La hiérarchie perpétue le harcèlement sexuel chez les médecins selon une enquête

Quelques mois après qu’une enquête journalistique et une vague de témoignages dénonçant les violences et le harcèlement sexuels dans les hôpitaux français ont brisé l’omerta régnant dans le milieu des soins de santé, déferlant sur les réseaux sociaux sous le mot-dièse #metoohopital, une nouvelle enquête vient, cette fois-ci, secouer le monde médical canadien. Le site d'information pour les professionnels de la santé Medscape a en effet mené un vaste sondage1 en ligne auprès de 454 médecins canadiens de plus de 30 spécialités. Parmi les 9% de médecins canadiens interrogés ayant déclaré avoir été victimes d’abus, de harcèlement ou d’inconduite à caractère sexuel sur leur lieu de travail au cours des trois dernières années – dont un tiers des médecins de moins de 45 ans et une femme sur cinq –, près de la moitié (47%) ont indiqué que l'auteur du comportement inapproprié occupait une position hiérarchique supérieure à la leur. Les personnes s’étant déclarés victimes de harcèlement rapportent plusieurs comportements: Empiètement délibéré sur la sphère corporelle, l’espace personnel 44%Commentaires ou regards à caractère sexuel sur le physique ou des parties du corps 33%Attouchements, étreintes, caresses ou contacts physiques non désirés 30%Demandes répétées et continuelles de rendez-vous ou d’attentions non désirées 23%Messages ou courriels à connotation sexuelle non désirés envoyés par quelqu’un du travail 21%Propositions explicites ou implicites de relations sexuelles 14%Par ailleurs, 9% des médecins ont déclaré avoir été témoins d’abus, de harcèlement ou d’inconduite à caractère sexuel sur leur lieu de travail – en majorité des femmes et des personnels des hôpitaux. Les types de harcèlement et d’agressions observés rejoignent les comportements rapportés par les victimes: Empiètement délibéré sur la sphère corporelle, l’espace personnel 47%Commentaires ou regards à caractère sexuel sur le physique ou des parties du corps 42%Attouchements, étreintes, caresses ou contacts physiques non désirés 35%Propositions explicites ou implicites de relations sexuelles 21%Parmi les autres types d’inconduites ou d’agressions dont les médecins ont été victimes ou témoins, ces derniers ont parlé de «violence verbale», de «sexisme», de «harcèlement», d'«intimidation». Certaines victimes ont confié que «le docteur a profité de moi lors d’une soirée professionnelle» et d’avoir été «contrainte d’accompagner un médecin superviseur hors de la ville pour un séjour de deux nuits», ou encore fait état d’un «avilissement d’un membre du personnel en présence de ses pairs» et de «discussions sur le sexe sous le couvert du travail».Le fait d’un supérieur hiérarchique dans près d'un cas sur deuxLes faits rapportés se sont produits pour la plupart sur le lieu de travail des victimes déclarées. Comme indiqué plus haut, 47% des personnes interrogées ont affirmé que l’auteur du harcèlement était un supérieur hiérarchique, 33% un subordonné et 21% un confrère du même niveau hiérarchique. Les femmes médecins étaient plus susceptibles de dire que l’auteur était un supérieur hiérarchique, tandis que les hommes étaient plus susceptibles de dire que l’auteur était un subordonné.«Cette disparité souligne la dynamique nuancée du genre et du pouvoir au sein de la profession médicale, mettant en lumière la façon dont les hiérarchies traditionnelles peuvent perpétuer le harcèlement et l'inconduite», indique Medscape dans son communiqué. Dans près de deux cas de harcèlement sur trois (60%), entre deux et sept personnes étaient impliquées. Selon les personnes interrogées, les auteurs du harcèlement étaient des médecins dans 58% des cas, des infirmières ou infirmiers dans 7% des cas, des internes ou stagiaires en médecine dans 7% des cas et des étudiants en médecine dans 2% des cas. Deux tiers des répondants (67%) tous profils confondus ont déclaré que le ou les auteurs du harcèlement étaient des hommes. À lire aussi: Inconduite sexuelle: le Conseil de discipline du CMQ doit rejuger un omnipraticienEn outre, les auteurs de harcèlement sont plus ou moins protégés selon leur profil, indiquent les médecins ayant participé au sondage. Pour 40% des répondants, les médecins plus âgés et ceux qui ont les revenus les plus élevés sont les plus susceptibles de ne pas avoir à répondre de leurs actes. Concernant les spécialités les plus représentées parmi les auteurs de harcèlement, l’enquête liste la médecine de famille, la chirurgie, la médecine d’urgence, la neurologie et la psychiatrie. Du harcèlement vécu sur le lieu de travailSi Medscape note, dans son enquête, que «les abus, le harcèlement et les comportements inappropriés à caractère sexuel peuvent se produire dans de nombreux endroits, en dehors et sur le lieu de travail, à l’intérieur et à l’extérieur des zones réservées aux patients et dans des espaces partagés où des témoins peuvent être présents ou non», la majorité des médecins interrogés par le site d’information ont déclaré avoir été victimes de tels comportements sur leur lieu de travail. Dans le détail, le harcèlement s’est principalement produit: dans des zones administratives ou des bureaux non accessibles aux patients (28%)dans des unités de soins (23%)aux urgences (16%)au bloc opératoire ou en salle de réveil (14%)dans le bureau de l’auteur du harcèlement (14%)Les faits se sont produits hors du lieu de travail dans 21% des cas, ou dans des espaces communs comme les couloirs, la bibliothèque, la cafétéria et le stationnement du lieu de travail.Des conséquences sur la pratique professionnelle et le soin aux patients L’expérience du harcèlement ou des inconduites à caractère sexuel ont bouleversé la majorité des médecins (67%) qui en ont été victimes. Après l’incident, près des deux tiers des médecins ont dû continuer d'interagir avec l’auteur du harcèlement au travail.En outre, un tiers des répondants a déclaré que le harcèlement avait eu un impact significatif sur leur capacité à effectuer leur travail. Ainsi, les victimes déclarées affirment avoir évité de travailler avec certains collègues lorsque cela était possible (56%, dont une majorité de femmes), rencontré des difficultés à se concentrer (44%), été moins attentifs ou attentives à leurs collègues (30%) et songé à quitter leur emploi (28%). Ces dernières indiquent aussi avoir manqué des réunions, quitté leur emploi, s’être moins engagées auprès de leurs patients, et 5% rapportent même des erreurs médicales. Environ deux tiers des répondants s’accordent à dire que le harcèlement sexuel nuit à la qualité des soins prodigués aux patients.Si le harcèlement n’a pas poussé les victimes déclarées à modifier leurs habitudes personnelles dans la majorité des cas, certaines racontent toutefois avoir commencé à adopter ou renforcer certains comportements comme le fait de s’isoler et de dormir, et rapportent aussi des troubles du comportement alimentaire, une consommation d’alcool, de médicaments sur ordonnance ou de tabac, préexistante ou non.Un manque de soutien des établissements de soinsPar gêne, peur des représailles ou fatalisme, une grande partie des victimes déclarées de harcèlement n’a pas dénoncé les faits. Lorsqu’elles l’ont fait, les personnes se sont tournées vers leur supérieur direct ou leur chef de service (35%), leurs collègues (35%), les ressources humaines (19%) et la police (7%). Cependant, la réponse des établissements de santé ne semble pas à la hauteur de l’enjeu, souligne Medscape. En effet, 75% des répondants indiquent que leur établissement ne dispense pas de formation sur le harcèlement sexuel, une situation plus fréquente dans les cabinets médicaux que dans les hôpitaux. À lire aussi: Conduite non professionnelle entre collègues: les médecins de certaines spécialités y seraient plus susceptiblesParmi les témoignages reçus par le site d’information via le sondage en ligne, une personne raconte que «les protocoles mis en place dans mon organisation n’ont pas été respectés et personne d’autre que moi ne semblait s’en inquiéter», une autre affirme que «je n’étais pas la seule à avoir des problèmes avec cette personne», et une dernière confie que «plus tard, j’ai changé de poste au sein de l’organisation et j’ai fini dans le service où l’auteur du harcèlement avait été muté. Personne ne m’en a informé.»Lorsque des enquêtes sont initiées dans les établissements de soins de santé, 45% des répondants se disent plutôt ou tout à fait confiants dans le fait que les personnes en charge de ces enquêtes ont été formées au préalable – mais les membres du personnel hospitalier sont plus nombreux à ne pas être d’accord avec cette affirmation. «Cette enquête est un appel à l'action pour les établissements de soins de santé afin de s'attaquer aux problèmes systémiques de harcèlement et de déséquilibre du pouvoir. Les effets en chaîne de la violence en milieu de travail vont bien au-delà des médecins individuels, ce qui a en fin de compte une incidence sur la qualité des soins que reçoivent les patients», alerte John Whyte, médecin en chef de WebMD, dans le communiqué de Medscape. Dans son nouveau rapport annuel, le Programme d'aide aux médecins du Québec (PAMQ) souligne «une augmentation de la fréquence des cas d’épuisement professionnel, de harcèlement, de détresse morale, ainsi que des répercussions à la suite d’erreurs, de poursuites et de plaintes», indiquait il y a quelques jours la Dre Brien, directrice de l’intervention, de la prévention et de la recherche, à Profession Santé. Référence: Crist C. Canada: enquête sur le harcèlement sexuel dans le milieu médical. Medscape [en ligne] 17 décembre 2024. [cité le 18 décembre 2024]: [env. 22 p]. Disponible: https://www.medscape.com/slideshow/2024-canada-phys-sexual-harass-french-6017832?sso=true&uac=479800HJ&ecd=mkm_ret_241218_mscpmrk-OUS_PhyReports_CA_etid7082665&impID=7082665#16

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