É.-U.: Les lois sur l'avortement entraînent de profonds changements dans la pratique d’autres soins médicaux

Une survivante d'agression sexuelle choisit la stérilisation pour ne pas être obligée de donner naissance au bébé de son violeur si elle est à nouveau agressée. Un obstétricien retarde le déclenchement d'une fausse couche jusqu'à ce qu'une femme souffrant de graves complications de grossesse semble «suffisamment malade». Une patiente atteinte de lupus doit cesser de prendre les médicaments qui contrôlent sa maladie parce qu'ils peuvent également provoquer des fausses couches. Les restrictions à l'avortement dans un certain nombre d'États et la décision de la Cour suprême d'annuler l'arrêt Roe v. Wade ont de profondes répercussions sur la médecine de la reproduction ainsi que sur d'autres domaines des soins médicaux. «Pour les médecins comme pour les patients, c'est une période effrayante et tendue, avec des préoccupations nouvelles et sans précédent concernant la confidentialité des données, l'accès à la contraception et même le moment où il faut commencer à prodiguer des soins vitaux», a déploré le Dr Jack Resneck, président de l'American Medical Association. Même dans les cas d'urgence médicale, les médecins refusent parfois un traitement immédiat. La semaine dernière, une clinique d'avortement de l'Ohio a reçu des appels de deux femmes souffrant de grossesses ectopiques, qui ont déclaré que leur médecin ne voulait pas les traiter. Les grossesses ectopiques deviennent souvent des urgences potentiellement mortelles et les cliniques d'avortement ne sont pas équipées pour les traiter. Ce n'est qu'un exemple des «horribles effets en aval de la criminalisation des soins liés à l'avortement», a expliqué la Dre Catherine Romanos, qui travaille à la clinique de Dayton. Dilemmes médicaux Le Dr Jessian Munoz, un gynécologue-obstétricien de San Antonio, au Texas, qui traite les grossesses à haut risque, a précisé que les décisions médicales étaient autrefois tranchées. «C'était du genre, la vie de la maman est en danger, nous devons évacuer l'utérus par n'importe quel moyen, a-t-il dit. Que ce soit chirurgical ou médical - c'est le traitement.» Aujourd'hui, a-t-il ajouté, les médecins dont les patientes développent des complications de grossesse ont du mal à déterminer si une femme est «suffisamment malade» pour justifier un avortement. Avec la chute de l’arrêt Roe v. Wade, «l'art de la médecine s'est perdu et a été remplacé par la peur», a affirmé le Dr Munoz. Le Dr Munoz dit qu'il a été confronté à une situation terriblement difficile avec une patiente récente qui avait commencé à faire une fausse couche et développé une dangereuse infection de l'utérus. Le fœtus présentait encore des signes de battements cardiaques, de sorte qu'un avortement immédiat - la norme habituelle en matière de soins - aurait été illégal en vertu de la loi texane. «Nous l'avons regardée devenir de plus en plus malade physiquement» jusqu'à ce que les battements de cœur du fœtus s'arrêtent le lendemain, «et alors nous avons pu intervenir», a-t-il dit. La patiente a développé des complications, a dû être opérée, a perdu plusieurs litres de sang et a dû être placée sous respirateur, «tout cela parce que nous avions essentiellement 24 heures de retard». Dans une étude publiée ce mois-ci dans l'American Journal of Obstetrics and Gynecology, des médecins de deux hôpitaux du Texas ont cité les cas de 28 femmes enceintes de moins de 23 semaines qui ont été traitées pour des grossesses dangereuses. Les médecins ont noté que toutes ces femmes ont vu leur avortement recommandé être retardé de neuf jours en raison de la détection d'une activité cardiaque fœtale. Parmi elles, près de 60% ont développé des complications graves, soit près du double du nombre de complications rencontrées par les patientes d'autres États qui ont subi des avortements thérapeutiques immédiats. Sur huit naissances vivantes parmi les cas du Texas, sept sont mortes en quelques heures. La huitième, née à 24 semaines, a eu de graves complications, notamment une hémorragie cérébrale, une malformation cardiaque, une maladie pulmonaire et des problèmes intestinaux et hépatiques. Avant d'annuler l'arrêt Roe v. Wade, la Cour suprême n'a jamais autorisé les États à interdire l'avortement avant le moment où un fœtus peut survivre en dehors de l'utérus, soit environ 24 semaines. L'année dernière, Sheena Gray, cadre dans le secteur de la diversité à Chicago, a survécu à une expérience déchirante d'interruption de grossesse lorsque les médecins ont découvert qu'elle avait un embryon dans une trompe de Fallope et un fœtus de huit semaines dans son utérus. Ils ont retiré l'embryon ainsi que la trompe de Fallope, et lui ont dit qu'ils devaient avorter l'autre fœtus pour lui sauver la vie. C'est elle qui a décidé de poursuivre le traitement, l'avortement étant toujours légal dans l'Illinois. En fait, l'État offre un meilleur accès à l'avortement que la plupart des autres États, et a été inondé de patientes cherchant à avorter à la suite de la récente décision de la Cour suprême. Mme Gray dit avoir entendu parler de soins similaires refusés ou retardés dans d'autres États, et craint que la décision de la Cour suprême n'oblige d'autres patientes à subir le même sort. «Personne ne devrait faire ces choix pour une femme, point final», a-t-elle souligné. Son histoire a une fin beaucoup plus heureuse: Mme Gray est retombée enceinte et a donné naissance, le 8 juillet, à de vraies jumelles en bonne santé. Choisir la stérilité Julie Ann Nitsch, survivante d'une agression sexuelle et administratrice d'un collège communautaire à Austin, au Texas, fait partie des nombreuses femmes qui prennent des mesures radicales dans les États où la législation sur l'avortement est restrictive. Mme Nitsch dit avoir choisi la stérilisation à l'âge de 36 ans plutôt que de risquer de tomber enceinte d'un autre violeur. «J'ai arraché mes organes» pour éviter cela, dit-elle. Mme Nitsch dit avoir craint le pire après que le Texas ait promulgué l'année dernière une loi interdisant la plupart des avortements après six semaines, même en cas de viol ou d'inceste. Elle a dit avoir pressenti que Roe v. Wade serait annulé, et a donc subi une intervention chirurgicale pour retirer ses trompes de Fallope en février. «C'est triste de penser que je ne peux pas avoir d'enfants, mais c'est mieux que d'être forcée à en avoir», d’après Mme Nitsch. Le Dr Tyler Handcock, un gynécologue-obstétricien d'Austin, a déclaré que sa clinique avait reçu des centaines de demandes de stérilisation depuis la décision de la Cour suprême du 24 juin. Beaucoup choisissent cette voie parce qu'ils craignent que les contraceptifs à longue durée d'action ou d'autres contraceptifs ne deviennent également des cibles, a-t-il dit. Sa clinique a organisé une séance d’information le 9 juillet pour faire face à l'afflux de demandes, et chacune des 20 patientes qui se sont présentées pour entendre parler des risques et des ramifications de l'ablation des trompes de Fallope a pris rendez-vous pour subir l'opération. Certains médecins hésitent à pratiquer l'opération sur des jeunes femmes ayant encore de nombreuses années de procréation, craignant qu'elles ne changent d'avis plus tard. Le Dr Handcock a entendu parler d'une femme de 28 ans qui a déclaré que six gynécologues-obstétriciens avaient refusé de la stériliser. Mais le médecin croit que le choix devrait revenir aux patientes. «Je protégerai mes patientes et leurs droits de toutes les manières possibles», a-t-il déclaré. Cibler les médicaments Becky Schwarz, de Tysons Corner, en Virginie, s'est retrouvée de manière inattendue au cœur de la controverse sur l'avortement, alors qu'elle n'a aucun projet de grossesse. Cette jeune femme de 27 ans est atteinte de lupus, une maladie auto-immune qui peut amener le corps à attaquer les tissus entourant les articulations et les organes, ce qui entraîne une inflammation et des symptômes souvent débilitants. Pour Mme Schwarz, ces symptômes comprennent des douleurs osseuses et articulaires, ainsi que des difficultés à rester debout pendant de longues périodes. Elle a récemment reçu un avis de son médecin l'informant qu'elle devait cesser de prendre un médicament qui soulage ses symptômes, du moins pendant que le bureau revoie ses politiques concernant le méthotrexate à la lumière de l'arrêt de la Cour suprême. En effet, ce médicament peut provoquer des fausses couches et pourrait théoriquement être utilisé pour tenter de provoquer un avortement. «Le fait que je doive être essentiellement infantilisée par une politique, plutôt que d'avoir confiance dans la façon dont je gère mon propre corps... m'a mise en colère», a-t-elle soutenu. La Fondation pour l'arthrite et l'American College of Rheumatology ont tous deux publié des déclarations exprimant leur inquiétude quant à l'accès des patientes à ce médicament. Steven Schultz, de la Fondation pour l'arthrite, a indiqué que le groupe s'efforce de déterminer l'ampleur du problème. Les patientes qui ont des difficultés à obtenir le médicament peuvent contacter le service d'assistance téléphonique du groupe, a-t-il ajouté. Des lois confuses De nombreuses lois sur l'avortement sont vagues et varient selon les États. Cela peut laisser les médecins dans un certain questionnement. Nous avons demandé à certains législateurs: «Comment les prestataires médicaux sont-ils censés interpréter les lois?», a demandé la Dre Dana Stone, qui est basée en Oklahoma, un État qui a récemment interdit presque tous les avortements. «Ils ont répondu: ”Ils devront se débrouiller”», a-t-elle déploré.

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