo, M. H.; Makinson, A.; Galtier, F. Efficacy of Approved Vaccines to Prevent Covid-19: A Systematic Review and Network Meta-Analysis of Reconstructed Individual Patient 8. https://protecteurducitoyen.qc.ca/sites/default/files/2021-11/rapport-special-chsld-premiere-vague-covid-19.pdf 9. https://www.lesoleil.com/2022/07/25/le-pape-sexcuse-officiellement-pour-le-role-de-leglise-dans-les-pensionnats-49caaadadc20cdb1e55dcdb80ea6b2fd

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Roger Ladouceur