Interactions médicamenteuses avec les cannabinoïdes: des informations essentielles pour les pharmaciens

Cas cliniqueJohn est un homme de 45 ans, par ailleurs en bonne santé, qui aime fumer deux joints de cannabis par jour pour se détendre et pour le plaisir. On lui a récemment diagnostiqué une infection de Helicobacter pylori pour laquelle il s'est fait prescrire un traitement d'éradication de H. pylori il y a cinq jours. Peu après le début du traitement, Jean a présenté de nouveaux symptômes de psychose, notamment des hallucinations et une forte agitation, ce qui l'a mené à se rendre aux urgences.Comprendre les interactions médicamenteuses des cannabinoïdesLes cannabinoïdes – tels que le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD), les plus étudiés – sont de plus en plus utilisés à des fins récréatives et médicinales, alors que 22% des Canadiens âgés de plus de 14 ans déclarent avoir consommé du cannabis en 20201,2. À mesure que l'usage se répand, il est essentiel pour les pharmaciens et les autres prestataires de soins de santé de comprendre les interactions médicamenteuses entre les cannabinoïdes et les médicaments.Il est cependant difficile d'évaluer adéquatement les risques d'interactions médicamenteuses associées aux cannabinoïdes en raison du manque de données sur les effets des cannabinoïdes, autres que le THC et le CBD, sur les enzymes qui métabolisent les médicaments3. Par exemple, bien que le cannabis (marijuana) soit commercialisé en fonction des concentrations de THC et de CBD, il contient plus de 400 composés, dont plus de 140 cannabinoïdes1.On sait que le THC est métabolisé par le CYP3A4 et le CYP2C9; le CBD est métabolisé par le CYP3A4 et le CYP2C19, et inhibe également le CYP2C191,4. Ces enzymes jouent un rôle crucial dans le métabolisme de nombreux médicaments et peuvent être affectées par l'activité enzymatique de divers médicaments. Il est important que les pharmaciens connaissent la dynamique de ces enzymes CYP clés du THC et du CBD afin de pouvoir détecter les interactions médicamenteuses potentiellement dangereuses, d'autant plus que les cannabinoïdes peuvent ne pas être inclus dans les logiciels de vérification des interactions médicamenteuses.Une application en ligne, CANNabinoid Drug Interaction Review (CANN-DIR) a été développée par des chercheurs de l’Université de Pennsylvanie pour aider les prestataires de soins de santé à améliorer la sécurité des médicaments dans le cadre de l'utilisation des cannabinoïdes5. L'outil est utile pour dépister les interactions médicamenteuses potentielles du point de vue de la façon dont le THC et/ou le CBD peuvent affecter le métabolisme d'un autre médicament, mais il n'évalue pas les interactions médicamenteuses du point de vue de la façon dont un médicament affecte les cannabinoïdes5. Drug Cocktails est une autre ressource en ligne gratuite développée au Canada pour les prestataires de soins de santé afin de vérifier les interactions de plus de 300 médicaments sur ordonnance avec 10 catégories de substances, y compris le cannabis. Elle fournit des informations sur la façon dont un médicament affecte les substances récréatives et sur la façon dont les substances récréatives influencent la réponse au médicament6,7.À lire aussi: Pour traiter leur insomnie, 16% des Canadiens s'automédicamentent avec du cannabisInteraction entre le THC et la clarithromycineLa clarithromycine, un antibiotique macrolide souvent prescrit dans le cadre d’une thérapie combinée pour l’éradication de H. pylori, inhibe fortement le CYP3A48,9. Dans le cas de John, sa consommation régulière de THC combinée à l’inhibition de son métabolisme par la clarithromycine a probablement conduit à des niveaux élevés de THC dans son système, précipitant son épisode psychotique. Cette interaction souligne l’importance de vérifier les antécédents de consommation de substances du patient et de rechercher les interactions entre les substances à usage récréatif et les médicaments délivrés sur ordonnance.Revue du cas: Comment les pharmaciens peuvent-ils intervenir?Dans le cas de John, une approche proactive de la part du médecin prescripteur et du pharmacien aurait pu prévenir l'effet indésirable: Recueillir les antécédents de consommation de substances psychoactives: Avant de recommander ou de délivrer des médicaments, les pharmaciens doivent interroger les patients sur leur consommation de substances à usage récréatif, y compris les cannabinoïdes, afin de faciliter l'identification des interactions médicamenteuses potentielles. Des outils tels que CANN-DIR et drugcocktails.ca devraient être utilisés pour vérifier ces interactions5,6.Éduquer les patients: Informer les patients des interactions potentielles entre les médicaments qui leur sont prescrits et les cannabinoïdes. Certains patients peuvent accepter de s'abstenir ou de réduire leur consommation de cannabinoïdes pendant la période de traitement avec un médicament susceptible d'interagir.Collaborer avec les prescripteurs: Si une interaction potentiellement dangereuse est identifiée, les pharmaciens doivent communiquer avec le clinicien prescripteur pour discuter d'autres options de traitement. Par exemple, dans le cas de John, un autre traitement d'éradication de H. pylori de première intention – tel que la quadrithérapie au bismuth (c.-à-d. inhibiteurs de la pompe à protons, sous-salicylate de bismuth, métronidazole, tétracycline), qui est moins susceptible d'augmenter les taux de THC que d'autres régimes de traitement de H. pylori – aurait pu être recommandé9. Il convient de noter que le métronidazole inhibe faiblement le CYP2C9 et peut augmenter l'effet du THC, bien que dans une moindre mesure que la clarithromycine6. Par conséquent, si ce traitement était recommandé, John devrait toujours être encouragé à s'abstenir de consommer du cannabis ou à en réduire la consommation pendant la période du traitement.ConclusionLa consommation de cannabinoïdes étant de plus en plus répandue, les pharmaciens doivent se tenir informés des interactions médicamenteuses potentielles et jouer un rôle actif dans l'éducation des patients et la gestion des médicaments. En recueillant les antécédents complets de consommation de substances, en consultant les ressources sur les interactions médicamenteuses des cannabinoïdes et en collaborant avec les prescripteurs, les pharmaciens peuvent contribuer à prévenir les effets indésirables et à assurer un traitement sûr et efficace à leurs patients.

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