Entrevue avec le président de la FMOQ: l’accès au médecin de famille passe par un système informatique et une infirmière

Le président de l’Association des omnipraticiens de Laurentides-Lanaudière (AMOLL), le Dr Marc-André Amyot, a dénoncé une publicité de la chaîne de pharmacies Uniprix dans laquelle une mère de famille, faute de pouvoir consulter un médecin, se tourne vers son pharmacien. Les patients ragent de ne pouvoir consulter un médecin de famille quand ils en ont besoin. Les médecins de famille se présentent, quant à eux, de plus en plus souvent comme les victimes du système de santé, voire ses boucs émissaires.Le Dr Louis Godin, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), a accepté de commenter pour L‘actualité médicale le climat dans lequel pratiquent les médecins de famille depuis quelque temps.Avez-vous été choqué par la publicité d’Uniprix ?Cette publicité a suscité beaucoup de réactions chez les médecins. Chaque automne, je fais le tour des associations de médecins de famille et j’ai ainsi l’occasion de rencontrer beaucoup de médecins sur le terrain. Les réactions que le Dr Amyot rapporte ont également été entendues ailleurs. Même si le groupe de pharmaciens dit ne pas viser les médecins, une majorité d’entre eux n’est pas restée indifférente.Pourquoi ? Elle montre pourtant la réalité.Aucun médecin ne nie les difficultés d’accès au Québec. La demande en soins de première ligne augmente plus vite que la capacité des médecins de famille à y répondre. Cela fait des mois qu’on dit qu’il faut faire quelque chose.Vous travaillez avec le gouvernement à améliorer la situation. Pourtant, sur le terrain, on n’a pas l’impression que cela s’arrange.Jamais vous ne m’avez entendu dire que le problème était réglé. Nous travaillons à mettre des choses de l’avant, mais nous avons été les premiers à dire que ça prendrait du temps. Si on nous donnait les moyens que nous demandons et qu’on mettait en place les solutions que nous proposons, on pourrait faire plus et mieux.Il est plus facile d’obtenir un rendez-vous pour un bilan annuel que pour un problème aigu. N’y a-t-il pas des choses à changer dans la pratique des médecins de famille ?Nous sommes en train de mettre en place un programme de formation pour les aider à gérer plus efficacement leurs rendez-vous. Il existe des façons de faire pour permettre à un médecin de voir plus de cas aigus avec la même somme de travail. Cependant, ça ne se fait pas du jour au lendemain.Quand ce programme sera-t-il offert ?Il sera testé au printemps auprès de dizaines de médecins, avant de le rendre accessible à tous. Il faut bien comprendre que pour faire de l’accès avancé (advanced access) et bien gérer ses rendez-vous, deux conditions sont quasi essentielles : un système informatique pour bien comprendre sa clientèle et, dans la mesure du possible, une infirmière. Pas nécessairement une IPS, mais une infirmière avec de bonnes connaissances pour créer une complicité interdisciplinaire avec le médecin. Les deux peuvent s’aider dans la prise en charge d’une clientèle.Que se passe-t-il si ces conditions ne sont pas réunies ?C’est plus difficile et moins efficace. Si on nous donnait carte blanche sur tous les moyens pour organiser le système, je vous jure qu’on améliorerait les soins ambulatoires. Mais il n’y a jamais d’argent, ni de ressources pour ces soins. On opère les cliniques réseaux et les cliniques médicales avec moins de 3 % du budget de la santé. Nous ne sommes pas capables de trouver les ressources nécessaires quand nous dépensons 97 % ailleurs. Et je suis convaincu que l’an prochain, une partie importante de tout l’argent dépensé en première ligne sera probablement réservée pour éponger les déficits des hôpitaux.Cette situation mine-t-elle la crédibilité des médecins ?C’est ce qui choque les médecins dans la publicité d’Uniprix. Ce n’est pas le fait qu’elle décrive la réalité ou que les médecins la nient, mais bien qu’on mine la crédibilité des médecins de famille.Il n’est pas normal d’avoir le choix entre attendre 10 heures à l’urgence ou consulter un chiropraticien pour vérifier si un enfant a une fracture.Les médecins essaient de s’organiser, proposent des solutions et doivent se battre au quotidien pour faire avancer la situation à petits pas. Il est normal que les médecins soient ébranlés quand ils voient à la télé une publicité suggérant que les médecins de famille n’ont pas d’autres solutions que de dire non à un patient qui n’a aucun problème à voir d’autres professionnels de la santé. Ce message peut être une image très négative des médecins de famille.Les médecins sont-ils inquiets ?Bien sûr, puisque ça peut donner l’impression que les médecins sont insensibles, ne font rien pour améliorer la situation, alors que c’est tout le contraire. On est en train de convaincre les gens que des médecins de famille travaillent à temps partiel.Quels sont les chiffres exacts ?Une faible part des médecins travaillent à temps partiel. Qu’est-ce qu’un médecin qui travaille à temps partiel ? Quelqu’un qui travaille 40 à 50 heures par semaine. Dans la réalité, les médecins ne travaillent pas 15 heures par semaine. Il y a des médecins de famille qui travaillent deux jours par semaine, comme dans n’importe quelle profession. Mais l’ensemble des médecins de famille travaille plus de 215 à 220 jours par année et plus de 9 à 10 heures par jour.D’où vient cette idée fausse ?Tous les chiffres que crient sur tous les toits d’autres représentants médicaux sont calculés à partir de revenus de base. Un médecin peut avoir des tâches administratives ou des cas peu rémunérants. Un médecin qui se déplace chez un patient pendant une heure touchera la mirobolante somme de 75 $. Ce discours mine la crédibilité des médecins de famille. Ajoutez-y le débat autour du projet de loi 41 où l’Ordre des pharmaciens disait avoir la solution au problème d’accessibilité à la première ligne, soit donner le droit de prescrire pour quelques conditions médicales qui demandent justement un diagnostic médical.Tout cela s’additionne ?Oui, et les médecins réagissent. Mais ce qui les choque le plus, ce sont les objectifs de résultats qu’on leur impose. On leur demande d’améliorer l’accessibilité et de prendre plus de patients en charge, mais sans leur donner tous les moyens pour y arriver. On me dit tout le temps qu’on ne peut pas me donner d’infirmières parce que ça ne marchera pas ou que je n’en trouverai pas. Mais qu’on l’essaie au moins ! Qu’on nous donne, à nous, les médecins, les leviers pour organiser des systèmes d’accessibilité pour les patients.Quels seraient ces leviers ?Pour bien les organiser, cela prend, par exemple, une garantie de ne pas avoir à me battre avec le spécialiste de l’hôpital pour qu’il voie mes patients quand je pense qu’ils en ont besoin. Ce n’est pas une question de rémunération, mais de ressources.Mais la première ligne est une priorité ?Prenez l’exemple des GMF. En 2008-2009, on en comptait 193. En mai 2011, il y en avait 228. Ce n’est pas ce que j’appelle investir massivement. Les médecins de la région de Québec me disent depuis des années être en négociation perpétuelle avec leur Agence pour leurs cliniques réseaux et jamais rien ne bouge. C’est aussi ça la réalité avec laquelle les médecins de famille sont aux prises.Que pensez-vous des commentaires du Dr François Vaillancourt* publiés sur ProfessionSanté à propos de la publicité d’Uniprix ?Une chose est sûre, il y a consensus pour dire que pour bien fonctionner, un système de santé a besoin des médecins de famille et d’une première ligne bien organisée, forte et accessible. Se donner les moyens de la rendre accessible passe par différents éléments, mais surtout par la volonté de le faire. Les médecins de famille ont la volonté de la rendre accessible. Alors, qu’on nous écoute ! On porte pas mal plus d’attention à élargir le champ d’activités de certains professionnels qu’on en passe à donner aux médecins de famille les moyens de travailler. Ça fait maintenant un peu plus de quatre ans que je suis à la présidence de la FMOQ et on parlait déjà à l’époque de l’informatisation de nos cabinets, ce qu’on va peut-être enfin réussir à obtenir dans les prochains mois.Vous êtes optimiste de signer cette partie de l’entente bientôt ?On me dit qu’on va convenir d’une entente. Ça ne règlera pas toute la situation. Ça aurait pris plus d’investissement en médecine de famille. On travaille donc à l’organisation sur le terrain. Financer la première ligne, c’est comme financer un hôpital où on ne se demande pas si on a besoin d’infirmières en salle d’opération pour appuyer les chirurgiens, c’est normal. On devrait avoir la même attitude avec un médecin de famille à l’extérieur de l’hôpital. Si on veut un système public universel accessible, donnons-nous les moyens qu’il le soit, sinon, que le ministre ait le courage de dire la vérité, à savoir que la première ligne n’est pas une priorité pour lui.* « Si malgré la nouvelle entente et les autres leviers disponibles (cliniques réseaux, GMF), nous ne parvenons pas d’ici quelques années à réorganiser la première ligne de façon efficace et acceptable pour les contribuables, nous perdrons probablement notre statut de travailleurs autonomes rémunérés par l’État et pourrions devenir des salariés conventionnés et employés par les CSSS qui auront la responsabilité d’organiser les services de première ligne. »

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