Entrevue avec François Paradis: «Si le ministre veut arriver à ses fins, les pharmaciens devront être en nombre suffisant.»

Déjà aux prises avec des pénuries d’effectifs et des difficultés d’approvisionnement pour certains médicaments, les pharmaciens d’établissement ont dû composer depuis deux ans avec la pandémie de COVID-19 et ses retombées sur les soins prodigués en milieu hospitalier. Malgré ces défis, les pharmaciens d’établissement ont su maintenir à flot les circuits de médicaments et éviter les bris de services. Ils sont revenus sur ces événements - et les leçons qu'ils en on tirées - lors du premier congrès hybride de l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (APES), qui s’est déroulé les 24 et 25 mars derniers à Québec. ProfessionSanté.ca a rencontré sur les lieux le président de l’APES, le pharmacien François Paradis, pour une entrevue. (Les propos du président de l’APES ont été adaptés à des fins de clarté et de concision.) ProfessionSanté.ca: Le ministre de la Santé vous a convié à participer à son plan pour le système de la santé. Comment les pharmaciens d’établissement pourraient-ils jouer un plus grand rôle? François Paradis: Il faut que les pharmaciens d’établissement puissent s’investir dans les différentes missions que l’on trouve dans les hôpitaux et les milieux d’hébergement. Or, le défi reste d’avoir des effectifs suffisants. Avec la pénurie qui perdure, ce sont les soins pharmaceutiques qui écopent, car il faut maintenir d’autres services comme le circuit du médicament. Si le ministre veut arriver à ses fins, soit d’accroître l’accès aux soins, les pharmaciens devront être en nombre suffisant dans les équipes interdisciplinaires. Il faut que des ressources financières soient consenties pour de l’embauche supplémentaire, même si on vit présentement une pénurie d’effectifs. Il faut donc attirer de la relève. Il faut créer des conditions gagnantes. Le gouvernement souhaite notamment ajouter des enveloppes pour embaucher des pharmaciens de premier cycle dans les CHSLD. C’est une excellente nouvelle, mais avec la nuance que l’APES demande: que cela se fasse avec le soutien des pharmaciens qui ont des maîtrises et qui pratiquent dans des secteurs spécialisés. On souhaite que le gouvernement aille plus loin pour l’ajout de nouveaux postes dans les missions hospitalières qui nécessitent une maîtrise, car la pharmacothérapie est de plus en plus complexe et la population vieillit. Dans un domaine comme l’insuffisance rénale, pour donner un exemple, le quart des besoins est présentement couvert. Parlant des pénuries d’effectifs dans les départements de pharmacie, quel est le portrait actuel? Selon notre plus récente enquête, il y a entre 18% et 19% de postes non comblés. Nous y incluons certaines absences comme les congés de maternité ou les congés de maladie prolongés, car ce sont des personnes manquantes sur le plancher. Cela demeure extrêmement préoccupant. Outre le besoin d’augmenter le nombre de places à la maîtrise, nous souhaitons que le Ministère fasse la promotion de la profession de pharmacien d’établissement, car celle-ci reste encore méconnue même par les étudiants en pharmacie. On parle de la fatigue pandémique chez les professionnels de la santé après les vagues successives. Qu’en est-il des pharmaciens d’établissement? Nous avons réalisé un sondage qui montre que 70% des pharmaciens d’établissement considèrent que leurs santés mentale et physique se sont détériorées durant la pandémie. Il y avait une charge de travail accrue, mais doublée d’une crainte légitime face à une maladie qu’on ne connaissait pas. À cet égard, ce n’est pas différent de ce que l’on a constaté dans d’autres professions de la santé. Durant les premiers mois de la pandémie en particulier, il y a eu énormément de pression sur les épaules des pharmaciens, car il y avait un effet de vase communicant pour redistribuer les ressources où les besoins étaient grands. Malgré tout, les pharmaciens ont su tirer leur épingle du jeu afin notamment de gérer les pénuries de médicaments et de participer à l’organisation logistique de la campagne de vaccination. On entend parler beaucoup de l’impact de la loi 31 en pharmacie communautaire. Qu’a apporté cette loi en milieu hospitalier au cours des deux dernières années? Elle a apporté de l’autonomie. Le changement majeur est la possibilité maintenant d’établir des ententes de pratique avancée en partenariat, ce qui permet de mieux définir le rôle du pharmacien dans la prise en charge. Nous n’avons donc plus besoin des ordonnances collectives. Nous sommes enfin capables de mettre à profit notre expertise de spécialistes des médicaments au service des patients. Vous avez récemment conclu une entente avec le gouvernement pour pérenniser les primes que vous receviez. Où en est le processus de cette entente? Et qu’apportera-t-elle à moyen et long terme? Cette entente de principe, qui reste à finaliser et signer, représente un jalon important, car les primes y sont maintenant intégrées. Elles feront maintenant l’objet de négociations au même titre que nos autres conditions de travail. Nous venons donc d’enlever l’épée de Damoclès sur nos têtes, qui créait de l’insécurité chez nos membres. Comment voyez-vous l’intégration des techniciens en pharmacie dans les établissements de santé? Leur nombre sera-t-il suffisant? Nous sommes très contents de la création du programme et du titre d’emploi. Nous venons de terminer nos travaux pour guider prochainement les chefs et les gestionnaires des départements de pharmacie dans l’intégration des techniciens au sein des équipes. Le nombre de ces techniciens reste en effet une préoccupation majeure, de même que les enveloppes nécessaires afin de financer leurs embauches. Par ailleurs, il ne faut surtout pas penser que l’embauche d’un plus grand nombre de techniciens en pharmacie pourrait se traduire par le besoin de moins embaucher des pharmaciens d’établissement. La présence des techniciens va nous permettre de déléguer davantage certaines tâches pour nous permettre de faire plus de soins pharmaceutiques, mais les besoins en la matière sont loin d'être comblés. Quels gains potentiels voyez-vous à leur intégration? Les gains vont réellement dépendre des besoins de chaque milieu: ils pourront effectuer la supervision des assistants techniques en pharmacie, superviser le processus d’approvisionnement des médicaments, effectuer de la collecte de données. Différentes façons de faire sont possibles. Quels sont les autres défis qui attendent l’APES et les pharmaciens d’établissement? Nous devons poursuivre l’harmonisation de la pratique en publiant des guides de pratique comme celui que nous avions lancé en 2018 sur les soins pharmaceutiques, mais pour d’autres axes comme les services, la recherche, l’enseignement et la gestion. Nous voulons aussi faire cheminer notre projet sur les indicateurs afin de mesurer l’activité clinique du pharmacien. On essaie de faire embarquer le Ministère dans ce projet que nous avons lancé il y a un peu plus de deux ans. Le troisième élément est l’interdisciplinarité. Nous sommes en train de changer des paradigmes et cela entraîne de la résistance au changement chez les médecins, ainsi que chez les pharmaciens eux-mêmes.

Entrevue avec François Paradis: «Si le ministre veut arriver à ses fins, les pharmaciens devront être en nombre suffisant.»

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