La diarrhée secondaire à la radiothérapie : un probiotique à la rescousse ?

Critique et pratique fait école. Des résidents de première année en spécialité de l’Université Laval ont rédigé un résumé critique d’un article récent d’intérêt dans leur domaine. Le responsable du cours d’apprentissage de la lecture critique, le Dr Michel Cauchon, a invité des cliniciens enseignants de diverses spécialités à collaborer à la révision de ce travail de synthèse. Quelques-uns de ces travaux seront publiés au cours des prochaines semaines. isabelle.thibault.5@ulaval.ca marie-anne.froment.1@ulaval.ca rong.huang.2@ulaval.ca Article de référence Delia P, Sansotta G, Donato V, Frosina P, Messina G, De Renzis C, et coll. Use of probiotics for prevention of radiation-induced diarrhea. World J Gastroenterol, février 2007; 13(6) :912-5. RÉSUMÉ Objectif Évaluer l’efficacité d’une préparation de probiotiques à haute concentration, le VSL#3, dans la prévention de la diarrhée induite par la radiothérapie chez les patients cancéreux. Conception Essai clinique randomisé à double insu avec groupe témoin placebo. Contexte Patients recrutés au centre de radiothérapie de l’Université de Messine, en Italie. Participants Il s’agit de patients ayant été opérés pour un cancer du rectum, du sigmoïde ou du col de l’utérus, recevant un traitement adjuvant de radiothérapie pour une dose totale variant de 60 à 70 Gy. Ils avaient une espérance de vie de plus d’un an et un indice supérieur à 70 sur l’échelle de performance de Karnofsky. Ils ne présentaient pas de fièvre, de sepsis, de fistule, d’abcès intra-abdominal, de vomissement ou de diarrhée persistante, de maladie inflammatoire intestinale, et aucun n’avait pris d’antibiotique au cours des deux semaines précédant le début du traitement. Interventions En tout, 490 patients consécutifs ont été assignés au hasard, entre mai 1999 et décembre 2005, à recevoir un traitement probiotique VSL#3 (n = 245), un sachet t.i.d., ou un traitement placebo (n = 245), du premier au dernier jour de la radiothérapie. Le VSL#3 est une préparation probiotique à haute concentration contenant 450 milliards de microorganismes par gramme. Ce mélange est composé de quatre souches de lactobacilles (L. casei, L. planturum, L. acidophilus et L. bulgaricus), de trois souches de bifidobactéries (B. longum, B. breve et B. infantis) et d’une souche de streptocoque (S. thermophilus). Principales mesures de résultats Les deux mesures principales de l’étude étaient la fréquence de la diarrhée radio-induite et la gravité de cette diarrhée selon les critères de toxicité de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les mesures secondaires étaient le nombre de selles par jour des patients et le délai d’utilisation du lopéramide dans le traitement symptomatique de la diarrhée. Résultats La fréquence de la diarrhée a été inférieure dans le groupe sous VSL#3 par rapport au groupe témoin (31,6 % versus 51,8 %; p < 0,001). De même, la gravité de la diarrhée a été réduite dans le groupe sous probiotiques en ce qui concerne la proportion de patients atteints d’une diarrhée de grades 3 ou 4 (10,4 % versus 55,4 %; p 0,05). Parmi tous les patients présentant une entérite radique aiguë, le nombre moyen de selles par jour était de 5,1 ± 3 pour les patients sous VSL#3 et de 14,7 ± 6 pour ceux sous placebo (p < 0,05). Le délai moyen avant l’utilisation du lopéramide dans le soulagement des symptômes était de 122 h ± 8 h pour le groupe VSL#3 et de 86 h ± 6 h pour le groupe témoin (p < 0,001). Conclusion Le probiotique VSL#3 est un moyen simple et efficace pour prévenir la diarrhée secondaire à la radiothérapie chez les patients ayant été opérés pour un cancer du rectum, du sigmoïde ou du col utérin. COMMENTAIRE Pertinence de l’étude L’entérite radique aiguë est une complication fréquente et morbide de la radiothérapie abdominale et pelvienne. Elle se présente habituellement par une diarrhée et risque d’entraîner déshydratation, fatigue et interruption de la radiothérapie. Jusqu’à présent, les études n’ont pu conclure à l’efficacité d’un traitement pour diminuer cette toxicité gastro-intestinale, les mesures les plus utiles étant encore le soutien nutritionnel et les antidiarrhéiques. Actuellement, les probiotiques sont un sujet d’intérêt en recherche pour leur rôle préventif ou curatif des diarrhées. Importance des résultats L’étude démontre de façon statistiquement significative une réduction du risque d’entérite radique aiguë avec l’usage de la préparation probiotique VSL#3 en termes de fréquence et de gravité des symptômes. Les résultats sont intéressants sur le plan clinique avec seulement cinq patients à traiter pour éviter un cas d’entérite aiguë et deux patients à traiter pour prévenir un cas de diarrhée de grades 3 ou 4. D’autre part, pour les diarrhées de grades 1 ou 2, il n’y a pas de différence statistiquement significative entre les groupes. Enfin, aucune toxicité importante reliée au VSL#3 n’a été rapportée en cours d’étude. Critique de la méthodologie Il s’agit d’un essai clinique randomisé à double insu dont la qualité méthodologique est difficile à apprécier étant donné le manque d’information. La méthode de randomisation et d’assignation n’est pas explicite. Il n’y a pas de tableau 1 permettant de comparer les caractéristiques des groupes de traitement. Les auteurs affirment à ce propos que les groupes sont comparables quant à divers facteurs comme l’âge, le sexe ou l’extension tumorale, mais l’article ne précise pas si la randomisation tient compte du type de cancer traité (sigmoïde, rectum, col) ni si une chimiothérapie a été reçue. Les auteurs auraient aussi dû préciser les techniques d’irradiation (appareil, champ, cache, brachythérapie associée) et tenir compte de la diète des patients. Par ailleurs, une mesure supplémentaire qui aurait été pertinente est la qualité de vie des patients. Cet article a toutefois l’avantage de tenir compte de la grande majorité des sujets randomisés. Sur les 490 patients randomisés, seulement huit ont été exclus, pour des raisons valables; 97,5 % des patients du groupe témoin et 99,1 % de ceux du groupe expérimental ont fait l’objet d’une analyse. Cette analyse semble avoir été réalisée selon le respect du groupe d’assignation (intention de traiter). Finalement, en ce qui a trait à la validité des mesures des résultats, la gravité des diarrhées a été évaluée d’après les critères reconnus de toxicité intestinale de l’OMS. Mise en perspective selon l’état des connaissances Seulement deux essais cliniques randomisés1,2 de petite taille avaient été réalisés auparavant et démontraient un bénéfice à l’ajout d’un probiotique pour prévenir la toxicité intestinale de la radiothérapie. Plus récemment, une autre étude3 a cependant présenté des résultats non significatifs, sauf en ce qui concerne la consistance des selles. Plus près de nous, à l’Hôtel-Dieu de Québec, une étude de phase III est présentement en cours pour évaluer l’efficacité prophylactique du Bifilact, un produit probiotique québécois, dans la réduction de la diarrhée modérée à grave secondaire à la radiothérapie pelvienne. Contribution à la prise de décision clinique Cette étude suggère, malgré des limitations méthodologiques d’importance, l’utilité des probiotiques dans la prévention de l'entérite aiguë. Références Salminen E, Elomaa I, Minkkinen J, Vapaatalo H, Salminen S. Preservation of intestinal integrity during radiotherapy using live Lactobacillus acidophilus cultures. Clin Radiol, 1988; 39 :435-7. Urbancsek H, Kazar T, Mezes I, Neumann K. Results of a double-blind, randomized study to evaluate the efficacy and safety of Antibiophilus in patients with radiation-induced diarrhoea. Eur J Gastroenterol Hepatol, avril 2001; 13(4) :391-6. Giralt J, Regadera JP, Verges R, Romero J, de la Fuente I, Biete A, et coll. Effects of probiotic Lactobacillus casei DN-114 001 in prevention of radiation-induced diarrhea : results from multicenter, randomized, placebo-controlled nutritional trial. Int J Radiat Oncol Biol Phys, février 2008; 97(8) : 2150-2. 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