Dopage: des «profileurs» d'un nouveau genre

Depuis 2008, on utilise les profils hématologiques pour dépister des cas de dopage. ©XavierBigardLes Jeux mondiaux de la médecine et de la santé sont l'occasion de réunir un symposium international de médecine du sport. Cette année, les principales conférences portaient sur le dopage et la nutrition.Le Dr Xavier Bigard, médecin, physiologiste, nutritionniste et conseiller scientifique à l'Agence française de lutte contre le dopage (1), y a notamment présenté le passeport biologique, rebaptisé en France «Profil biologique du sportif». Si le nom change, le principe reste le même: mesurer au fil du temps certaines variables biologiques afin de repérer des variations atypiques. Avec ces mesures, on peut prédire les profils probables lors de futurs tests, et si les valeurs ne sont finalement pas celles attendues, des experts peuvent alors vérifier si le dopage est en cause. Il s’agit d’une détection indirecte de substances interdites pour les sportifs, basée sur la recherche des effets biologiques du dopage.Le profil stéroïdien En janvier 2015, on a introduit en France le profil stéroïdien qui permet de mesurer six variables dans les urines du sportif. En revanche, il induit plus de facteurs confondants que le passeport hématologique en raison, par exemple, de l'impact de l'ingestion d'alcool ou des infections urinaires. L’interprétation fine des variables mesurées dans les urines contribuera sûrement à la lutte contre l’usage de stéroïdes.Actuellement, plusieurs fédérations internationales et de nombreux pays, dont la France, utilisent le profil hématologique dans la lutte contre le dopage. Il s’agit du premier volet du profil biologique du sportif. Le second volet du profil biologique, le profil stéroïdien, est aussi en application, mais depuis moins longtemps. Le profilage hématologique est maintenant bien connu et vient avec des protocoles précis. C'est une méthode de détection jugée «solide», contrairement au profil stéroïdien qui «mérite encore d'être consolidé et affiné», a expliqué le Dr Bigard.Un profil perturbé n’est pas une preuve de dopageIl est question ici de dépistage indirect. Il faut donc pouvoir déterminer quel protocole de dopage a été utilisé pour obtenir des sanctions. Or, le procédé est complexe, car il peut y avoir de multiples causes et des effets confondants.Pour qu'il soit exploitable, le passeport biologique doit être réalisé en suivant «des conditions draconiennes», a souligné le Dr Bigard. Les athlètes mis en cause s'attachent en effet à réfuter la validité de chaque échantillon. Avec les années, les agences de lutte antidopage ont donc spécifié des protocoles de prélèvements sanguins très stricts. Le personnel qui les effectue est aussi formé pour éviter le plus possible d’être pris en défaut. Pour établir un passeport, les premières données sont bien sûr primordiales, mais il faut aussi par la suite veiller à respecter des délais précis et des conditions de transport sûres.Les résultats des contrôles réalisés hors compétition et pendant les compétitions sont ensuite analysés par un expert de premier niveau qui transfèrera le dossier à une commission de trois experts en cas de suspicion de dopage.... la suite en page 2De fait, si un profil présente une anomalie, il faut l'analyser afin d'en déterminer la cause. L'entraînement en moyenne ou haute altitude, la prise de médicaments non déclarés, mais aussi une hémorragie à la suite d'un accident peuvent entraîner des variations des bilans hématologiques. Les experts ont donc besoin de questionner les athlètes concernés pour arriver à une conclusion. Pas toujours facile de faire la différence entre des variations dues au dopage... ©XavierBigard ...et des variations dues à un accident de la circulation avec une hémorragie importante. ©XavierBigardLe passeport biologique est utilisé dans le cadre de la lutte contre le dopage depuis 2008. Il a permis d'apporter les preuves nécessaires pour faire sanctionner 57 athlètes. Ce nombre risque d’ailleurs de gonfler, puisque depuis 2015, les experts évaluent d’anciens dossiers.Outre les condamnations obtenues, les profils biologiques permettent aussi de cibler des athlètes à risque et ont «un effet dissuasif», précise le Dr Bigard puisque depuis son utilisation on voit par exemple chez les coureurs «les pourcentages de taux de réticulocytes élevés [N.D.L.R. : nouveaux globules rouges] baisser de manière considérable. L’existence de cette méthode de détection indirecte peut donc freiner la tentation d'utiliser des substances.» Le niveau de réticulocytes change en effet en cas de prise d’EPO. Or, depuis l’introduction du passeport biologique, on assiste à une stabilisation de leurs taux contrairement à ce qui pouvait être observé avant, ce qui est pour les intervenants de la lutte antidopage, la preuve de son pouvoir dissuasif.L'amélioration des méthodes de détection directes et indirectes du dopage n'est cependant qu'un pan de la lutte antidopage. Une nouvelle menace, celle du «dopage technologique» semble en plein essor, comme on a pu le constater récemment en découvrant des minimoteurs intégrés dans le cadre de vélos de course.(1) Le Dr Bigard est aussi président de la Société française de médecine de l'exercice et du sport.Alerte aux suppléments alimentairesSur la ligne téléphonique d'urgence mise en place par l'Agence française de Lutte contre le dopage, 40 % des questions concernent les suppléments alimentaires. Il faut dire qu'aujourd'hui, selon certaines études, 85 % des athlètes en prendraient. Un marché qui représente un milliard d'euros par an, et «probablement beaucoup plus si on ajoute le marché souterrain», précise le Dr Bigard.Les suppléments alimentaires ont deux visées: combler un besoin nutritionnel non couvert et améliorer la performance.En matière de besoin, il est clair que «certains apports nutritionnels pour les sportifs sont recommandés». Toutefois, s'il est facile de définir les besoins, prouver dans quelle mesure ces apports «supplémentaires» couvrent les besoins est en revanche plus compliqué.Le Dr Bigard recommande donc de ne pas donner de suppléments alimentaires à l'aveugle. Il faut d'abord évaluer de manière précise l’existence de carences. En effet, même s'ils peuvent aider à prévenir ou traiter un déficit, il faut être conscient que les athlètes qui disent en prendre se servent surtout de cette raison comme d'un alibi. En fait, l'objectif principal est la plupart du temps «d'améliorer les performances ou de faciliter la récupération», souligne le Dr Bigard.Avant d'en conseiller, il faut s'interroger sur leur efficacité (très différente selon les substances) tout en prenant en compte les effets sur la santé et, dans certains cas, le dopage.Certains compléments sont très dangereux, car les substances qu'ils contiennent sont «souvent désignées sous d'autres noms», prévient le Dr Bigard. En plus, on en sait encore très peu sur les effets secondaires sur la santé de certains produits, et encore moins sur les interactions négatives de substances associées dans la composition des suppléments alimentaires. Or, les sportifs en prennent souvent plus d'un.Il faut aussi savoir que la prise de compléments alimentaires débordent largement du milieu sportif. Des étudiants, des jeunes, des professionnels en consomment.Dernier conseil du Dr Bigard, si l'on peut recommander des suppléments alimentaires aux adultes, c'est en revanche vraiment une mauvaise idée avec les enfants et les ados. On sait que la consommation précoce, dès l’adolescence de suppléments alimentaires, «favorise la consommation, plus tard, de substances interdites, et conduit donc souvent au dopage», précise le spécialiste.

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