Skip to main content

Impact économique des immunoglobulines en administration sous-cutanée au Québec et analyse d’impact budgétaire

30/09/2024
  • Auteur(e)s

    Thi Thanh Yen Nguyen, B.Pharm., DESS Pharmacienne et pharmacoéconomiste, Richard Lavoie, M.Sc., Économiste

Photo d'une main tenant une seringue

INTRODUCTION

 

L’administration substitutive d’immunoglobulines (Ig) est le traitement de choix chez les patients atteints de déficit immunitaire primaire (DIP) et secondaire (DIS). L’objectif thérapeutique est de prévenir le nombre d’infections, afin de réduire les risques d’hospitalisation, ainsi que la morbidité et la mortalité y étant associées. On utilise aussi Ig pour traiter d’autres conditions médicales en neurologie, hématologie, néphrologie et dermatologie. Le traitement s’administrait traditionnellement par perfusion intraveineuse (IgIV). Or, l’introduction de technologies d’auto-injection sous-cutanée (IgSC) présente une nouvelle méthode d’administration dont l’efficacité clinique est comparable à l’IgIV, et pouvant s’avérer plus pratique pour les utilisateurs.1

On constate néanmoins que le potentiel des IgSC reste sous-exploité, la formulation étant passée de 12,6% du total des grammes administrés en 2019-2020 à 15,9% 2020-2021. D’après les données publiées par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), l’administration sous forme intraveineuse était le principal traitement sur la période 2020 à 2021, 81% des patients ayant reçu exclusivement des IgIV, 16% ayant reçu exclusivement des IgSC et 3% ayant reçu les deux formulations.1 

Publicité - article continues below
Publicité

Dans le contexte actuel, les services de santé accaparent une part croissante des dépenses publiques et le système subit une pénurie de personnel, notamment infirmier.3-4-5 À cet égard, plusieurs analyses ont souligné les avantages économiques d’une utilisation accrue des IgSC, entrainant une réduction des coûts directs du système de santé et une économie en personnel infirmier.6-7-8

Le Québec présente une bonne disponibilité de statistiques sur l’utilisation des Ig. L’INSPQ a publié chaque année, entre 2015/16 et 2020/21, un rapport détaillé sur l’utilisation des Ig.1 On peut ainsi évaluer l’impact économique des IgSC de manière assez réaliste. L’objectif de cette analyse est d’évaluer l’impact des IgSC en termes qualitatifs sur l’expérience des utilisateurs et des professionnels de la santé, et en termes économiques pour le gouvernement et la société québécoise. De manière plus précise, cette étude vise à:

  1. Faire une description qualitative de l’expérience réelle des utilisateurs et des professionnels en soins infirmiers avec les IgSC.
  2. Estimer rétrospectivement l’impact budgétaire des IgSC au cours des dernières années.
  3. Estimer prospectivement l’impact budgétaire des IgSC sur les prochaines années. 

REVUE DE LITTÉRATURE


Préférence des utilisateurs

Des résultats cliniques rapportés par les patients ontariens atteints de DIS recevant des Ig ont récemment été publiés par Abadeh et coll. (2023). Il s'agit du premier rapport provenant du plus grand registre ontarien (ONIT), un programme gouvernemental visant à soutenir l’utilisation des IgSC à domicile. Dans le cadre de ce programme, un registre de cas cliniques provenant de trois grands hôpitaux universitaires de l'Ontario a été créé afin d’évaluer l’utilisation des IgSC, leur efficacité et les résultats cliniques rapportés par les patients.10

Les résultats de cette étude indiquent que le traitement substitutif par les IgIV ou IgSC réduit de 82,6% le nombre moyen annuel d’infections, de 84,6% les visites aux urgences et de 83,3% les hospitalisations. De plus, 84,6% des patients ont déclaré que leur santé était meilleure avec l’utilisation des Ig. En particulier, les patients ayant reçu un traitement avec les IgSC ont signalé une diminution de 82,5% du taux d’infection, de 90,9% des visites aux urgences et de 80,0 % des hospitalisations comparativement à leur situation avant le traitement. Parmi les patients qui sont passés de l’administration intraveineuse (IgIV) à celle sous-cutanée (IgSC) (N = 35), 62,9% (2/3) ont déclaré que leur état de santé était meilleur et seulement 33,3% (1/3) des patients déclarent que leur état est demeuré le même.10

Ces données concordent avec les résultats du questionnaire SF-36 d’une autre étude, qui a rapporté une amélioration globale de la qualité de vie, chez 33 patients atteints de DIS qui sont passés d’un traitement IgIV à un traitement IgSC.11 Les résultats de cette étude indiquaient que les IgSC étaient associées à moins d'effets secondaires systémiques, des taux résiduels d'Ig plus stables tout en offrant aux patients la commodité de l'auto-injection à domicile. De plus, l’administration des IgSC à domicile a permis d'améliorer l'observance au traitement et réduire considérablement les coûts en diminuant le besoin de se rendre à l'hôpital pour obtenir des IgIV mensuellement et de s’absenter du travail. Selon les auteurs de cette étude, l'impact positif des IgSC sur l'état de santé général des patients implique que l’administration des IgSC à domicile devrait devenir plus largement disponible aux patients.10

Dans un autre récent sondage réalisé en juin 2022 par l’Association des patients immunodéficients du Québec (APIQ) auprès de 234 répondants, plus de 85% des patients ont affirmé avoir une préférence pour les seringues d’IgSC préremplies. Si un choix leur était offert, plus de 70% préfèreraient les seringues préremplies alors que seulement 4% considéreraient recevoir les IgIV. Plus de 80% des répondants ont affirmé que les seringues préremplies sont plus simples et faciles d’utilisation. Par ailleurs, 70% des répondants ont affirmé qu’ils étaient plus confortables avec les IgSC préremplies et que ceux-ci comportent moins de risques de contamination que la manipulation des fioles IV.13

Dans une revue systématique effectuée par Overton et coll en 2021, les chercheurs ont évalué les raisons expliquant la préférence des utilisateurs pour l’administration des Ig par voie SC comparée à la voie IV.14 Les principales raisons pour expliquer la préférence de la méthode d’administration sous-cutanée ont été classées dans l'ordre d’importance suivant :

  • Plus pratique et plus convenable pour le traitement à domicile.
  • Permet d’éviter d'avoir à se déplacer ou de se rendre à l'hôpital.
  • Économie de temps et moins d'interférences avec la vie quotidienne.
  • Méthode d'administration simple à utiliser.
  • Procure un plus grand sentiment d’indépendance et de liberté.
  • Préférence pour l'auto-injection.

Selon l'étude de prolongation de PATH est un essai clinique de phase III mené par van Schaik et coll. (2018) dans lequel 172 patients atteints de polyneuropathie démyélinisante inflammatoire chronique étaient répartis de façon aléatoire pour recevoir une dose faible (0,2 g/kg) ou une dose élevée (0,4 g/kg) d'une solution d’IgSC à 20% (Hizentra®) ou d’un placebo pour une durée de suivi de 2 ans, 82% des patients préféraient le traitement par IgSC. Les raisons invoquées pour expliquer cette préférence étaient l’autonomie (71,6%), l’économie de temps (40,5%), la rapidité d’injection (37,8%) et moins d’effets secondaires (31,1%). Les résultats indiquaient que seulement 12,2% des patients préféraient le traitement par IgIV et que 5,4% n'avaient aucune préférence lorsqu’interrogés à la fin de l’étude de prolongation.16

En 2014, Samaan et coll. ont mené une étude rétrospective à l'Hôpital Sainte-Justine de Montréal auprès de 143 enfants atteints de DIP afin d'évaluer leur préférence entre un traitement par IgIV ou IgSC. Dans la première cohorte, 51 patients déjà sous traitement par IgIV ont eu le choix de rester sous IgIV ou de passer en IgSC, avec un suivi moyen sur 52 mois. Dans une seconde cohorte, 92 patients nouvellement diagnostiqués ont eu le choix entre un traitement par IgIV ou IgSC avant de recevoir leur première dose. Dans la première cohorte, 50 des 51 (98%) patients ont choisi de passer à l’IgSC et 44 des 51 (88%) patients ont préféré demeurer avec l’IgSC durant la période de suivi. Dans la secon de cohorte, 44 patients (48%) ont initialement choisi l'IgSC et 42 (95%) de ces patients sont restés avec l’IgSC après un suivi moyen de 33 mois. En revanche, sur les 48 (52%) patients nouvellement diagnostiqués ayant choisi l'IgIV, 35 (73%) sont passés à l'IgSC au cours de la période de suivi.17

Foule dense marchant dans la rue

Impact sur la santé de la population et qualité de vie

L’administration des IgIV nécessite un accès veineux adéquat et une pompe à perfusion intraveineuse exigeant l’intervention d’un professionnel de la santé, rendant parfois ce mode d’administration compliqué à gérer pour certains patients. De plus, son administration mensuelle entraîne des variations dans les taux sériques d’IgG, généralement une baisse des taux les jours précédant la prochaine perfusion, ce qui peut augmenter le risque de susceptibilité aux infections. 

Contrairement aux IgIV, les IgSC présentent de nombreux bénéfices cliniques. Non seulement l'accès veineux n'est pas nécessaire, le besoin d'une prémédication avec les corticostéroïdes et les antihistaminiques est aussi réduit. La technique sous-cutanée (SC) est facile à apprendre et peut être pratiquée même par des enfants et des patients plus âgés. Les Ig peuvent donc être auto-administrées à domicile par la plupart des patients, évitant souvent le recours à une infirmière et un technicien de laboratoire en perfusion. Pour les patients, l'auto-injection SC se traduit par un confort amélioré, une meilleure qualité de vie et moins de jours d’absence du travail.18-19

De plus, à dose équivalente, les IgSC ont démontré une efficacité similaire aux IgIV dans la diminution de l’incidence et de la sévérité des infections. Ainsi, sur une base mensuelle, les taux sériques d’IgG demeurent plus stables avec l’administration SC qu’avec l’administration IV.

En effet, une augmentation de la qualité de vie et de la satisfaction à l’égard du traitement a été rapportée dans une cohorte européenne de 15 enfants et de 32 adultes atteints du DIP.20 Les résultats de cette étude indiquaient que plus de 70% des patients ont signalé une plus grande vitalité, une santé mentale et une fonctionnalité sociale améliorées. Dans une autre étude similaire menée en Amérique du Nord en 2006, les patients ont aussi signalé moins de limitations dans leurs activités quotidiennes et un meilleur état de santé après 12 mois d’auto-injection d’IgSC.21 En somme, plusieurs études indiquent que les patients apprécient la flexibilité associée avec l’auto-injection et une diminution du niveau d’anxiété en lien avec la réduction des visites en hôpital.12-22-23-24 

D’autres études indiquent que les utilisateurs les plus motivés à s'auto-injecter, par exemple ceux qui voyagent fréquemment ou qui doivent administrer leur traitement durant les heures de travail, sont plus susceptibles de vouloir passer à l’IgSC. Ils sont aussi plus engagés dans l'apprentissage de l'auto-injection et ont généralement une meilleure perception de son bienfait thérapeutique. Par ailleurs, les innovations simplifiant la méthode d’administration des IgSC pour les utilisateurs, par exemple les seringues préremplies ou les dispositifs portatifs de perfusion, peuvent contribuer à réduire la complexité du traitement, à éliminer des étapes de préparation et les fournitures requises pour les perfusions.24-25-26-27

Seringue et fiole devant un tableau de courbes boursières

Impact économique du traitement par IgSC comparativement aux IgIV

L’auto-administration des IgSC éliminent le besoin de traitement dans les cliniques de soins ambulatoires et par conséquent, réduit le temps en soins infirmiers. Une étude économique publiée en 2023 fondée sur les données administratives de l'Alberta a été réalisée auprès de patients adultes (n= 6 148) et enfants (n= 1 742) entre le 1er avril 2012 et le 31 mars 2019.8 Cette évaluation économique compare l’utilisation des IgSC à celle des IgIV, et rapporte une économie des coûts sur les ressources en techniciens de laboratoire, le temps consacré en soins infirmiers et les visites en soins ambulatoires lorsque les patients passaient des IgIV administrées en clinique à un traitement par IgSC à domicile.

En effet, cette analyse indique que le coût annuel moyen par patient associé à l’utilisation des IgSC était inférieur à celui des IgIV de 5 386$ soit, 817$ pour les IgSC comparativement à 6 204$ pour les IgIV. Ce coût annuel était aussi inférieur de 5 931$ chez les adultes (782$ contre 6 714$) et de 3 177 $ chez les enfants (1 305$ contre 4 482$). Les résultats indiquaient également des économies s’élevant à 19,4 millions de dollars pouvant être réalisées pour le système de santé si 50 % des patients s’étaient convertis au traitement par IgSC. Ces économies pourraient atteindre 31,0 millions de dollars si la proportion des patients utilisant des IgSC s’élevait à 80%.8

Une autre étude prospective de 12 mois réalisée à partir de dossiers de patients en Ontario a aussi estimé les économies potentielles associées au traitement par IgSC comparativement aux IgIV chez les patients atteints de DIP. Les résultats de cette étude indiquaient que le coût moyen hospitalier (comprenant les infirmières et le personnel hospitalier autre) et le coût des services de médecin était significativement inférieur dans le groupe traité par IgSC (1836$ et 84$, respectivement) comparé au groupe traité par IgIV (4187$ et 744$, respectivement).28 

L’ampleur des économies réalisées dans ces études peut ainsi justifier l’auto-injection des IgSC à domicile afin de réduire les coûts liés aux soins de santé et optimiser les programmes liés aux soins à domicile. C’est dans cette optique que nous aborderons, dans la prochaine section, l’impact budgétaire pour le gouvernement et la société québécoise.


ÉVALUATION DES COÛTS

 

Préalablement à l’évaluation de l’impact budgétaire des IgSC au Québec, on a estimé les volumes d’utilisation qui constituent le socle auquel on appliquera ensuite les facteurs de coûts. On doit tenir compte de l’effet perturbateur de la COVID-19 sur les volumes d’Ig administrés. Le tableau 1 rapporte les chiffres historiques ainsi que la prévision du nombre d’utilisateurs et des volumes d’Ig dispensés au Québec. Les volumes des périodes 2015/16 à 2020/21 proviennent des statistiques publiées par l’INSPQ.1-29-30-31-32

Tableau 1
Tableau 1
Graphique 1
Graphique 1

La prévision sur la période 2021/22 à 2025/26 a été faite en supposant un taux de croissance annuel du nombre d’utilisateurs légèrement au-dessus de 3%, une trajectoire cohérente avec la moyenne historique avant la pandémie de COVID-19. Durant la pandémie, on a observé une baisse du nombre d’utilisateurs (voir le graphique 1). Cette chute est attribuable aux directives du ministère de la santé et des services sociaux en raison des difficultés d’approvisionnement en plasma. L’administration d’Ig constituant un soin essentiel dont la prestation peut difficilement être retardée, on suppose que la baisse du nombre d’utilisateurs était de nature temporaire. Elle serait compensée par une croissance plus vigoureuse les années suivantes, pour retrouver ensuite une trajectoire prépandémique.

Graphique 2
Graphique 2

Un phénomène notable dans l’utilisation des Ig est la croissance continue des méthodes d’administration sous-cutanée (voir graphique 2) et, dans ce sous-ensemble, le remplacement progressif des fioles par les seringues préremplies. On prévoit d’ailleurs que cette tendance se poursuivra et que les seringues pré-remplies représenteront 98% de l’utilisation des IgSC en 2025/26 qui, globalement, auront alors atteint une part de 27% des utilisateurs.

L’évaluation du coût total des Ig au Québec nécessite la quantification des principaux facteurs de coût tels que présentés au tableau 2 pour les IgIV et au tableau 3 pour les IgSC. On a actualisé les coûts en dollars de 2023 en appliquant l’indice des prix à la consommation (IPC).[1]34


[1] En fonction de la nature du facteur de coût, on a soit appliqué l’IPC général, l’IPC des soins de santé/personnels ou l’IPC transport.

Tableau 2
Tableau 2

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

L’inscription, réservée aux professionnels de la santé qualifiés, donne accès à tous les articles, blogues de pairs, magazines, formations continues, lignes directrices et plus encore.
X
This ad will auto-close in 10 seconds