«Former où l'on soigne»: l’Université du Québec annonce un nouveau programme de médecine familiale

Alors que le ministre de la Santé et des services sociaux, Christian Dubé, annonçait la semaine dernière des sanctions financières pour obliger les nouveaux médecins à exercer dans le public et au Québec pendant leurs premières années de pratique, l’Université du Québec (UQ) apporte une solution différente au même objectif: un nouveau programme de médecine de famille dédié à la pratique dans le réseau de la santé et des services sociaux. Une première encore en développement, pilotée par Céline Poncelin de Raucourt, vice-présidente à l'enseignement et à la recherche pour l’UQ, et par Alexandre Parent, docteur en physiologie et cadre-conseil pour le Secteur santé. Profession Santé les a rencontrés.Quel constat vous a poussé à élaborer ce projet ? Céline Poncelin de Raucourt: La pénurie de médecins de famille au Québec est réelle, il en manque 1500 selon la Fédération des médecins omnipraticiens (FMOQ). De plus, le quart des Québécois et Québécoises n’a pas accès à un médecin de famille – on doit être le pire territoire du Canada. Enfin, l’enjeu du vieillissement, à la fois parmi les médecins et la population, est aussi présent: la moitié des médecins de famille va prendre sa retraite d’ici dix ans. Ce qui est paradoxal, c’est que 93% des places de résidence en médecine de famille qui sont non comblées au pays se trouvent au Québec. Ça fait de nombreuses années que nous songeons à ce projet. La médecine est l’un des derniers domaines que l’Université du Québec ne couvre pas, et nous avons une responsabilité face à ce type d’enjeu, en tant que réseau de 10 établissements. Nos établissements sont réunis autour d’une même mission d’accessibilité. Nous voulons faire partie intégrante de la solution en proposant ce programme de médecine familiale préventive dédiée au réseau de la santé.En quoi consistera ce projet exactement?Céline Poncelin de Raucourt: On ne parle pas de faculté ou d’école, mais vraiment d’un programme qui va être offert dans les différents établissements de l’Université du Québec. On veut former principalement des médecins de famille, et peut-être dans un second temps certaines spécialités de première ligne. Ce programme de formation pourra être accessible et offert sur l’ensemble du territoire, parce que le réseau de l’UQ couvre une grande partie du Québec. On veut que les points d’accès de la formation ne soient plus uniquement Montréal, Québec et Sherbrooke avec des sites délocalisés comme c’est le cas en ce moment. Que contiendra-t-il? Céline Poncelin de Raucourt: Nous nous sommes mobilisés autour de plusieurs principes, de grandes valeurs, et d’une sensibilisation aux déterminants sociaux de la santé. Notre programme reposera sur cinq piliers: une médecine communautaire (on forme où l’on soigne), humaine (inclusion de la diversité, sécurisation culturelle), durable (prévention, déterminants sociaux et environnementaux), collaborative (place de l’interprofessionnalité et de la collaboration avec les patients dans le cursus) et efficiente (utiliser les technologies comme la télémédecine dans certaines régions). Nous voulons aussi développer les stages longitudinaux intégrés, pour que les milieux de soins puissent bénéficier de stagiaires au long cours et pas simplement deux semaines. Nous devons répondre aux besoins des communautés, pas simplement des universités. Renforcer les équipes au lieu de les déstabiliser. Alexandre Parent: J’aimerais insister sur l’importance de l’interprofessionnalité, car la solution ne réside pas seulement dans le fait de former plus de médecins de famille. Il faut des partenariats avec les autres professionnels de santé.Pourquoi un tel désamour pour la médecine de famille au Québec selon vous?Céline Poncelin de Raucourt: L’une des questions est celle du profil des étudiants qui sont recrutés par les programmes actuels. On entend aussi que les cursus de formation restent très hospitalo-centrés, et que les médecins spécialistes interviennent trop tôt dans la formation des futurs médecins. Des étudiants nous disent souvent que, quand des spécialistes viennent leur parler de leur métier, de comment fonctionne le cerveau ou le cœur, en leur disant qu’ils sont passionnés et que c’est ce qui est passionnant dans la médecine, ils n’ont plus envie de faire autre chose. La médecine de famille apparaît assez loin dans le cursus et n'est pas très valorisée. Il faudrait que les omnipraticiens interviennent beaucoup plus tôt. Nous ne sommes pas dans une critique de la pertinence de l’offre de formation actuelle, on sait que certaines facultés de médecine ont travaillé fort pour faire évoluer leurs formations, les délocaliser, répondre aux nouveaux enjeux. L’idée n’est pas de les remplacer, mais d’être complémentaires et de revaloriser la médecine de famille.À lire aussi: Quand le mépris exacerbe l’exode des médecins de familleQuels profils aimeriez-vous cibler dans ce nouveau programme?Alexandre Parent: Il existe différents facteurs prédictifs de la prédisposition des étudiants à s’orienter vers la médecine de famille, qui plus est dans une région rurale ou éloignée. Évidemment, il y a la provenance de cette personne, la volonté de devenir médecin de famille et de pratiquer dans sa région. Donc, on est capable de sélectionner les gens très tôt dans le processus de recrutement, de manière à favoriser justement le retour de la pratique dans les régions. Au Québec, sur l'ensemble des candidatures qui se qualifient sur la base des critères académiques, 75% se voient refusées par les facultés de médecine à l'issue du processus de sélection. Quand on va identifier et implémenter des stratégies, que ce soit avant, pendant ou après la formation, on va s’assurer d’identifier aussi une philosophie de recrutement propre aux besoins que l’on tente d’adresser, et qui mette en avant les expertises de nos établissements. Ça pourrait être des mécanismes de repérage dans les communautés, des modalités de recrutement particulières pour certaines populations qui peuvent être sous-représentées dans les cohortes actuelles – une pondération est d’ailleurs en vigueur pour augmenter la cote de rendement collégial pour les étudiants de régions éloignées. Cette réflexion reste à faire, mais les données récentes provenant de nouveaux programmes à travers le Canada – comme celui de l’École de médecine du Nord de l’Ontario (EMNO), qui offre un modèle de formation basé sur l'engagement et les liens avec les communautés éloignées, rurales, autochtones et francophones – nous montrent que ce genre de recrutement fonctionne. En 2023, 88% des étudiants ayant obtenu leur diplôme et effectué leur résidence à l’EMNO sont restés dans le Nord de l’Ontario pour pratiquer selon les données de l'université. Céline Poncelin de Raucourt: On préfère recruter la 2e, 3e ou 4e personne sur la liste plutôt que la première si elle montre le goût de s’impliquer dans le réseau public. L’exemple de l’Université du Nord de l’Ontario notamment montre aussi que les communautés éloignées peuvent elles-mêmes repérer très tôt un jeune prometteur, se cotiser pour lui offrir le programme, suivre son parcours et s’assurer d’avoir un médecin de famille attaché à leur réalité.Retenir les médecins dans le public, c’est aussi la volonté du ministre Christian Dubé, qui a annoncé la semaine dernière des sanctions financières à l’encontre des nouveaux médecins qui iraient pratiquer au privé ou à l’extérieur du Québec…Céline Poncelin de Raucourt: Il y a deux enjeux. Celui d’amener les gens à choisir la médecine de famille. Puis celui du lieu où ils vont pratiquer. Malgré les efforts de délocalisation de certaines facultés, la rétention reste relativement faible dans les régions concernées par ces programmes. Les trois-quarts des étudiants formés à Trois-Rivières n’y restent pas, et retournent pour la plupart dans la région montréalaise ou à Québec. Au Saguenay, le taux de rétention est autour de 29%. Et récemment, l'Observatoire du développement de l'Outaouais a publié une étude montrant qu’aucun résident du programme délocalisé à Gatineau n'avait choisi cette région-là pour faire sa résidence. L’autre enjeu est aussi celui des médecins qui pratiquent dans le réseau public. Comme université nationale, on a cette mission d’accessibilité et on est persuadé de pouvoir résoudre ce problème avec une solution différente, complémentaire aux mesures mises en place par le ministre. Alexandre Parent: Nous avons le privilège de la page blanche pour insuffler un changement dans notre manière de former les médecins de famille, avec de l’encadrement, de l’exposition clinique, de l’exposition aux réalités des régions et du rôle très fort qu’y ont les médecins de famille. C’est ce qui semble manquer actuellement dans les facultés, où on leur demande de choisir leur lieu de résidence avant même de faire leur stage en médecine familiale. C’est dans la lignée du discours porté par les différents mémoires et rapports du Collège des médecins, de la Fédération médicale étudiante et de la FMOQ. L’état du réseau est-il un frein à l’envie des jeunes médecins de l’intégrer, et l’agence Santé Québec pourrait-elle y remédier?Céline Poncelin de Raucourt: Il faut tenir compte de cet état du réseau. Dans la plupart de nos programmes de formation des professionnels, le ministère nous demande comment on peut en former plus. Les deux plus gros freins à cela sont la capacité d'accueil et la capacité de supervision. On travaille sur tous les fronts en même temps. On a ouvert de nouvelles portes pour former davantage de travailleurs sociaux, on regarde comment on peut mieux collaborer pour la formation des IPS. Tout ça pour consolider les équipes. Nous sommes optimistes, car le principe de former là où l’on soigne va permettre de diversifier les milieux d’accueil. Les délocalisations sont intéressantes, mais le lieu central d’idéation et de commandes reste Montréal ou Québec. Les régions veulent avoir des partenaires et davantage de proximité. Nous n’avons pas encore ce dialogue avec Santé Québec, mais nous voulons l’ouvrir pour s’insérer le mieux possible dans le réseau et contribuer à soulager un système mal en point. Quelles sont les prochaines échéances du développement de ce projet?Céline Poncelin de Raucourt: Nous sommes en train de constituer une équipe-projet afin de mener des consultations, qui devraient prendre entre 18 et 24 mois. Nous n’avons pas de programme de médecine, donc il nous faut des experts. Mais notre vision est clairement établie, nous avons eu l’occasion d’en discuter avec plusieurs partenaires comme le MSSS et le ministère de l’Enseignement supérieur. On va donc préciser le curriculum, les modalités, la gouvernance, en lien avec les communautés universitaires de nos établissements, nos partenaires du réseau de la santé – les CLSC, les CISSS, les CIUSSS, les GMF – et les communautés qu’on veut desservir, à savoir les communautés rurales, les villes de région, les populations vulnérables aussi comme les Premières Nations. Alexandre Parent: Nous ne sommes pas dans le développement du programme, mais plus dans sa construction, pour s’assurer qu’il réponde bien aux besoins en termes d’accès aux soins de première ligne et de mise en valeur des expertises du réseau de l'UQ. Tout cela pour nous permettre d’aller chercher un financement. Nous prévoyons un échéancier de 3 à 5 ans pour accueillir le premier étudiant, à partir de l’obtention du financement. Nous recherchons aussi activement un président ou une présidente du comité de pilotage.

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