Histoire de la médecine, Portraits de nos grands médecins: Hans Selye

Notre chroniqueur Jacques Beaulieu a signé plus d’une trentaine d’ouvrages sur la santé avec différents spécialistes du Québec. Nous remercions Le psychiatre Pierre Doucet qui collabore à cette série de portraits à titre de réviseur.Au début des années 1980, j’ai eu le privilège d’écrire la télésérie Science et Technologie, diffusée sur le réseau TVA, où j’ai eu l’immense privilège de rencontrer et d’interviewer le Dr Hans Selye.Ayant terminé un épisode sur le cerveau, je m’adressai au Dr Hans Selye et l’invitai à participer à l’émission. Il demanda à voir les textes et la liste des autres chercheurs interviewés dans le cadre de ce programme. Je la lui fis parvenir de bonne grâce. On m’avait dit que son état de santé était fragile et qu’il n’acceptait pas de se déplacer. À ma grande surprise, il accéda à ma demande et me fixa un rendez-vous à son bureau de l’Université de Montréal. Il ne mit qu’une seule condition : l’équipe technique et l’animateur devaient être fin prêts lorsqu’il arriverait à l’heure convenue sur les lieux du tournage. J’avisai donc le réalisateur, l’équipe technique et l’animateur de se présenter 45 minutes avant l’arrivée du célèbre docteur. En ce qui me concerne, je me pointai une heure avant pour être certain que tout serait en place, selon les désirs du Dr Selye. Par un malencontreux hasard, l’équipe technique se présenta avec près d’une heure de retard. Le Dr Selye conserva un calme absolu durant cette attente, mais je sentais bien qu’à l’intérieur un volcan était sur le point d’exploser. Lorsque les caméras se mirent à tourner, il répondit de bon gré à toutes les questions, puis, l’entrevue terminée, il se leva et dit : « Il n’y avait que deux professionnels ici, aujourd’hui, M. Beaulieu et moi. Les autres, vous ne méritez pas mon respect. » Et il quitta le bureau très lentement, aidé par la personne qui l’y avait conduit. Ce fut la dernière entrevue qu’il accorda aux médias. Quelques mois plus tard, il décédait. Ces quelques 90 minutes que j’avais passées en présence d’Hans Selye m’avaient amené à côtoyer un homme d’une grande intelligence, d’une grande rigueur, et habitué à une position d’autorité. Ce que j’ai appris en fouillant les archives pour écrire cette courte biographie n’a pu que m’en convaincre davantage.Né à Vienne le 26 janvier 1907, Hans Selye était le fils d’un médecin militaire. Il fit ses études de médecine à l’Université de Prague, puis à Paris et à Rome. Il fut reçu médecin en 1929 et opta pour la recherche et non la pratique médicale. Il obtint un poste d’assistant à l’Institut de pathologie expérimentale et laboratoire histologique de Prague. Il y demeura jusqu’en 1931, année où il obtint la bourse Rockefeller pour faire des recherches à l’Université John Hopkins. En 1932, il cumulait les postes de professeur de biochimie à l’Université de Montréal et à l’Université McGill, tout en demeurant conseiller général pour la US Army. En 1941, il fut le premier directeur de l’Institut de médecine expérimentale et de chirurgie de l’Université de Montréal, poste qu’il occupera jusqu’en 1976.Voici, telles que résumées par Chartrand Saint-Louis2, les six règles d’or du Dr Selye pour être heureux : Privilégier la simplicité dans les habitudes de vie; Éviter les complications inutiles; Gagner la bonne volonté d’autrui; S’efforcer d’oublier ce qui est laid et pénible, mais inévitable; Crever l’abcès au lieu de prolonger la douleur; L’activité est une nécessité biologique.Durant toute sa vie, il rédigera 39 livres et 1700 articles scientifiques. Ses travaux ont été cités dans plus de 362 000 articles scientifiques, ce qui fait du Dr Selye le chercheur de l’Université de Montréal le plus connu dans le monde, et de loin. D’ailleurs, il a été surnommé « le Einstein de la médecine », car son apport à la médecine a été aussi grand que celui d’Albert Einstein à la physique. Bien sûr, cette notoriété, il la doit à ce concept de stress qu’il a découvert, étudié et décrit avec tant de succès. Il écrira lui-même dans sa biographie : « L’idée du concept de stress et de syndrome général d’adaptation (SGA) m’est venue en 1925, alors que j’étudiais la médecine à l’Université de Prague. [...] Je ne pouvais comprendre pourquoi, dès l’aube de l’histoire de la médecine, des médecins avaient concentré tous leurs efforts sur la reconnaissance de la maladie particulière et la découverte de remèdes spécifiques sans prêter aucune attention à quelque chose de beaucoup plus évident, “ le syndrome du simple fait d’être malade ”. [...] Ce ne fut cependant que dix années plus tard que je parvins à exprimer tout cela dans le langage précis de la description scientifique fondée sur l’expérimentation. Dans son ensemble, le syndrome de stress, ou syndrome général d’adaptation (SGA), évolue selon trois stades successifs : 1) la réaction d’alarme “ pendant laquelle les forces de défense sont mobilisées ”; 2) le stade de résistance “ qui reflète la complète adaptation à l’agent stressant ”; 3) le stade d’épuisement “ qui suit inexorablement pourvu que l’agent stressant soit assez puissant et agisse assez longtemps, le pouvoir d’adaptation d’un être vivant étant toujours limité1. ” »Hans Selye a reçu de nombreux honneurs tout au long de sa vie : fellow de la Société royale du Canada et fellow honorifique de 68 autres associations scientifiques, compagnon de l’Ordre du Canada, il fut aussi lauréat du prix Rockefeller, reçut le Prix de l’œuvre scientifique de l’Association des médecins de langue française du Canada, et fut membre du Temple de la renommée médicale canadienne. Plusieurs centres de recherche et instituts portent son nom, tels que l’Université Selye Janis, de Révkomarom, en Slovaquie.Le Dr Selye fut nommé 10 fois comme candidat au prix Nobel. À au moins deux reprises, il passa très près d’obtenir ce fameux prix. En 1977, il eut une consolation : l’un de ses élèves, le Dr Roger Guillemin, remporta le prix Nobel de médecine.D’aucuns témoignent que le Dr Selye a connu une fin de vie pleine de tristesse et d’amertume. Il mourut en effet avec la conviction de ne pas avoir été reconnu à sa juste valeur.Ainsi que nous le constatons depuis le début de cette série d’articles sur nos médecins célèbres, il est fort probable qu’il ait eu raison. L’être humain maîtrise trop souvent l’art d’ignorer les grands noms de ceux qui l’entourent. Mais nous pouvons quand même bénéficier de leurs enseignements.Quelques dates importantes1907, 25 janvier : Naissance de Hans Selye (Selye Janos).1925 : Durant ses études de médecine, il a l’idée d’une maladie qu’il nomme « syndrome général d’adaptation ».1929 : Diplôme de médecine de l’Université de Prague.1931 : Doctorat en sciences, Université de Prague.1931 : Lauréat du prix Rockefeller.1932 : Arrivée à Montréal. Enseigne à l’Université McGill (1932-1945).1939 : Il obtient sa citoyenneté canadienne.1945 : Professeur à l’Université de Montréal.1956 : Publication de son premier livre Le Stress de la vie.1973 : Publication du livre Du rêve à la découverte.1974 : Publication du livre Le Stress sans détresse.1974 : Prix de l’œuvre scientifique (AMLFC).1976 : Fonde l’Institut international du stress à l’Université de Montréal.1977 : Publication de son autobiographie The Stress of my life.1977 : Lauréat du Prix littéraire pour œuvre non fictive de l’Association canadienne des auteurs.1979 : Crée avec Alvin Toffler (illustre sociologue et futurologue américain) l’Institut canadien du stress ainsi que la Fondation Hans-Selye.1982, 16 octobre : Mort de Hans Selye.1989 : Création de la chaire Hans-Selye à l’Université de Montréal.2006 : Membre du Temple de la renommée médicale canadienne.1. Hans Selye, Du rêve à la découverte, Éditions La Presse, 1973, 66-8.2. albertportail.info/article.php3?id_article=100 (dernière consultation le1er mai 2010).

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