Conflit d’intérêts et experts: une question de responsabilité et d’éthique professionnelle

Il existe au Québec un petit nombre d’experts ayant des connaissances très pointues dans le domaine de la vaccination.Pour conserver leur expertise, réaliser leurs projets de recherche, assurer la formation de leurs étudiants diplômés et faire vivre leurs collaborateurs, ils sont obligés de diversifier leurs sources de financement.Les universités québécoises manquent tellement de moyens qu’elles ont de la difficulté à offrir des infrastructures minimales, et le financement de projets d’envergure est hors de question.En outre, la compétition pour des subventions côté Instituts de recherche du Canada est très rude et le taux d’échec est très élevé.Souvent, les comités de révision des Instituts estiment que les demandes concernant les vaccins sont du ressort des organismes gouvernementaux ou de l’industrie. Parfois, des concours ciblés sont organisés, mais leur existence est très éphémère.L'influence et la rémunérationDepuis longtemps, le Fonds de la recherche en santé du Québec a cessé de subventionner des projets particuliers, la politique étant de financer des infrastructures.Il n’existe pas de riches sociétés philanthropiques dans le domaine de la vaccination, au Canada. Avec raison, la priorité de la Fondation Bill and Melinda Gates est d’aider les pays les plus défavorisés.Les experts n’ont donc d’autre choix que de recourir à des commandites en provenance d’organismes gouvernementaux et/ou du secteur privé.La Stratégie nationale d’immunisation mise en œuvre par l’Agence de santé publique du Canada prévoyait des initiatives dans le domaine de la recherche évaluative, mais cet élément du programme est vite tombé en panne sèche.Fort heureusement, il existe au Québec une politique de financement d’études visant à aider la planification de nouveaux programmes d’immunisation et l’évaluation des programmes existants, mise en place par le Ministère de la santé et des services sociaux, en collaboration avec l’Institut national de santé publique (INSPQ).Les projets retenus doivent, bien sûr, correspondre aux orientations du Ministère, qui priorise les études visant l’aide à la décision plutôt que l’acquisition de nouvelles connaissances.Toutes les sociétés pharmaceutiques qui produisent et distribuent des vaccins au Canada ont des relations soutenues avec des équipes qui réalisent des recherches cliniques, épidémiologiques, économiques ou psychosociales.Les projets peuvent émaner d’une société voulant mettre au point ou lancer sur le marché un nouveau vaccin. Plus rarement, un chercheur peut convaincre une société pharmaceutique de financer un projet dont il est l’auteur.À cela, il faut ajouter les subventions d’activités de formation, afin de promouvoir l’image de marque d’une société, les bourses pour des étudiants diplômés et stagiaires postdoctoraux, ou même des chaires pour des professeurs.De tels financements sont offerts aux universités et centres de recherche, et toutes ces institutions se sont dotées de politiques de transparence et de prévention des conflits d’intérêts que doivent respecter les experts.L’expertise que possèdent les spécialistes des vaccins intéresse les agences gouvernementales, les sociétés pharmaceutiques, les médias, et même les tribunaux.Ces spécialistes reçoivent un grand nombre de sollicitations pour participer à des comités consultatifs, rédiger des avis écrits, donner des présentations orales et participer à des activités de formation.Le transfert des connaissances est une des missions principales du monde universitaire, et il serait absurde de refuser tout dialogue avec le secteur industriel qui assume depuis les 30 dernières années la mise au point et la commercialisation de tous les nouveaux vaccins utilisés au Canada.Les deux questions qui sont au cœur du problème sont celles de l’influence et de la rémunération.En acceptant de dialoguer et d’avoir des transactions financières de diverses natures avec le secteur privé, l’expert «danse avec le porc-épic», pour reprendre le titre d’un célèbre éditorial1.L’industrie pharmaceutique s’inscrit dans une idéologie de développement technologique, de production de biens de consommation et de réalisation de profits qui bénéficient aux actionnaires et aux travailleurs (plus aux premiers qu’aux seconds, par les temps qui courent).Dans toutes ses transactions informationnelles et financières avec le secteur universitaire, une société pharmaceutique tentera de maximiser son intérêt.Sachant que ce sont les mêmes experts qui interagissent avec d’autres acteurs sociaux (organismes publics, médias et acteurs judiciaires), il existe un véritable risque d’influence.Il appartient aux institutions du savoir, et aux experts eux-mêmes, de déjouer ce piège en se fixant des règles.Au Canada, les programmes d’immunisation relèvent des provinces et territoires, et le rôle du fédéral est relativement limité.Les décisions concernant le choix des vaccins, des calendriers et des clientèles cibles sont prises par le Ministère de la santé et des services sociaux en fonction d’avis d’experts, mais aussi de considérations politiques et financières, dans un contexte idéologique parfois imprégné de socialisme et de paternalisme.Il faut souligner que ce ne sont pas les experts qui prennent les décisions concernant le choix des vaccins et des programmes, leur rôle étant de fournir aux décideurs des avis scientifiques concernant les options possibles et leurs conséquences.Il peut exister des conflits d’intérêts lorsque des experts acceptent les mandats qui leur sont confiés ou cautionnent des décisions qui limitent l’accessibilité des vaccins, tout en étant rémunérés et en recevant des subventions d’agences gouvernementales pour réaliser des études évaluatives.Alors que l’attention des médias se porte exclusivement sur les conflits d’intérêts potentiels avec l’industrie, nul ne parle de ceux qui peuvent exister à l’intérieur d’un système de santé public.Une affiliation universitaireBeaucoup d’experts sont des médecins cliniciens ou des chercheurs ayant une affiliation universitaire et un statut de travailleur autonome au sein d’un département hospitalier.Leur rémunération provient généralement de plusieurs sources, incluant un salaire universitaire et des honoraires professionnels issus de la RAMQ ou d’autres organismes, ainsi que du secteur privé.L’affiliation universitaire offre heureusement des garanties quant à l’indépendance intellectuelle et à la capacité de faire des choix pour les experts.Comme toutes les situations sont complexes et particulières, il appartient à chaque expert de suivre les règles fixées par son institution et de les adapter à sa situation.On peut énoncer certains principes :éviter de collaborer avec un seul partenairediversifier ses sources de financementéviter d’être le porte-parole d’une société ou d’un organisme gouvernementalproscrire toute participation à des événements qui sont, de toute évidence, destinés à influencer l’experts’assurer que les contrats préservent la propriété intellectuelle et le droit de diffusion des résultats d’une rechercheencadrer très solidement les expertises associées à des honorairesbannir toute double rémunérationassurer une complète transparence en se dotant d’un registre des transactions et en déclarant, lorsque requis, les situations de conflits d’intérêts potentiels.Pratique courante, le transfert d’honoraires à un fonds collectif géré par une université ou un centre de recherche, mais qui profite in fine au chercheur, n’offre pas beaucoup de garantie supplémentaire.Prestige et honneurL’obtention d’avantages financiers n’est pas le principal facteur de risque pour un expert, mais bien d’autres motifs beaucoup plus insidieux, comme la recherche du prestige et des honneurs, la poursuite d’une promotion universitaire, voire l’intérêt des voyages effectués pour participer à des congrès, des réunions scientifiques ou de consultation auprès de l’industrie.Limiter la problématique des conflits d’intérêts aux transactions financières est donc simpliste.Un modus vivendi qui a fait ses preuvesAu Québec et au Canada, tous les membres des comités consultatifs dans le domaine de l’immunisation ont des relations avec l’industrie et les autorités de santé publique qui impliquent des transactions informationnelles et financières.Il faut l’accepter, car il s’agit d’un modus vivendi qui a fait ses preuves. Il faut aussi encadrer ces transactions, et s’assurer d’une transparence complète.Il serait absurde pour un expert de devoir choisir entre l’industrie et le secteur privé.Il serait aussi absurde pour les autorités de santé publique de se passer de l’avis des meilleurs experts.Les maîtres-mots dans ce délicat dossier sont la responsabilité et l’éthique professionnelle. 1. « Dancing with the porcupine: rules for governing the university–industry relationship » Steven Lewis, Patricia Baird, Robert G. Evans, William A. Ghali, Charles J. Wright, Elaine Gibson and Françoise Baylis. CMAJ September 18, 2001; 165 (6).

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