Choisir la profession de ses parents: Une affaire de transmission et d’héritage

Sur près de 350 jeunes qui s’inscrivent chaque année dans les deux facultés de pharmacie du Québec, une centaine suivent la trace de leurs parents pharmaciens. Ils choisissent la profession de leur mère, de leur père ou parfois des deux ! Une fois pharmaciens, ils n’hésitent pas à exercer dans la pharmacie de leurs parents et souvent même à devenir copropriétaires. Au-delà du rapport de filiation qui unit ces générations, quels sont les valeurs et l’héritage transmis aux enfants ? Trois portraits éclairants.Fait remarquable, les trois jeunes pharmaciennes interrogées par L’actualité pharmaceutique sont littéralement tombées dans la grande marmite de la pharmacie dès l’enfance. Sandra McLean, pharmacienne depuis douze ans, a commencé à travailler dès l’âge de huit ans à la pharmacie de sa mère Diane McLean à Rouyn-Noranda : elle étiquetait alors des couches ! Puis elle a occupé tous les postes, de commis à caissière, en passant par le comptoir photo et le rayon des cosmétiques, pour finalement aboutir au laboratoire comme assistante technique.Même scénario pour Martine Leblanc qui a entamé sa « carrière » en pharmacie à onze ans en travaillant pour son père propriétaire, Julien Leblanc, à Saint-Hyacinthe. Comme elle manifestait déjà un intérêt pour le domaine de la santé, le fait de travailler au laboratoire lui a tout simplement permis de confirmer son choix. Depuis qu’elle est diplômée, elle travaille toujours au même endroit.Quant à Caroline Sylvain, fille de Julien Sylvain de Saint-Prosper, en Beauce, elle avait déjà des prédispositions au leadership, elle qui s’était mise en colère, du haut de ses douze ans, parce que son père avait engagé une assistante technique qui n’était pas elle ! Non seulement elle travaille dans la pharmacie de son père depuis 2004, mais elle s’est associée avec lui il y a deux ans déjà.Mêmes valeurs, même passionQuand on les interroge, on sent que le père et la fille travaillent main dans la main, pour un résultat tout à fait synergique. Souci et respect du patient sont les qualités que Caroline apprécie chez son père – qualités que celui-ci lui a sans doute transmises et qui influencent sa pratique, au point que les clients lui disent qu’ils reconnaissent le père en la fille, en particulier dans sa façon de travailler et de donner des conseils.Julien Sylvain, de son côté, voit une valeur ajoutée dans le fait de faire équipe avec sa fille : « Il y a un fossé entre faire naître un projet, le faire grandir et devenir opérationnel; moi, je suis comme un gynécologue, je mets des bébés au monde, et c’est Caroline et son conjoint (qui est administrateur de l’entreprise) qui les maintiennent vivants économiquement et cliniquement. »Un magnifique reportage a été diffusé à l’émission Une pilule, une petite granule en janvier dernier, qui décrivait le solide partenariat médecin-pharmacien entre Julien Sylvain et la Dre Louise Lantagne, le seul médecin pour les 8000 habitants des alentours. L’éventail des services cliniques offerts à la pharmacie libère 25 % à 30 % du temps du médecin, ce qui lui permet de rencontrer plus de patients. On est touché par ce pionnier, par cet homme nettement en avance sur son temps, exemple d’humanisme et de générosité, qui pratique la pharmacie aujourd’hui comme il aurait voulu le faire il y a trente ans.Pour Sandra McLean – cette pharmacienne qui a été remerciée publiquement par son patient Normand Brathwaite –, sa mère est à la fois un modèle et une source d’inspiration. « Ma mère aime les gens, elle est une organisatrice hors pair; elle voit grand et loin. » Surtout, explique-t-elle, « elle m’a appris à suivre mon instinct et à ne pas accepter un non », en commençant par celui de la Faculté de pharmacie à sa première demande d’admission.Alors que la biochimie était (et est encore aujourd’hui) une matière populaire en attendant d’entrer en pharmacie, Diane McLean a insisté pour que sa fille fasse plutôt une année en nutrition, matière à son avis plus pertinente pour la pharmacie et plus complémentaire pour la suite. Celle qui, voyant sa mère travailler de longues heures, ne manifestait de prime abord aucun penchant pour la chose pharmaceutique, est elle-même devenue propriétaire pendant cinq ans, période où elle a développé une plus riche complicité avec sa mère.« Autant à l’adolescence c’était l’eau et le feu entre Sandra et moi, autant on se comprend totalement aujourd’hui car on est pareilles : méthodiques et perfectionnistes. Sandra est fonceuse... comme sa mère ! » Aurait-elle aimé que sa fille prenne sa succession à Rouyn-Noranda ? Ce fut, dit-elle, une « grosse déception » lorsqu’elle a appris que Sandra ne reviendrait pas en Abitibi après avoir rencontré son amoureux à Montréal et s’y être installée. « Mais peut-être qu’on se ressemble trop et que ce serait impossible de travailler ensemble », poursuit-elle avec une pointe d’humour.L’élément dominant chez les McLean, c’est leur détermination hors du commun. Elles se consultent, se concertent et se soutiennent pour réaliser les mille et un projets liés à cette passion du métier qui les anime. Femmes de tête, femmes de défis.Un chemin « déjà tracé »Perpétuer la tradition familiale, surtout lorsqu’il s’agit d’une entreprise commerciale, n’est pas synonyme de facilité, même si la plupart des difficultés se voient d’emblée aplanies : le nom et la réputation sont bien implantés, l’emplacement est trouvé, la clientèle est là, les réseaux sont établis, les carnets remplis et la relation de confiance avec les médecins est plus qu’enracinée. En outre, il est rassurant pour un jeune pharmacien de se sentir épaulé et d’avoir sous la main une personne-ressource – et pas n’importe laquelle : son propre parent. Même si elle ne souhaite pas devenir propriétaire pour le moment, Martine Leblanc sait que « le chemin est déjà tracé », elle dont le père est à ses yeux un modèle de dévouement, d’écoute, d’empathie et de patience. « Il est d’ailleurs plus patient avec ses clients qu’à la maison », au dire de sa fille !Les études montrent que le milieu familial est déterminant dans la décision de l’orientation professionnelle. Julien Leblanc, Diane McLean et Julien Sylvain ne s’en cachent pas : ils souhaitaient ouvertement que leur rejeton suive leurs traces. Des discussions à forte teneur pharmaceutique ponctuaient leur quotidien – jusque dans les réunions familiales – et c’est sans doute en raison de tels moments que, de fil en aiguille, au cours des années, ces parents ont su transmettre, peut-être à leur insu, cette passion à leurs enfants, malgré les contraintes et tous les sacrifices exigés, surtout lorsqu’on est patron.Dans ce creuset familial marqué par une forte tradition, ces jeunes se sont trouvés imprégnés par les valeurs inhérentes à la profession. Et pour les fondateurs de la lignée, le plaisir à exercer le métier de pharmacien s’est confondu avec le bonheur d’être parent.

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