David

PrologueJ’ai longtemps hésité avant d’écrire ce texte.Après tout, les blogues ne sont pas là pour s’épandre sur soi-même. Ils sont là pour…pour… pour quoi d’ailleurs?Loin de moi l’idée de vouloir m’apitoyer sur mon sort. Mais un texte de Patrick Lagacé, intitulé «La mort» et publié dans La Presse du 14 juillet dernier, m’a bouleversé, m’a fait réfléchir.Il était mon partenaire de jeu. Il était mon chef. Il était mon ami.Lorsqu’il jouait au tennis, il n’avait rien d’un grand joueur. Au service, malgré les efforts qu’il mettait pour imprimer l’effet voulu à la balle, les résultats étaient plutôt modestes.En vérité, il avait des services de moumounes. Quoi, ne regimbez pas de même! Je n’ai rien contre les moumounes. Moi-même, j’ai des services de moumounes.En tout cas, la deuxième balle. Et comme ma première ne passe jamais, aussi bien dire que nos services s’équivalaient.Sans compter qu’à chaque essai, il commettait une faute de pied: son élan ample, complexe, exécuté vers l’avant, faisait qu’il franchissait allègrement la ligne avant même d’être parvenu à toucher la balle.Bizarrement, aucun d'entre nous ne lui faisait remarquer cette faute. Nous l’aimions bien trop pour nous attarder à pareil détail. Il était notre partenaire de tennis, notre chef, notre ami.Et puis un jour, sans avertissement, dans un ciel bleu comme on dit, il éprouva de la difficulté à passer ses selles.Il n'en pouvait plus, les crampes abdominales le faisaient terriblement souffrir, alors il a décidé de se présenter à l’urgence. Son urgence. Tout le monde là-bas le connaissait.«Simple constipation, se disait-il, un lavement et tout sera réglé.»Le diagnostic tomba fret, net, cru: cancer du colon métastatique.Cancer du colon! Voyons donc, comment cela peut-il être possible?On ne peut être atteint d’un cancer métastatique sans le moindre signe avant-coureur!Pas de perte de poids, ou à peine -- de toute façon, nous faisons tous attention à notre ligne –, pas de changement des habitudes des selles, pas de perte d’appétit, pas de fatigue.Aucun signe d’alarme. Nous avions joué la semaine passée, comme tous les mercredis précédents. Il y avait sûrement une erreur quelque part!Hélas, il n’y avait pas d’erreur.Commença alors pour lui cette longue descente aux enfers que nous craignons tous, qui nous effraie tant.Il changea de coté de la table et de «docteur», il devint «patient».Les sessions de chimiothérapie, suivie de fatigue, faiblesses et nausées épouvantables.Il changea terriblement. Il perdit du poids, comme si cela était encore possible. À tel point que lorsqu’il revint au jeu, quelques mois plus tard, j’eus un choc.Aussi bien le dire, son apparence me terrifia. Un vrai cadavre ambulant. Les traits tirés. Les yeux creux. Le faciès osseux. Il avait pris 10 ans en trois mois.Pourtant, il tenait le coup.Puis, la magie opérait. Malgré l’amaigrissement et la cachexie, malgré son apparence cadavérique, malgré le teint terreux quasi noirâtre que lui donnait le 5-FUU, il venait jouer les mercredis soir.Il jouait avec son PICC-line et son biberon de chimiothérapie à la taille. Il jouait en ne sentant pas le sol, sans proprioception, gracieuseté de l’oxaliplatin.Il jouait essoufflé, toussant, crachant, cahin-caha, mais il jouait quand même.Et il semblait heureux!Le miracle se produisait envers et contre tous. Qu’importe que la chimiothérapie de première intention n’eut pas atteint son but, la deuxième allait le faire.Qu’importe que le scan contrôle eut révélé l’apparition d’une nouvelle métastase pulmonaire, celles au foie avait diminuées, non?Il nous envoyait des courriels nous disant qu’il allait passer son scan, réclamant que nous lui envoyions nos pensées positives. Ce que nous faisions tous, évidemment!Le miracle, c’était de finir par y croire. C’était d’imaginer qu’un jour ou l’autre, ce long cauchemar finirait bien par s’arrêter.Le miracle, c’était de le voir arriver, raquette à la main, fier compétiteur, comme si rien n’était.Le miracle, c’était d’aller manger avec lui, avec les autres à la salle de conférence de l’UMF, comme avant.Pourtant, n’avais-je pas vu des milliers de personnes mourir en soins palliatifs sans jamais avoir été témoin d’un seul miracle? Pourquoi, dans son cas, commençai-je à croire que cela pouvait être possible?Hélas, il n’y eut pas de miracles.Quand j’étais enfant, mon père nous rapportait souvent qu’un tel ou un tel, un ami ou une connaissance, était décédé.«As-tu connu Untel qui restait dans la baie, ou Untel sur la côte au rang du 5? … Eh bien, il est mort! »Jeune, insouciant et arrogant, j’avais l’habitude de répliquer dans chaque cas, à la blague: «Pas Jos Denis? Encore lui! ».Pour moi, ils étaient tous des «Jos Denis». Tous du pareil au même.Pas David.Vous et moi, nous avons tous un David qui n’est plus là.Un père, une mère, un frère, une sœur, un conjoint, un ami qui nous a quitté, emportant avec lui une partie de nous-même. Un être cher qui nous manque terriblement.Je sais qu’il n’est plus là, mais il m’arrive parfois d’imaginer qu’il sera là mercredi prochain.À mon ami David.

David

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