Déprescription: le logiciel MedSécure fait ses preuves en CHSLD

Polypharmacie, précarité, perte d’autonomie. Chez les personnes âgées vivant en centre d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), le cocktail est connu… et souvent toxique. Dans les CHSLD canadiens, jusqu’à 88 % des résidents reçoivent au moins un médicament potentiellement inapproprié (PIM, pour potentially inappropriate medications). «Ces prescriptions peuvent exposer à des effets délétères évitables – chutes, délire, hospitalisations, voire décès », rappellent les auteurs d’un essai clinique publié dernièrement par le JAMA Network Open.Pour remédier à cette situation, la Dre Emily McDonald et le Dr Todd Lee, tous deux internistes et chercheurs au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), ont conçu en 2016 un logiciel de déprescription fondé sur des données probantes. Nommée MedSécure, cette interface pour la programmation d’applications (API) s’intègre aux dossiers médicaux électroniques (DMÉ) pour générer, en quelques secondes, un rapport personnalisé listant les médicaments à déprescrire, classés selon leur dangerosité et leur pertinence clinique. L’ambition: aider les médecins à réduire la prescription de médicaments inappropriés, sans alourdir leur charge de travail.Afin de confirmer la pertinence de MedSécure, qui a déjà été établie dans un contexte de soins aigus, l’API a cette fois-ci été testée dans cinq établissements de soins de longue durée au Nouveau-Brunswick, entre août 2021 et octobre 2022, dans le cadre d’un essai randomisé en grappes avec permutation séquentielle (stepped‑wedge cluster). Il a porté sur 725 résidents âgés en moyenne de 84 ans (65,9 % de femmes), qui prenaient environ dix médicaments chacun, dont trois jugés potentiellement inappropriés.Pendant 15 mois, les établissements sont passés progressivement d’une phase témoin (revue de médication sans outil spécifique) à une phase d'intervention, où MedSécure générait automatiquement des rapports de déprescription à l’intention des équipes soignantes lors des revues trimestrielles de médication. Ces rapports étaient accessibles en ligne via un portail sécurisé.Des résultats sans équivoqueL’intervention a produit des résultats probants: 12,7 % des résidents se sont vus déprescrire au moins un PIM durant la phase témoin contre 36,4% en phase intervention. Cette différence correspond à un rapport des chances ajusté (odds ratio) de 1,58 (IC à 95 % 1,07 à 2,34), soit une augmentation moyenne de 23%.Selon les auteurs, ces résultats montrent qu’«une approche numérique intégrée au flux de travail clinique peut améliorer substantiellement la sécurité de la médication». Aucun changement dans la composition des équipes, ni formation supplémentaire, n’a été nécessaire pour générer ces résultats.Lire aussi: MedSécure: La déprescription en un clicQuels médicaments ont été visés?MedSécure a été associé à une augmentation significative des déprescriptions dans plusieurs classes de médicaments:Benzodiazépines et hypnotiques (ex. lorazépam, zopiclone): + 22,7 % de déprescription par rapport à la phase témoin.Opioïdes faibles (codéine, tramadol): + 30,2 %; tramadol seul: + 43,3%.Antipsychotiques: + 14,3%.Inhibiteurs de la pompe à protons (IPP): + 9,4%.Docusate sodique: + 23,4%.Suppléments de fer à haute dose: + 12,6%.Diurétiques thiazidiques: + 11,9%.Gabapentinoïdes (gabapentine, prégabaline): + 13,4%.Ces classes de médicaments figurent régulièrement dans les listes de PIM, comme celles des critères de Beers ou de Choisir avec soin, et sont souvent prescrites par habitude ou sans bénéfice démontré chez les aînés.Un effet inattendu: plus de chutesFait inattendu, l’étude rapporte une augmentation du nombre de chutes dans la phase d'intervention. Cet effet n’a pas été anticipé, car la déprescription visait notamment des sédatifs. Les auteurs avancent plusieurs hypothèses, dont une reprise d’activité chez des patients auparavant trop sédatés, ou des facteurs liés à la période post-COVID et au roulement du personnel. En revanche, aucune augmentation des cas de délirium ni d’événements médicamenteux graves n’a été observée. L’utilisation de MedSécure demeure relativement simple. L’API ne remplace pas le jugement clinique, mais fournit des suggestions automatisées, priorisées et justifiées. Chaque recommandation est accompagnée d’un lien vers des ressources éducatives pouvant être partagées avec le patient ou ses proches.Lire aussi: Déprescription: comment préserver la relation médecin-pharmacien?Le logiciel tient également compte de l’espérance de vie. Par exemple, chez un résident en fin de vie, la poursuite de statines ou de suppléments vitaminiques peut être déconseillée, même si elle ne figure pas dans les critères classiques de déprescription.L’outil peut s’intégrer de manière fluide aux DMÉ, ce qui le rend compatible avec une mise en œuvre à grande échelle dans les établissements dotés d’un environnement numérique de santé.Et au Québec?Bien que MedSécure ait été conçu au Québec, son implantation reste timide dans la province. Le logiciel est déjà en usage dans les CHSLD de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick, où des subventions gouvernementales en facilitent l’accès. En revanche, plusieurs établissements québécois utilisent encore des dossiers papiers, ce qui freine l’intégration de solutions numériques comme MedSécure.À la lumière des résultats probants de cet essai, les auteurs concluent que « l’outil pourrait soutenir une mise à l’échelle nationale d’interventions de déprescription sécuritaires et ciblées en soins de longue durée ». Reste à voir si le Québec sera au rendez-vous.«Cette approche devrait devenir une norme de prise en charge chez les personnes âgées», insiste la Dre McDonald. «Personne ne devrait prendre un médicament qui fait plus de mal que de bien», affirme la lauréate du Prix Profession Santé 2023 dans la catégorie «Pratique novatrice».Référence:McDonald EG, Estey JL, Davenport C, et coll. Electronic Decision Support for Deprescribing in Older Adults Living in Long-Term Care: A Stepped-Wedge Cluster Randomized Trial. JAMA Netw Open. 2025;8(5):e2512931. doi:10.1001/jamanetworkopen.2025.12931c

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