Entrevue avec le Dr Jean-Bernard Trudeau: mieux comprendre les ordonnances collectives

Le Dr Jean-Bernard Trudeau, secrétaire général adjoint du Collège des médecins du Québec, croit que les professionnels de la santé auraient avantage à travailler ensemble. Photo : Mathieu Ste-MarieEn 2003, l’entrée en vigueur de la loi 90 a entraîné une transformation majeure du système professionnel au Québec sur la prestation des soins de santé. Cette loi donne la possibilité aux médecins de rédiger des ordonnances collectives permettant à d’autres professionnels de la santé de bénéficier d’une plus grande autonomie. Près de quinze ans plus tard, le Collège des médecins du Québec (CMQ) estime toutefois que certaines précisions et clarifications s’imposent. Le CMQ a donc publié en mai dernier un guide visant à mieux outiller les professionnels dans leur utilisation des ordonnances collectives*. Entretien avec le Dr Jean-Bernard Trudeau, médecin de famille et secrétaire général adjoint du CMQ, sur ce sujet qui préoccupe de nombreux professionnels de la santé.Pourquoi avoir publié ce nouveau guide 15 ans après l’application de la loi 90?À l’époque, il y avait seulement un guide général qui abordait les ordonnances collectives et individuelles. Nous nous sommes aperçus, au fil du temps, que les ordonnances collectives étaient utilisées de façon variable et que la compréhension [des professionnels] n’était pas uniforme. Peut-être aurions-nous dû avoir ce guide plus tôt parce que c’est un outil pédagogique pour soutenir le médecin et lui permet de bien faire les choses au lieu de le laisser à lui-même. En introduction du guide, on souligne que l’expérience des dernières années a révélé certaines difficultés dans leur élaboration et leur application.Que voulez-vous dire?C’est essentiellement lié à un manque de compréhension des règlements. Nous avons vu des ordonnances collectives qui n’en étaient pas ou des ordonnances qui ne remplissaient pas les conditions. À la fin du document, il y a une série de questions qui aident les professionnels quant à savoir s’il faut élaborer une ordonnance collective. Jusqu’à maintenant, nous avons reçu des commentaires positifs des professionnels. La grille réussit le test.Dans ce guide, qu’est-ce qui permet une meilleure compréhension des ordonnances collectives?Nous étions soucieux de nous entendre sur les termes, de bien les définir afin que les professionnels aient la même interprétation des mots. Nous avons également campé les rôles et les responsabilités de chacun, puisque la responsabilité, c’est le nerf de la guerre. On ne peut pas dire : « Je veux être autonome professionnellement, mais je ne veux pas être responsable. S’il y a des problèmes, c’est à cause du docteur et si ça va bien, c’est grâce à moi. » En général, les membres des ordres professionnels comprennent très bien cela. Toutefois, sur le terrain, il y a un travail d’éducation à faire. Du jour au lendemain, les gens ont le droit de prescrire et ont leur propre conscience, leur propre responsabilité, ça change la donne.Avez-vous l’impression que cette publication va susciter l’intérêt des professionnels de la santé?Un des défis du Collège des médecins est de donner le goût aux gens de lire ces documents. Il faut qu’ils y voient une plus-value, il faut vendre les bienfaits de l’ordonnance collective. Dans le guide, nous avons une phrase que nous aimons bien : « Les ordonnances collectives sont là aussi pour permettre à d’autres professionnels de déployer pleinement leurs compétences et recentrer le médecin sur les activités qu’il est le seul à pouvoir faire. » L’ordonnance collective, c’est une reconnaissance des autres compétences des professionnels. Le défi est de faire connaître ces compétences-là. Rappelons qu’avant la loi 90 la pilule du lendemain devait être prescrite par un médecin avant de l’être par un pharmacien. Depuis 2002, les pharmaciens ont le droit de prescrire cette pilule. On en parle peu, mais beaucoup d’actes, réservés aux médecins, sont réalisés par d’autres professionnels de la santé aujourd’hui. Nous avons des gains de système.Avez-vous d’autres exemples de l’utilité des ordonnances collectives?Prenons l’exemple d’une personne qui s’est foulé la cheville. Sans ordonnance collective, le patient arrive à l’urgence et attend environ huit heures avant d’être vu par un médecin. Ce dernier demande ensuite la radiographie. Avec les résultats, le médecin doit réévaluer le patient et lui donner, le cas échéant, son congé de l’urgence. Au final, le patient a passé 11 heures à l’urgence. Dans un autre cas, le blessé arrive à l’urgence et l’infirmière déclenche immédiatement l’ordonnance collective, ce qui permet au patient de passer la radiographie. Le médecin l’évalue ensuite et peut lui donner son congé de l’urgence. Nous venons de sauver trois heures. Imaginons que 10 patients utilisent cette salle d’urgence dans une journée, ça fait déjà 30 heures. On peut ensuite multiplier par les quelque 50 urgences au Québec et par les 365 jours dans une année. Nous gagnerions beaucoup de temps pour les patients et les médecins.Malgré tout, les infirmières semblent peu enthousiastes quant à leur application…Dans les dernières années, les infirmières ont fait beaucoup de demandes afin qu’il y ait de nouvelles activités professionnelles autorisées. Ces demandes ont été acceptées par le Collège des médecins. Elles ont maintenant le droit de prescrire de façon complètement autonome. Nous ne pouvons pas avoir deux systèmes en même temps, car cela crée de la confusion. C’est pourquoi, en janvier dernier, on devait abolir les ordonnances collectives (pour les activités visées par le droit de prescrire des infirmières). Le délai a finalement été prolongé au 30 juin. Les milieux réagissent beaucoup parce qu’ils disent qu’il va peut-être y avoir des brisures de soins. Le conseil d’administration [du Collège des médecins du Québec] va réévaluer la situation en juin et pourrait reporter la date. Rappelons que l’an dernier l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec prévoyait que 10 000 infirmières allaient adhérer au droit de prescrire. En plus d’un an, seulement 3 000 infirmières y ont adhéré.L’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) procédera à la révision de l’ensemble des ordonnances nationales qu’il a produit en mars 2013. Qu’en pensez-vous?Avec la révision de notre règlement et de nos nouvelles définitions, les quatre premières ordonnances élaborées par l’INESSS (hypertension artérielle, anticoagulothérapie, dyslipidémie et diabète) sont, en fait, des ordonnances individuelles avec référence à un protocole. Le préalable de chacune de ces ordonnances est une évaluation par un médecin. Par exemple, si je vous évalue et que je fais une ordonnance, je demanderai à l’infirmière de vous suivre concernant le diabète, l’hypertension, le temps de coagulation ou le cholestérol en fonction d’un protocole. C’est une ordonnance individuelle puisque je l’ai personnalisée avec une référence à un protocole qu’un professionnel va appliquer. Une ordonnance collective n’a pas besoin de l’évaluation d’un médecin. C’est le travail du professionnel.Selon vous, le guide rejoint-il le concept d’interdisciplinarité que vous défendez depuis plusieurs années?C’est un outil parmi d’autres du travail d’équipe. Dans nos règlements, nous prévoyons des obligations de communication et de collaboration. Nous avons des médecins partenaires et des médecins répondants parce que nous voulons être certains que le patient ne tombera pas entre deux chaises. Ce n’est pas à lui de se battre pour avoir des soins. Les professionnels doivent s’organiser entre eux pour être sûrs que le patient circule librement dans le milieu de la santé. C’est loin d’être le cas.Selon vous, les professionnels auraient avantage à mieux travailler ensemble…L’interdisciplinarité, ce n’est pas une option, c’est une évidence maintenant. En 2017, travailler seul n’est pas une bonne pratique. C’est comme au hockey, si le médecin est le seul joueur sur la glace, c’est sûr qu’il y aura des rondelles qui entreront dans le filet. Et quand le disque pénètre dans le but, le problème s’installe. Lorsqu’il y a des attaquants, des défenseurs et que tout le monde travaille en équipe, il y a pas mal moins de chances que la rondelle touche les cordages. Le travail d’équipe, c’est vrai partout, et ça se traduit bien en santé. Il y a des hôpitaux en Angleterre qui ont grandement amélioré leur performance en travaillant avec l’équipe de McLaren en Formule 1. Ses membres doivent bien travailler ensemble lorsque l’auto s’arrête aux puits. La voiture s’immobilise 7,3 secondes et il y a une douzaine de personnes autour d’elle. C’est comme dans une salle d’opération, où il y a le même nombre de personnes autour du patient.* Collège des médecins du Québec, Les ordonnances collectives, mai 2017, 29 pages. Disponible sur le site Internet du Collège des médecins du Québec, au www.cmq.org.

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