IA et radiologie: une révolution technique, avant d’être diagnostique

Aux États-Unis, près des trois quarts des 950 dispositifs d’intelligence artificielle approuvés par la FDA concernent l’imagerie médicale. Depuis 10 ans, des experts annoncent, à l’envi, la disparition prochaine des radiologistes, remplacés par des algorithmes capables de lire des radios ou des IRM plus vite et, en théorie, mieux que n’importe quel humain. Au Québec, un «état des connaissances» sur l’IA en imagerie médicale, récemment publié par l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), dresse un tableau plus nuancé. La révolution est bien en marche, mais elle ne se joue pas encore là où on l’attendait.Dans l’imaginaire collectif, l’IA devait repérer spontanément une fracture, une masse pulmonaire ou une hémorragie. La réalité clinique est toute autre. «Tout ce qui touche aux hautes fonctions cognitives du radiologiste - interprétation et diagnostic - ne fonctionne pas encore», tranche le Dr Grégoire Bernèche, président de l’Association des radiologistes du Québec (ARQ).Les outils actuellement disponibles peinent à être fiables hors des laboratoires. Trop de faux positifs, trop de faux négatifs. «On parle d’une fois sur quatre où une radiographie normale est déclarée anormale par l’IA», illustre le Dr Bernèche. Une fracture évidente manquée. Une calcification confondue avec une hémorragie. Une lésion oubliée. «Dans ce contexte-là, ça me fait perdre du temps», constate le médecin qui exerce à l’Hôpital Pierre-Boucher de Longueuil.Le rapport de l’INESSS abonde dans le même sens. Malgré des centaines d’algorithmes approuvés à l’international, les résultats demeurent «très variables d’un contexte à l’autre» et les performances «tendent à diminuer lors d’une utilisation sur de nouvelles données et dans des conditions réelles», indique l’Institut. Trop de variables techniques. Trop de complexité biologique pour les modèles actuels.À l’Hôpital du Lakeshore, à Pointe-Claire, l’outil Smart Trauma suscite l’intérêt pour accélérer la prise en charge (voir encadré ci-dessous). Mais pour le Dr An Tang, la vigilance reste de mise. «Un gain de vitesse n’est pas un gain de précision», observe le radiologiste au Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM). Et dans une urgence, une fracture ratée ou une hémorragie non détectée n’est jamais un détail.«Nos attentes sont élevées. Peut-être trop», résume le Dr Bernèche. Le diagnostic automatisé viendra sans doute un jour. Mais ce n’est pas pour tout de suite.Une IA déjà performante, dans l’ombreSi l’IA ne remplace pas encore l’œil expert du radiologue, elle améliore déjà la radiologie au quotidien; discrètement, mais de façon déterminante. «C’est dans ce qu’il y a sous la pointe de l’iceberg que les gains les plus concrets se font aujourd’hui», souligne le président de l’ARQ.Dans les appareils eux-mêmes, les algorithmes réduisent la dose de radiation au scanner et accélèrent l’acquisition des images en IRM. Une IRM du genou qui prenait 15 minutes peut aujourd’hui se faire en moins de quatre minutes», illustre le radiologiste. Donc moins de contraintes pour les patients et à la clé, deux à trois fois plus d’examens réalisés dans une même plage horaire.L’IA sait aussi mesurer. Avec une précision chirurgicale. Elle est capable de calculer le volume d’une tumeur, la progression d’un anévrisme ou une quantité de liquide dans l’abdomen avec une précision inaccessible à l’œil humain. «L’intelligence artificielle excelle dans la volumétrie. Elle ne fait pas des estimations grossières comme nous. Elle compte chaque pixel», dit-il.Quand l’IA fait gagner du temps… ou en fait perdreMême apport du côté du langage. Les outils de reconnaissance vocale permettent de transcrire un rapport en temps réel, sans délai dactylographique. «Quand je termine un examen, le rapport est immédiatement disponible au clinicien», relève le Dr Bernèche. Une avancée qui pourrait éliminer les délais de plusieurs jours – voire de plusieurs semaines – encore fréquents au Québec.Mais pour l’heure, tout n’est pas encore prêt pour un usage fluide. «Le logiciel de reconnaissance vocale qu’on emploie actuellement fonctionne moyen, c’est extrêmement chronophage de corriger les erreurs d’interprétation», nuance le Dr Tang. Une amélioration est toutefois attendue avec l’arrivée du nouveau visualiseur provincial.L’INESSS confirme ces bénéfices tangibles. Dans son état des connaissances, l’organisme juge que l’IA intégrée aux systèmes d’imagerie constitue «une valeur ajoutée notable» dans l’optimisation des flux de travail et la qualité technique des images, et qu’elle pourrait contribuer à réduire les réadmissions et les examens répétés liés à des images non optimales. Des gains bien moins spectaculaires que le diagnostic automatisé… mais bel et bien réels.À lire aussi: Étudiants et résidents en médecine: 5 choses à considérer pour se préparer à l'IADe petits projets… pour de grands apprentissagesAu Québec, plusieurs initiatives font le pont entre promesses et réalité. Certaines optimisent l’existant. D’autres testent, à petite échelle, des usages plus ambitieux. «Nous sommes à l’étape de la validation locale et multicentrée», résume le Dr Tang. Avant d’envisager un déploiement large, il faut «documenter chaque cas, analyser les discordances et prouver qu’il y a un gain réel pour l’institution et pour les patients». Un travail long, exigeant, mais incontournable, estime le clinicien qui a présidé de 2017 à 2021 le groupe de travail sur l’IA de l’Association canadienne des radiologistes.Au CHU de Québec, des protocoles d’IRM accélérés sont actuellement évalués pour vérifier, de manière rigoureuse, le maintien de la qualité diagnostique malgré des séquences plus courtes. «On peut utiliser les logiciels, mais après, il faut prouver qu’ils apportent un réel avantage», souligne le Dr Tang. D’où l’importance de mesurer l’impact réel sur les patients et sur l’organisation des soins avant de passer à plus grande échelle.Dans certains services de radio-oncologie, des logiciels sont déjà utilisés pour bâtir des grilles de traitement plus efficaces, relève le Dr Tang. Cette IA ne lit pas d’images; elle relève plutôt de l’optimisation opérationnelle, mais son impact organisationnel peut être bien réel. Du côté du dépistage, l’INESSS rappelle que la double lecture en mammographie améliore la performance par rapport à un seul lecteur. Or «il n’y a pas assez de radiologistes au Québec ni sur Terre pour que toutes les mammographies soient lues par deux personnes», signale le médecin. Pour lui, il faudra «éventuellement considérer un système de double lecture avec assistance par logiciel», à condition de démontrer sa sécurité et sa pertinence dans le contexte québécois. L’Institut cite aussi les programmes de dépistage du cancer du poumon et colorectal comme des candidats naturels à une intégration progressive de l’IA, mais souligne que ces usages restent à documenter.À lire aussi: Êtes-vous prêt pour Docteur ChatGPT?Une infrastructure pour changer la donneAvec le déploiement du nouveau visualiseur d’imagerie médicale au CHUM et à Sainte-Justine, le Québec s’équipe d’une infrastructure capitale: toutes les images du réseau pourront être consultées et analysées dans un système unifié. Ce visualiseur intègre déjà des fonctions d’IA (transcription automatique, volumétrie) et offre une boutique intégrée d’applications permettant d’ajouter des algorithmes spécialisés, par exemple pour la détection de nodules pulmonaires. «On va pouvoir prendre l’application dont on a besoin et l’intégrer directement dans notre environnement clinique», se réjouit le Dr Bernèche.Mais cette plateforme ne suffira pas. Il faudra aussi développer et valider localement les outils qui y seront déployés. «Si nous ne développons pas nous-mêmes nos algorithmes, on va juste acheter des logiciels comme on achète des civières», avertit le Dr Tang. L’INESSS insiste pour sa part sur la nécessité d’éprouver les algorithmes «sur nos images, nos appareils, notre population», afin d’éviter une chute de performance ou des biais non détectés.Le Québec n’est pas en manque de ressources. Mila - l’Institut québécois d’intelligence artificielle - mobilise des centaines de chercheurs, des universités et des entreprises spécialisées, ce qui en fait un atout majeur pour innover ici. Le choix est maintenant politique et stratégique: voulons-nous bâtir l’IA qui soutiendra nos soins de demain, ou rester de simples consommateurs d’algorithmes conçus ailleurs?

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