La crise du dépannage en pharmacie d’établissement

La semaine dernière, l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (APES) a sonné l’alarme face à l’échéance du 1er décembre à partir de laquelle certains pharmaciens du réseau ne sont plus autorisés à travailler à titre de main d’œuvre indépendante dans d’autres hôpitaux aux prises avec de graves pénuries de personnel, principalement en région.Cette position s’inscrit dans un double contexte. D’une part, le gouvernement livre une guerre aux agences de placement sur les tarifs élevés facturés par ces dernières et les salaires versés aux pharmaciens remplaçants. D’autre part, ceci survient au moment de l’entrée en fonction exécutive de Santé Québec, qui devient l’employeur unique de tous les employés du réseau et pour qui ce serait une incohérence d’embaucher comme travailleurs autonomes des pharmaciens déjà à son emploi.Du point de vue de l'employeur unique qu'est maintenant Santé Québec, on peut comprendre qu’un pharmacien faisant des heures supplémentaires pour le compte d’un autre établissement que son site principal de travail puisse être horrifiant, car cela augmente les dépenses en temps supplémentaire. Dans cette même logique, un pharmacien ne devrait donc pas être à la fois employé et travailleur autonome du même réseau.Cependant, la réalité qu'on tente de nous présenter est grossièrement incomplète. En effet, les pharmaciens qui acceptent d’aller faire du dépannage en région le font soit dans une formule de «sans solde», soit en cumulant leurs congés fériés, soit sur leurs vacances. Prenons l’exemple du pharmacien en vacances, Santé Québec acceptera-t-elle de le rémunérer pour cette prestation de travail en double rémunération ? J’en doute. Dans les autres situations, Santé Québec acceptera probablement le paiement du salaire négocié avec l’APES, bonifié de la prime associée aux régions, selon le cas. Plusieurs pharmaciens négociaient un salaire légèrement plus élevé que celui négocié par l’APES. On peut débattre sur la valeur de cette prime, mais le contexte du « dépannage au Québec » en pharmacie communautaire et en soins infirmiers notamment la justifiait probablement et constituait un bon deal pour le Québec.L’éloignement et l’intégration dans un milieu peu connu aux pratiques différentes imposent un stress et peut-être même un risque additionnel qui justifient une prime. Nonobstant, même sans avoir d’études portant sur cet enjeu, je suppose que le salaire versé à ces pharmaciens était moins coûteux aux établissements que le recours à une agence.Dans ce nouveau contexte, il est fort probable que moins de pharmaciens décideront de s’expatrier pour aller porter mains fortes aux établissements en région. La rupture de services appréhendée par l’APES me semble être un risque bien réel. Pas une pénurie, une RUPTURE DE SERVICES !Il faut savoir que les établissements en région fonctionnent déjà avec un très petit nombre de pharmaciens. L’état des effectifs en région, règle générale, est le même que dans les années 1980. En un mot, des services de base comme celui des ordonnances, de la gestion de la pharmacie, de quelques comités intra-hospitalier et d’un peu d’oncologie sont offerts par un, deux ou trois pharmaciens. Ces derniers sont de garde plus souvent qu’à leur tour. La prise de vacances et la survenue de maladies plonge chaque fois l’équipe (s’il y a plus qu’un pharmacien!) et l’établissement dans une situation de crise. À ma connaissance, il n’y a eu que peu ou pas d’ajustement de budgets et de postes pour s’ajuster à la réalité de la pharmacie hospitalière à la suite des nombreux ajouts de responsabilités lors des réformes successives des PL 90, 41, 31, et 67.Santé Québec va probablement suggérer que les établissements urbains et universitaires, grassement dotés selon le Ministère, soient fortement incités à partager leurs ressources avec les établissements régionaux, voire qu'ils se le fassent imposer.Cette vision de la pseudo «surdotation» des établissements universitaires est pourtant tordue. L’enquête pancanadienne sur la pharmacie hospitalière montre que le Québec n’est pas en surdotation et que sa couverture pour les soins cliniques n’est pas supérieure aux autres établissements du Canada. Plusieurs secteurs ne sont même pas couverts en comparaison. Alors, on n’est pas face à une surdotation, mais à une sous-couverture des services pharmaceutiques même dans les établissements universitaires.Je rappelle aussi que la majorité des postes en clinique dans nos hôpitaux ont été acquis sur la base d’une démonstration réalisée poste par poste, établissement par établissement SANS AUCUNE action pro-active du Ministère, à l’exception de la création de quelques postes dans les urgences. Bref, le Ministère n’a toujours pas, après toutes ces années, de vision pour les services et les soins pharmaceutiques dans son propre réseau !Il faut garder en mémoire que lors de précédentes négociations avec les pharmaciens d’établissements, ces derniers avaient tous (mais individuellement) remis leur démission. La commission sur les services essentiels avait alors statué que TOUS les services des pharmaciens étaient essentiels SANS distinction.Il apparaît donc clairement que ce sont les établissements en région qui sont lourdement sous-dotés en raison de l’absence de vision du gouvernement et que ce les patients de ces régions font l’objet de discrimination, car ils ne peuvent bénéficier de la valeur ajoutée des pharmaciens d’établissement.Heureusement, mais paradoxalement, le gouvernement a financé le déploiement des services cliniques en pharmacie communautaire, peu importe la région. Or, la mise à niveau des soins pharmaceutiques dans les établissements en région, elle, n’a jamais été à l'ordre du jour.Les ruptures appréhendées par l’APES dans les régions touchées frappent donc des services déjà inférieurs aux services de base en pharmacie hospitalière au Québec.Entre deux maux, Santé Québec et le gouvernement choisissent le pire. Vison bureaucratique et décisions prises à distance : cela démontre les risques inhérents à une méga structure comme celle de Santé Québec. C’est mal parti.Ce n’est pas la première fois que je me prononce là-dessus, mais il est plus que temps que le Québec, via Santé Québec, se dote d’une vision moderne des soins et services pharmaceutiques pour les établissements de santé urbains, universitaires et régionaux. Il faut aussi qu’elle soit cohérente avec l’ensemble des soins et services pharmaceutiques tous secteurs confondus. Les citoyens vivant en région ont tout autant droit à des soins pharmaceutiques de la plus haute qualité, et surtout en quantité suffisante. Cela est d’autant plus vrai que les ressources médicales en région sont parfois limitées, notamment selon les dates de présence des médecins spécialistes. C’est alors souvent vers les pharmaciens que se tournent les médecins de famille aux prises avec des cas lourds dans ces établissements. Il est utopique de s’attendre à ce qu’un ou deux pharmaciens maintiennent les expertises requises en consacrant autant de temps à des services de base comme la distribution.Tout cela dans un contexte de pénurie de ressources globales en pharmacie et d’un recrutement anémique pour nos résidents.Bien mauvais début pour Santé Québec. La technobureaucratie à son meilleur, sur le dos de la pharmacie. Il est temps que ce CA suive minimalement un cours de Pharmacie 101.