Fraude au DSQ par un étudiant: une autre pharmacienne dans la tourmente

L’affaire, inédite, a fait grand bruit il y a quelques semaines: un pharmacien propriétaire, Joseph Alexander Basa, a été sanctionné par le Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) pour négligence et manquement à la déontologie, après qu’un étudiant ait profité de ses codes d’accès au Dossier Santé Québec (DSQ) pour inscrire frauduleusement des centaines de personnes au registre des vaccination du Québec. Pour rappel, l’étudiant fraudeur, qui a fini par avouer les faits auprès du syndic, ainsi qu’un de ses camarades, tous deux en 4e année de pharmacie à l’Université de Montréal et formés à la vaccination, s’étaient présentés à la pharmacie Brunet Clinique Mathieu Roberge et Joseph Alexander Basa Pharmaciens Inc pour prêter main forte pendant la pandémie de COVID-19. Ils ont alors été engagés pour renforcer les équipes entre décembre 2021 et avril 2022, sans être rémunérés.Si l'identité de l'étudiant fraudeur est désormais protégée par une ordonnance de non diffusion – bien qu'il ait été identifié dans la précédente affaire, lire notre article à ce propos –, son camarade, qui a toujours nié avoir pris part à la fraude, est Mohammed-El Mahdi Zakaryaa. À lire aussi: Malgré ses fraudes, comment un ancien étudiant peut-il échapper au Conseil de discipline de l’OPQ?Pendant leur formation supervisée par Joseph Alexander Basa, les deux étudiants «semblaient être à la hauteur des tâches qui leur étaient attribuées et qui incluaient, notamment, l’accueil des patients, la préparation de la dose de vaccination, la préparation des patients et l’inscription de la vaccination dans le registre», témoignera plus tard le pharmacien propriétaire. C’est ainsi que, dans ce contexte pandémique, le pharmacien propriétaire les a autorisés à utiliser sa clé DSQ pour inscrire les nouvelles vaccinations au Registre, une tâche auparavant effectuée par les pharmaciens. L’étudiant fraudeur a ainsi réalisé entre 200 et 400 fausses inscriptions de vaccination «à la demande de membres de sa famille et, par la suite, de connaissances et de demandes reçues via Snapchat», parfois de manière rémunérée. Le tout, à l’insu et au nom de Joseph Alexander Basa.Près de 350 fausses preuves de vaccinations inscrites en deux joursÀ la pharmacie Brunet, les professionnels impliqués dans cette fraude sont nombreux. La dernière connue est Tin Wai Wendy Ngan, pharmacienne salariée, accusée par le syndic de l’OPQ d'avoir laissé l'utilisation de sa clé à ces deux mêmes étudiants stagiaires, «permettant ainsi l’inscription frauduleuse de personnes au registre de vaccination du Québec comme ayant été vaccinées contre la COVID-19, alors que ce n’était pas le cas.» Dans son cas, la majorité des inscriptions suspectes ont été effectuées les 8 et 15 janvier 2022, dates auxquelles la pharmacienne salariée et les deux étudiants stagiaires travaillaient à la pharmacie. Sur ces deux jours, près de 350 fausses preuves de vaccinations ont été inscrites au Registre d’après une analyse effectuée par Mathieu Roberge, le pharmacien propriétaire. «Le 8 janvier 2022, 19 injections de vrai sur 137 dans le registre de vaccin, [et le] 15 janvier, 28 injections de vrai sur 204 dans le registre de vaccin», précise-t-il dans son courriel au syndic. Problème: c’est le nom de l’utilisateur DSQ, et donc celui de Tin Wai Wendy Ngan, qui apparaît à côté de chaque inscription, qu’elle soit vraie ou fausse. La demande d’enquête initiale, déposée le 12 avril 2022, émane de Paula Yiannopoulos, directrice adjointe de la campagne de vaccination COVID-19 du CIUSSS du Centre-Ouest de l’Île de Montréal et son équipe, qui disent avoir observé «une situation impliquant une pharmacie communautaire présentant de fortes irrégularités dans la saisie des données dans le registre de vaccination provincial».Lors de l'audition par le Conseil de discipline, Paula Yiannopoulos a confirmé que le rapport de l’INSPQ fourni comme preuve recensait 890 doses présentant des anomalies, une situation dénoncée à l’Unité permanente anticorruption (UPAC) et à l’Ordre. Des étudiants fréquemment sur leurs téléphones intelligentsDe son côté, le pharmacien propriétaire Mathieu Roberge a réitéré sa «confiance absolue» en son équipe, et donc en Tin Wai Wendy Ngan, qui réalisent selon lui un travail «extraordinaire», et qui «croyaient tous en la cause» et voulaient aider «le plus de monde que possible» pendant la pandémie de COVID-19. Il a en revanche confirmé que «les étudiants n’ont jamais possédé de clé DSQ à leurs noms et que c’est son copropriétaire [Joseph Alexander Basa] qui était responsable des étudiants.»Plusieurs collègues de la pharmacienne salariée ont aussi été entendus par le Conseil de discipline, tous témoignant de la qualité de son travail et de son professionnalisme, «toujours à son affaire», effectuant «fréquemment une rotation pour vérifier le travail des étudiants et des autres employés» et s’assurant de déverrouiller elle-même «l’ordinateur avec sa clé DSQ pour donner l’accès au registre de vaccination aux étudiants, mais toujours sans leur révéler ses codes d’accès confidentiels.» Le tout, plus d’une dizaine de fois par jour. Ne manquez pas: Une pharmacienne propriétaire sanctionnée pour avoir laissé des ados manipuler des stupéfiantsEn outre, son poste de travail lui permet d’avoir une vue d’ensemble des lieux, ainsi qu’une vue directe sur le poste des deux stagiaires, ce que confirme Tin Wai Wendy Ngan lors de son audition. Cette dernière s’est dite à l’époque rassurée sur le travail des deux étudiants par son pharmacien propriétaire, mais aussi par le comportement et les connaissances de ses stagiaires.Si elle a affirmé surveiller «l’ensemble de leurs gestes», écouter leurs conversations avec les clients, leur demander s’ils ont des questions et se tenir au courant du «nombre de vaccins administrés et [du] nombre de rendez-vous sur Clic Santé», elle a révélé que «les étudiants stagiaires [parlaient] souvent en arabe entre eux et ne [pouvaient] donc pas être compris par le reste des employés, et [étaient] fréquemment sur leurs téléphones intelligents.» Une fraude massive en «quelques clics» pour un gain de 10 000$Enfin, l’étudiant fraudeur, qui avait avoué les faits au mois de septembre 2023, a expliqué son modus operandi, confirmant être le seul auteur des entrées frauduleuses au registre de vaccination du Québec et avoir profité de l’accès donné par Tin Wai Wendy Ngan et Joseph Alexander Basa par le biais de leurs clés DSQ. Il a en outre précisé qu’il ne détenait pas de clé DSQ lorsqu’il travaillait à la pharmacie.«Il confirme pouvoir entrer plusieurs fausses données au registre de vaccination en “quelques clics” par le biais de la fonction “saisie massive”», rapporte le Conseil de discipline. Cette procédure, que devaient suivre les deux stagiaires formés par Joseph Alexander Basa, permet en effet de saisir «de 80 à 100 vaccins à la fois au registre de vaccination, et ce, en un peu plus d’une dizaine de minutes», a confirmé la pharmacienne salariée lors de son audition. Un «stratagème profitable», puisque l'étudiant aurait amassé environ 10 000$ en entrant les informations des «faux clients», incluant leurs noms et numéros d’assurance maladie, au registre de vaccination. Consultez: Une pharmacienne sanctionnée pour avoir consulté le DSQ d’un procheDans sa décision, le Conseil de discipline souligne la négligence de Tin Wai Wendy Ngan, qui a manqué de vigilance concernant les tâches effectuées par les deux étudiants stagiaires, et rappelle que le pharmacien ou la pharmacienne «engage sa responsabilité déontologique et professionnelle lorsqu’un geste est commis en son nom.»La pharmacienne salariée «aurait pu superviser les étudiants stagiaires lorsqu’ils entrent les informations ou même attendre de les inscrire elle-même», ce qui aurait pu éviter la fraude selon le Conseil.Ce dernier la déclare donc coupable en vertu de l’article 4 du Code de déontologie des pharmaciens et l’article 59.2 du Code des professions, mais l'acquitte en vertu des articles 35 et 56 du Code de déontologie des pharmaciens. Une prochaine audition devra déterminer la sanction adéquate.

Fraude au DSQ par un étudiant: une autre pharmacienne dans la tourmente

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes