Former les influenceurs pour combattre la désinformation en santé

Article mis à jour le 13 juin 2024Et si les influenceurs eux-mêmes étaient la clé pour résoudre le problème de désinformation que leurs contenus participent à répandre sur les réseaux sociaux? C’est l’idée qu’ont eue deux étudiants en santé et un jeune diplômé en physiothérapie de l’Université de Montréal (UdeM), habitués de la vulgarisation sur les médias sociaux. «On a observé une quantité croissante de désinformation sur ces sujets, ainsi qu’une grande quantité d’entreprises faisant appel à des influenceurs pour vendre leurs produits de santé», explique ce dernier, Alexis Gougeon, à ProfessionSanté.ca. «Ce sont rarement les professionnels de santé eux-mêmes qu’on entend sur ces sujets», déplore-t-il. Le jeune physiothérapeute sait de quoi il parle, puisqu’il a lui-même créé son balado de vulgarisation, Parle-moi de santé, tandis que son acolyte Myriam Beaudry, nutritionniste-diététicienne candidate au doctorat de nutrition, propose Tête à tête avec la science. Faire un pont entre santé et influenceSi on ne peut pas empêcher l’information de circuler, on peut s'efforcer qu’elle soit correcte. C’est dans cette optique qu’Alexis et Myriam, accompagnés de leur troisième tête pensante Kévin L’Espérance, épidémiologiste-biochimiste et candidat au doctorat de santé publique, ont lancé le projet Science Influence, un programme de formation payant de 3 heures, dispensé par ses créateurs, pour éduquer et sensibiliser les créateurs de contenus eux-mêmes. «Nous nous adressons au monde de l’influence, mais aussi aux agences de communication, de marketing, de publicité aussi, car ce sont elles qui ont le budget et qui contrôlent les messages», explique Alexis Gougeon, qui veut créer une prise de conscience chez ses interlocuteurs. «Nous allons leur amener des données statistiques sur le nombre de gens qui se fient aux informations qu’ils trouvent sur les réseaux sociaux, et des exemples concrets en lien avec les différents messages marketing qui peuvent exister.»À lire aussi: Des médecins utilisent les tactiques des influenceurs pour étouffer la désinformationCette initiative est la première du genre, et un travail de longue haleine pour les trois jeunes professionnels de santé. «La santé et l’influence sont deux milieux qui évoluent en parallèle. Nous voulons faire le pont de communication entre leurs discours respectifs», explique Alexis Gougeon. Leur message de justice sociale et d’équité semble d’ailleurs être partagé par une nouvelle génération d’influenceurs, puisque la toute jeune ACRÉA (Association des créatrices et créateurs de contenu du Québec) s’est dite intéressée par une collaboration.Des outils d'autodéfense intellectuelleCes outils concrets d’autodéfense intellectuelle, comme les appellent leurs instigateurs, ont pour but d’aider les influenceurs à distinguer une bonne information d’une mauvaise, un vrai expert d’un charlatan. «Il faut qu’ils aient un meilleur bagage pour faire des choix éclairés concernant les contenus qu’ils acceptent de faire en leur nom propre», croit le jeune physiothérapeute.À lire aussi: Jusqu'où peut aller le marketing pharmaceutique?La formation propose donc des outils et conseils pour:se poser les bonnes questions pour des collaborations dans le domaine de la santé«reconnaître si une information en santé est fiable»la création de contenu touchant la santé et le bien-être«parler de santé en ligne de façon bienveillante»«renforcer [son] influence positive sur [sa] communauté»Parmi les conseils concrets donnés aux pros de l'influence, comment identifier un réel expert sur un sujet (en vérifiant que son discours soit nuancé, basé sur le consensus scientifique et dans son champ d'expertise) ou encore comment bien comprendre les chiffres et statistiques avant de les rediffuser.Bien loin de diaboliser les influenceurs ou créateurs de contenus, et ce nouveau marché titanesque – l’industrie globale du marketing d’influence devrait peser 24 milliards de dollars d’ici la fin de l’année, contre 21,1 milliards en 2023, selon la société danoise Influencer Marketing Hub –, les Scienfluenceurs, comme ils se surnomment, ont décidé de jouer le jeu avec leurs propres règles. Sur papier, l’intention est plus que louable. Mais la réussite de ce programme dépend d’abord et avant tout du bon vouloir de ces créateurs de contenus… Surtout si certains privilégient l’argent que leur rapporte le message plutôt que le message lui-même? C’est sans compter sur l’argument législatif mis de l'avant par Science Influence. «Des projets de loi ont commencé à passer concernant la publicité sur les réseaux sociaux, comme en France, explique Alexis Gougeon. Il s’agit désormais, pour le monde de l’influence, d’anticiper les lois. Il y a un intérêt financier évident à durer dans le temps. Ici, ce genre de loi arrivera éventuellement, car les ordres professionnels commencent à s’y intéresser. C’est un enjeu de santé publique.»Des risques pour les patients et les praticiensLes risques de la désinformation sur les réseaux sociaux sont en effet conséquents, à la fois pour le public et les professionnels de la santé (lire notre dossier sur le marketing pharmaceutique). D’un côté, le public ne disposera pas de toutes les informations sur le produit vanté par un influenceur, notamment les effets secondaires, et «ne pourra pas fournir un consentement libre et éclairé sur le choix du traitement», estime Alexis Gougeon. En fin de compte, le patient risque de payer ce que le physiothérapeute appelle «le coût de la renonciation»: «on perd du temps et de l’argent pour des traitements qui sont dits miraculeux, qui, même s’ils n’ont pas d’effet négatifs, font en sorte que les gens se privent du meilleur traitement disponible.»À lire aussi: Remèdes miracles: l'essor des traitements médicaux non prouvés, promus par les théories du complotD'un autre côté, «les professionnels de la santé s’exposent à ce que les gens viennent les voir avec leurs propres informations sans avoir consulté un médecin ou un pharmacien au préalable. Cela complexifie notre plan de traitement», poursuit-il.Les trois experts en sont convaincus, il est possible de parler de santé de manière éthique sur les médias sociaux, «si l’on reste dans une optique où les personnes qui en parlent ont les qualifications pour le faire», souligne Alexis Gougeon. «On ne pourra pas enrayer le phénomène de partage d’expériences personnelles, car le besoin d'identification est très important. Mais il faut pouvoir se rendre compte qu’il n’y a aucun avis professionnel derrière.»

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