Imagerie médicale et intelligence artificielle: «Il y a toujours des pilotes dans les avions»

DOSSIER: 2050: les soins du futur | Profession Santé, mai 2023 Par Geoffrey Dirat L’intelligence artificielle révolutionnera sûrement la médecine nucléaire et la radiologie, mais plus lentement que ses gourous ne l’avaient prophétisé. Cela ne se traduira pas non plus par le «grand remplacement» des cliniciens. «Diagnostic de la tuberculose: une IA aussi performante que les radiologistes». «Cette IA serait plus forte que les médecins pour diagnostiquer le cancer du poumon». Il ne se passe pas une semaine, ou presque, sans que la presse ne rapporte une étude scientifique montrant que, dans le domaine de l’imagerie médicale, l’intelligence artificielle rattrape ou dépasse l’humain. Les radiologistes et les nucléistes ne se sentent pas pour autant menacés. En 2016, un des pionniers de l’apprentissage automatique, le Canadien Geoffrey Hinton, avait pourtant affirmé que «nous devrions arrêter de former des radiologistes. Il est tout à fait évident que dans cinq ans, le deep learning fera mieux.» À la même époque, «on nous disait aussi que les voitures rouleraient toutes seules… Pourtant, je tiens toujours le volant de mon char et les ordinateurs ne nous ont pas remplacés», illustre le Dr Grégoire Bernèche, trésorier de l’Association des radiologistes du Québec (ARQ) et radiologiste en Montérégie. Il convient qu’une IA puisse diagnostiquer la tuberculose dans un contexte clinique particulier, «mais ce n’est pas transposable dans la réalité et ce n’est qu’une des 2000 tâches que j’accomplis. Quid des fractures au pied ou des lésions au foie?» Sa consœur Lucie Morissette, qui exerce à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus, à Québec, ne souffre d’ «aucune angoisse de remplacement». Résonance magnétique, scanneur, mammographe, depuis le début de sa carrière, en 1994, elle a vu les innovations technologiques se succéder. «Il n’y a pas une année sans une nouveauté», observe-t-elle en disant voir l’IA d’un bon œil. «On n’est pas en concurrence. L’ordinateur n’est pas subtil et il n’a pas notre expérience clinique. C’est une aide qui va nous stimuler à être meilleurs.» Le Dr Matthieu Pelletier-Galarneau ne se sent pas menacé lui non plus. Nucléiste à l’Institut de cardiologie de Montréal, il explique qu’il y a une certaine subjectivité dans l’interprétation des clichés. «La même image dans deux contextes différents peut vouloir dire deux choses différentes. Il faut être capable de saisir les nuances.» Ce que la machine ne serait pas encore en mesure de faire. «L’IA est surévaluée présentement», considère le médecin qui l’envisage plus comme une assistante. «Elle va nous aider à optimiser les opérations du département ou encore à filtrer, puis prioriser les cas urgents, mais pour l’interprétation en tant que telle, on est loin d’en être là encore.» Tandem à valeur ajoutée Radiologiste au Centre hospitalier de l’Université de Montréal, le Dr An Tang a présidé de 2017 à 2021 le groupe de travail sur l’intelligence artificielle de l’Association canadienne des radiologistes. Il estime qu’il faut distinguer les tâches de la profession. «Il y a des tâches qui se prêtent à l’automatisation dans notre pratique médicale. L’IA peut détecter un nodule, mais les tâches connexes – comme sa segmentation, sa stadification, sa structuration vasculaire ou la sélection du traitement – nécessitent l’expertise et le jugement d’un médecin», explique le Dr Tang qui estime que le combo «IA + humain» sera toujours supérieur à la machine seule ou au radiologiste seul. «Les faux positifs ne sont pas les mêmes. [En tandem], on augmente les chances de ne rien rater et l’IA va permettre aux médecins de se concentrer sur les tâches à valeur ajoutée.» En attendant que ces duos se forment et s’apprivoisent, le clinicien soulève l’enjeu de l’acceptabilité sociale en faisant une analogie avec l’aviation. «Il existe des logiciels de pilote automatique super performants, mais il y a toujours des pilotes dans les avions. On a aussi des drones qui volent sans être humain. Mais demandez aux gens s’ils veulent faire un vol transatlantique sans pilote à bord. La réponse sera “non”. Quand il s’agit de notre sécurité ou de notre santé, on veut que notre vie dépende d’un être humain, pas d’une machine.»

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