Cinq conseils pour évaluer le potentiel d'interactions médicamenteuses en lien avec l'allongement de l'intervalle QT

Imaginez: vous êtes en train de remplir ou de vérifier des ordonnances quand surgit une fenêtre pop-up trop familière qui vous informe d'une interaction en lien avec l’allongement de l'intervalle QT... Comment devriez-vous aborder la situation?Il s'agit d'une situation courante pour tout pharmacien travaillant dans un environnement clinique, mais elle a tendance à provoquer un certain malaise. Durant les études de pharmacie, beaucoup d'entre nous ont appris à reconnaître ce type d'interaction médicamenteuse, sans avoir reçu beaucoup d'informations quant à la manière de l'aborder. Lors de ma résidence en pharmacie à l’hôpital torontois Sunnybrook, je me suis plongée dans la littérature sur ce sujet et j'ai conçu un cadre pour aider à aborder ces situations. Les cinq conseils présentés dans cet article ont pour but d'aider les pharmaciens à mieux évaluer le risque de ces interactions et à formuler des recommandations, en particulier en l'absence de données détaillées telles qu'un électrocardiogramme (ECG).1. Reconnaître que l'allongement de l'intervalle QT lié aux médicaments peut se produire par le biais de trois mécanismes principauxTout d'abord, il est important de comprendre le mécanisme de l'interaction médicamenteuse à laquelle vous êtes confronté. Vous pouvez la classer dans l'une des catégories suivantes: interaction pharmacodynamique, interaction pharmacocinétique ou déséquilibre électrolytique induit par un médicament. Dans ce contexte, l’interaction pharmacodynamique se produit lorsque vous avez deux médicaments ou plus prescrits conjointement qui peuvent prolonger l'intervalle QT via un effet additif ou potentialisateur1. La méthadone et l'azithromycine en sont des exemples.Une interaction pharmacocinétique se produit en présence d'un médicament qui n'allonge pas l'intervalle QT, mais qui réduit la clairance ou est métabolisé par la même enzyme qu'un médicament qui allonge l'intervalle QT1, par exemple la méthadone et le vérapamil.Enfin, on parle de déséquilibre électrolytique d'origine médicamenteuse lorsqu'un médicament (par exemple, un diurétique thiazidique) provoque une perturbation des électrolytes (hypokaliémie, hypomagnésémie), ce qui peut augmenter le risque d'allongement de l'intervalle QT1. 2. Évaluer le risque de torsades de pointes lié au(x) médicament(s) prescrit(s)Le principal problème lié à l'allongement de l'intervalle QT est qu'il peut dégénérer en torsades de pointes (TdP), puis en fibrillation ventriculaire, ce qui peut entraîner une mort cardiaque subite2, 3. Les médicaments présentent des risques de provoquer un allongement de l'intervalle QT et des torsades de pointes différents. Ainsi, un médicament présentant un risque élevé d'allongement de l'intervalle QT peut présenter un faible risque de provoquer une TdP et vice versa. Il est donc important de comprendre le risque lié au(x) médicament(s) impliqué(s) dans l'interaction.À lire aussi: Trop de personnes âgées prennent des sédatifs potentiellement dangereuxDe nombreuses références sont disponibles pour évaluer l'allongement de l'intervalle QT et le risque de TdP (voir l’encadré 1). L'une de mes références préférées est Credible Meds. Ce site comprend une liste de médicaments QT, classant les médicaments en fonction de leur risque de TdP (risque connu, risque possible ou risque conditionnel, ce dernier référant aux médicaments qui peuvent provoquer un TdP dans certaines conditions). Il résume également les facteurs cliniques qui ont été associés à l'allongement de l'intervalle QT et/ou aux TdP. Une brève recherche de littérature peut également être effectuée pour déterminer si des recherches supplémentaires sont disponibles.3. Recueillir un historique précis des médicaments Recueillez un historique précis des médicaments en vous concentrant sur les médicaments allongeant l'intervalle QT5. Prenez en compte les médicaments que le patient prend actuellement et ceux qui lui ont été prescrits récemment. Voici quelques questions à garder en tête concernant le régime médicamenteux actuel du patient:Le traitement actuel comprend-il des médicaments qui allongent l'intervalle QT?Pour tous les médicaments que le patient prend et qui provoquent un allongement de l'intervalle QT:Quel est le risque de TdP? (voir conseil no2)Quelle est la dose? Le risque de TdP tend à augmenter lorsque des doses plus élevées sont utilisées.Depuis combien de temps le patient prend-il le médicament? Le médicament est-il à l'état d'équilibre? Le patient est-il stable? (c'est-à-dire, a-t-il eu des problèmes d'allongement de l'intervalle QT ou de TdP avec le traitement actuel auparavant?)Voici quelques questions à vous poser concernant un médicament qui vient d'être prescrit:Quelle est la dose? Le risque de TdP tend à augmenter avec l'utilisation de doses plus élevées.Quelle est la durée du traitement? (Par exemple, s’agit-il un traitement aigu ou chronique: donc d'un risque à court terme ou à long terme? Le médicament aura-t-il une chance d'atteindre l’état d’équilibre?)Comment le médicament est-il métabolisé et éliminé? (Par exemple, pour un traitement hépatique ou rénal: le patient présente-t-il une insuffisance susceptible d'entraîner une accumulation?)Quelle est la demi-vie? Atteindra-t-il l'état d'équilibre? Si un médicament atteint des concentrations élevées avec une longue demi-vie et qu'il s'agit d'un traitement à long terme ou bien qu’un médicament avec une courte demi-vie est utilisé à court terme, il faut en tenir compte.Quels sont les médicaments avec lesquels il y aura un chevauchement? Est-ce qu'un de ces autres médicaments peut interagir et aggraver l'allongement de l'intervalle QT et/ou le risque de TdP?Le patient a-t-il déjà pris ce médicament? Y a-t-il eu des problèmes par le passé? (En cas de problèmes antérieurs avec le médicament, il est préférable de l'éviter.) À lire aussi: 37 médicaments listés sous haute vigilance4. Recueillir l’historique du patientRecueillez des informations sur le patient afin de guider votre décision5. Voici quelques questions à vous poser:Le patient présente-t-il des facteurs de risque de TdP? Dans le cas d'un allongement de l'intervalle QT d'origine médicamenteuse, il y a des facteurs de risque non modifiables tels que le sexe féminin, un âge supérieur à 65 ans, une altération de la fonction rénale ou hépatique, un syndrome du QT long congénital, des maladies cardiaques structurelles ou une maladie thyroïdienne non traitée1. Un score de risque tel que le score de risque de Tisdale peut vous guider, mais soyez conscient de ses limites. Si ses prédictions pour le risque d'allongement de l'intervalle QT supérieur à 500 msec chez les patients hospitalisés ont été validées, celles concernant le risque d'allongement de l'intervalle QT chez les patients ambulatoires peuvent ne pas être aussi fiables.Le patient présente-t-il des problèmes cardiaques (comme des arythmies) qui pourraient augmenter le risque de développer un TdP?Le patient a-t-il des antécédents de signes et de symptômes d'allongement de l'intervalle QT/TdP lors de la prise d'un médicament comportant ces risques? Les signes et symptômes de l'allongement de l'intervalle QT sont les suivants: palpitations, vertiges, étourdissements et syncope4.Peut-on corriger certains facteurs de risque modifiables, tels que des déséquilibres électrolytiques (potassium, magnésium ou calcium), chez le patient? 5. Formuler une recommandation avec assuranceLa confiance dans les évaluations de l'allongement de l'intervalle QT en lien avec les médicaments augmente avec l'expérience, la familiarité avec les références et la connaissance de la littérature. Souvent, les médecins se tournent vers les pharmaciens pour les aider à évaluer ces types d'interactions. Il est important de formuler une recommandation claire.En règle générale, on choisira l'une des trois options suivantes:Aucune modification de la nouvelle ordonnance. Informez le patient des risques, le cas échéant, et dites-lui de signaler tout symptôme (par exemple, palpitations, syncope, sensation de tête légère, vertiges). Assurez-vous que les médicaments allongeant l'intervalle QT sont dosés de manière appropriée (par exemple, la dose efficace la plus faible ou la dose ajustée selon les fonctions rénales et hépatiques).Recommander une modification de la nouvelle ordonnance après avoir évalué les informations que vous avez recueillies dans les conseils 2 à 4 et le potentiel d'allongement de l'intervalle QT/de TdP associé au(x) médicament(s) alternatif(s). La recommandation doit être claire et appropriée. Vous pouvez d'abord discuter avec le prescripteur des risques et des bénéfices du médicament initialement prescrit et des alternatives potentielles. Il est important d'éviter de retarder le traitement.Recommander une modification du régime médicamenteux actuel du patient. Il peut s'agir, par exemple, de suspendre un certain médicament à court terme (si la nouvelle ordonnance concerne un médicament à court terme).Des informations plus détaillées sur l'évaluation du potentiel d'interactions médicamenteuses avec l'allongement de l'intervalle QT sont disponibles dans les références 2 et 6 à 9. RésuméLes cinq conseils présentés dans cet article fournissent une approche simplifiée pour effectuer votre évaluation dans le but de minimiser les retards de traitement, d'optimiser le choix des médicaments et d'utiliser effectivement le temps et les ressources disponibles. Mishka Danchuk-Lauzon (mishka.danchuk.lauzon@mail.utoronto.ca) est présentement responsable de la pharmacie du Collingwood General and Marine Hospital. Elle s'est passionnée pour le sujet mentionné ci-haut pendant son internat au Sunnybrook Health Sciences Centre à Toronto. Tout au long de son internat, elle a animé de nombreux ateliers sur le sujet à l'intention des pharmaciens, des résidents et des étudiants en pharmacie.

Cinq conseils pour évaluer le potentiel d'interactions médicamenteuses en lien avec l'allongement de l'intervalle QT

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes