«Il faut aider les soignants à cultiver la présence thérapeuthique» -- Dr Thierry Janssen

Dans le TGV qui le conduit de Bruxelles à Paris, le Dr Thierry Janssen est frappé d’une paralysie faciale d’origine virale.Cette journée du 16 mars 2009 fut pour l’urologue belge devenu psychothérapeute l’occasion d’une prise de conscience qui a mené à la rédaction du livre Confidences d’un homme en quête de cohérence*. Une quête en guise de résolution aussi, en ce début d’année.Nous l’avons rencontré lors de son passage à Montréal.Comment avez-vous réagi à cet accident?J’ai essayé de comprendre ma part de responsabilité dans ce qui m’était arrivé. Sur mon lit d’hôpital, j’ai réalisé qu’en un an, j’avais donné plus de 200 conférences dans huit pays différents. De la folie furieuse, mais aussi une sorte d’imposture, car je faisais exactement le contraire de ce que je prêchais dans mes conférences. Là, j’ai eu ma leçon. J’étais épuisé, mon système immunitaire était complètement à plat.La sensibilité, une alliéeCet accident est donc tombé à point, selon vous…Oui, dans la mesure où il m’a obligé à me ressaisir. «Depuis que tu es à l’écoute de toi, tu es devenu fragile», m’a dit un ami. Je dirais plutôt que je suis devenu sensible, la sensibilité étant ma meilleure alliée, puisqu’elle m’avertit quand je dépasse mes limites.Le décalage était trop grand entre mon rythme intérieur et la course que je m’étais imposée! J’aspirais au calme et à la lenteur, et je vivais tout l’inverse. J’avais oublié que de 70 à 90% des pathologies traitées par la médecine sont en partie liées au stress.Et pourquoi le thème de la cohérence?Depuis une quinzaine d’années, j’écris dans un journal intime, afin d’être un peu moins dupe de moi-même. Cela m’a permis de comprendre que j’avais été incohérent par rapport à mes besoins essentiels.La cohérence est un formidable outil de vie qui aligne toutes les dimensions de soi. Elle évite les contradictions entre nos intentions et nos actions, elle empêche de gaspiller notre énergie et, de ce fait, elle constitue un gage de réussite. D’où l’importance de savoir au service de quoi nous utilisons notre cohérence. Acte de folieVous avez pratiqué l’urologie pendant 12 ans, délaissant votre profession à 37 ans. Vos amis y ont vu un acte de folie. Que s’est-il donc passé?J’ai sauvé ma peau. Jusqu’alors j’avais vécu en cohérence par rapport à mon ego, cette partie de moi qui s’est construite, comme chez nous tous, en réponse à mes peurs. J’étais devenu un bon chirurgien, très ambitieux. Cela me rassurait certes, mais je n’étais plus du tout à l’écoute de ce qui m’était essentiel.En quittant ce métier, je suis revenu vers qui j’étais profondément. La rupture fut rapide et brutale. Il n’est pas forcément nécessaire d’agir aussi brutalement. Moi, je n’ai pas pu faire autrement.Comment s’est opérée la transition entre ce métier de «chirurgien du corps» et celui de «chirurgien de l’âme»?J’avais «fait» le chirurgien, j’ai dû apprendre à «être» un psychothérapeute. Ceci dit, la chirurgie m’a appris à disséquer les choses, à bien les identifier, à aller en profondeur aussi, et à oser trancher.Faire mal pour faire du bien peut paraître étrange, mais j’applique ces principes à la psychothérapie. Il faut traverser les défenses de l’individu, rouvrir certaines de ses blessures et le confronter à ses peurs pour l’aider à choisir librement sa vie. La joie est alors le signe de sa vitalité pleinement retrouvée. N’existe-t-il pas une tendance à tout psychologiser?Hélas, la psychologisation excessive est une réponse non nuancée à une vision trop matérialiste de la maladie. On a tellement nié les causes psychologiques et l’influence du stress chronique qu’on a versé dans l’excès inverse, celui de nier les causes matérielles pour ne retenir que les causes psychologiques. C’est tout aussi réducteur.Voyons plutôt la maladie comme un phénomène complexe, d’origine multifactorielle. Comme une tentative de l’organisme de retrouver un équilibre dans une situation perturbée.Il ne faut donc pas seulement l’empêcher de créer des conséquences potentiellement dangereuses pour la santé, mais aussi écouter la signification de ses symptômes et remédier à ses causes en menant une bonne prévention.Présence thérapeutiqueVous voulez fonder une école pour les soignants. De quoi s’agit-il?Il faut aider les soignants à cultiver ce que j’appelle la «présence thérapeuthique», une qualité d’être. Que va devenir notre beau métier? La paperasse, justement, est devenue, selon vous, la plaie de l’heure dans les hôpitaux…Oui, l’administration est en train d’absorber le meilleur des énergies. Il y a 25 ans, au CHU de Bruxelles où j’exerçais, on comptait environ 10% de personnel administratif. Aujourd’hui, plus de 30%! Rajoutez tous ces gens au ministère qui justifient leur travail en évaluant celui des autres. Les soignants sont de plus en plus marginalisés dans le réseau de la santé. C’est le monde à l’envers.Par ailleurs, je regrette que, dans les écoles de médecine, on insiste uniquement sur les compétences dans l’action, pas sur celles de l’être.Il est temps d’enseigner une présence thérapeutique authentique. C’est d’autant plus important que la tentation est grande, pour les médecins, de se refugier derrière des actes techniques. Cela leur évite d’affronter leur peur de la souffrance et de la mort. Une peur qui est, je crois, souvent sous-estimée chez les soignants. CancerVous êtes psychothérapeute, notamment auprès des patients qui souffrent de cancer. Votre réflexion sur cette maladie?Alors que j’opérais un cancer à la vessie, mon assistant me fit remarquer que «le cancer est une maladie extrêmement vivante!»De fait, les cellules cancéreuses se dé-différencient pour retrouver la vitalité de cellules embryonnaires. Leur multiplication anarchique aboutit à une logique de l’absurde, puisqu’elles tuent l’espace qu’elles occupent et finissent par mourir à leur tour.«Cela veut dire que pour prévenir ou guérir le cancer, il faudrait être plus vivant que lui», ajouta mon assistant. Je crois que c’est vrai.Comment faire?D’abord comprendre ce qu’est la vie. Comme la culture occidentale qui lui a donné naissance, notre médecine technologique est coupée de la nature et de la vie. Elle analyse les détails, mais ne comprend pas les liens qui existent entre les différents éléments de son analyse. Or, ces liens sont le spiritus latin, le souffle qui crée et anime le vivant.Notre déconnexion de la nature et notre manque de compréhension «spirituelle» expliquent la plupart de crises écologiques, économiques et sociétales actuelles. L’accroissement du nombre des cancers fait partie de ces crises.Il me paraît donc urgent de recréer une forme de spiritualité, dans le sens d’une compréhension des liens qui font le spiritus. Nous comprendrions alors qu’être pleinement vivants nécessite de faire confiance à la vie, de ne pas se faire peur inutilement, de rester fluides comme l’eau qui nous constitue, d’écouter nos besoins essentiels, souvent très simples et respectueux de la nature. Nous serions capables de prévenir le mal au lieu de simplement le réparer.En abordant la cinquantaine, qu’est-ce qui compte le plus pour vous désormais?Vivre le plus consciemment possible, être authentique, ne pas tricher, ni avec moi-même, ni avec les autres, aller à l’essentiel, aimer et dire merci. Comprendre la loi des causes et des effets qui crée le chaos et la maladie et identifier ma responsabilité dans l’installation de certaines de ces causes, afin d’être habilité à y répondre.Car nous avons plus de pouvoir que nous le pensons. Le tout est de rester cohérent par rapport à ce qui nous paraît vraiment essentiel.*Édition Les Liens qui libèrent, 2012; 27,95$.

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