Jérôme Tousignant, mettre des mots sur les maux

Le sarrau que Jérôme Tousignant arbore fièrement depuis dix ans ne laisse, à première vue, rien transparaître de son autre vie. Et pourtant. Bien connu des résidents de Ville-Émard où il pratique depuis l’obtention de son diplôme en 2014, le jeune pharmacien salarié fait aussi parler de lui dans un tout autre domaine: la littérature. Une passion qui le suit depuis longtemps. «J’ai toujours écrit. Dès le Cégep, j’ai développé plusieurs projets littéraires qui intégraient la biologie et les mathématiques, explique-t-il. Pendant mes études en pharmacie, certains de mes textes ont été publiés dans différents recueils de nouvelles et des revues.» Impossible pour cet enfant de Trois-Rivières de penser sa vie sans l’écriture donc, ni sans la pharmacie. «J’ai toujours été attiré par le côté humain des sciences de la santé, le contact avec les gens et le côté scientifique de la pharmacie», dit-il. La relation avec les patients lui est essentielle. «Nous sommes des professionnels accessibles, nous avons un rôle social, et on peut développer des liens de confiance en parlant de santé, mais aussi de la vie des patients.»À lire aussi: Anne-Julie Bernard: «Le Parlement jeunesse m'a donné le courage d'oser aller en pharmacie»Écouter les gens parler dans sa pharmacie, et leur donner la parole dans ses livres… Si le parallèle est facile, il n’en reste pas moins vrai. «Les relations humaines m’inspirent en général. Mes interactions et l’environnement dans lequel j’évolue me donnent des idées, même si je ne transpose jamais la vraie vie des patients dans mes écrits!», prévient le trentenaire. Explorer le rapport au corpsLa passerelle entre ces deux mondes, la science et l’art, est le fil rouge de son œuvre. Dans sa dernière nouvelle, intitulée Noyade sèche, Jérôme Tousignant raconte ainsi la dualité entre le corps et l’esprit, avec en toile de fond le scandale des agressions dans la natation synchronisée, avec une écriture vive, percutante, sans détours. Presque scientifique.Son personnage principal fait le choix délibéré de ne pas écouter son corps, qui se rappellera finalement à elle. «Elle se retrouve submergée par la honte d’un procès qui n’est pas le sien et a le dilemme de couler avec son conjoint ou de remonter vers la surface et la lumière. Elle expérimente de façon physique les symptômes d’une noyade», explique l’auteur. Dans ses textes, l’auteur explore le rapport au corps, parfois à la maladie, distille ça et là quelques références scientifiques ou médicales. Comme en pharmacie, il aime regarder son personnage (ou son patient) dans sa globalité, dans sa complexité. Même si «la pharmacie et la littérature sont deux domaines que l’on n'associe pas habituellement», reconnaît-il néanmoins.Et les jurys de prix littéraires ne s’y trompent pas. Après avoir obtenu, en 2016, un certificat en création littéraire à l’Université du Québec à Montréal, le pharmacien est deux fois lauréat du Prix du Jeune écrivain de langue française. Avec Noyade Sèche, il a été finaliste du Prix de la nouvelle Radio-Canada 2024 pour la deuxième fois.«Je suis toujours très surpris, car c’est un domaine difficile d’accès, ce n’est pas aisé d’être publié.» D'ailleurs, Jérôme Tousignant essuie toujours de nombreux refus, de son propre aveu. «Quand l’un de mes textes est lu, apprécié et sélectionné, c’est très motivant car l’écriture reste quelque chose de très solitaire.»«Je m'oblige à garder du temps pour écrire»S’il fait entrer la pharmacie dans son univers littéraire, Jérôme Tousignant est aussi parvenu à mettre sa créativité et sa plume au service de la science. Depuis deux ans, il est impliqué dans l’implantation de la simulation virtuelle et immersive à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal (UdeM), via la plateforme MyDispense. «Je crée et je révise les scripts des cas cliniques proposés aux étudiants, autant sur le fond que sur la forme, précise-t-il. C’est un peu du théâtre pour moi, c’est un projet qui me ressemble beaucoup.» Une fois encore, pas besoin de chercher bien loin pour élaborer des situations cliniques réalistes et représentatives. «Je trouve mon inspiration dans ma pratique communautaire, et j’observe les situations qui pourraient être intéressantes pour mes étudiants.» La construction du nouveau centre de simulation et de réalité virtuelle en pharmacie de l'UdeM doit d'ailleurs débuter cet été.À lire aussi: Pharmacien le jour, créateur de jeux le reste du temps Comment le jeune Trifluvien parvient-il à jongler entre ses casquettes de pharmacien communautaire, de tuteur à l’UdeM et d’écrivain? D’abord, en réduisant ses heures en pharmacie – il est passé à 30 heures par semaine – mais aussi en se disciplinant. «Je m’oblige à garder du temps pour écrire, en me levant un peu plus tôt par exemple, ou en y consacrant un jour de repos si je suis dans un bon état d’esprit pour écrire.»Il semble que Jérôme Tousignant a finalement trouvé sa place. «J’ai une vie professionnelle très variée. Avoir plusieurs activités me permet d’être à fond dans chacune d’entre elles. Cet équilibre me permet de garder mon enthousiasme et mon envie dans toutes les sphères.» Et il l'assure: lorsqu'il se trouve derrière son comptoir, il est 100% focalisé sur ses patients. Mais il a la chance d'être soutenu et encouragé par son équipe, ses premiers lecteurs après sa famille.S'il compte bien poursuivre sa carrière en pharmacie communautaire et de tuteur dans le futur centre de simulation de l'UdeM, l'écrivain n'oublie pas son rêve: enfin publier un recueil de nouvelles au Québec. Ou un roman, peut-être.

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