Cas prise de tête: des symptômes parkinsoniens qui prêtent à confusion

Dans le cadre de la clinique externe de chutes de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal (IUGM), le Dr Thomas Tannou a reçu en consultation une aînée qui lui était référée par un urgentologue. Âgée de 78 ans, elle était tombée chez elle, de sa hauteur, sans malaise ni perte de connaissance. L’événement est survenu en présence de sa fille un peu paniquée: il s’agissait de sa quatrième chute en six mois, sans raison apparente.Le tableau présenté par le médecin référent n’avait «rien de transcendant», constate de prime abord le gériatre spécialisé dans le vieillissement cognitif. Pour son hypertension, la patiente prend de l’amlodipine (5 mg) tandis que son ostéoporose est traitée à l’aide de calcium, de vitamine B et d’injections d’AclastaMD tous les six mois. Elle souffre par ailleurs d’une constipation récurrente, plus prononcée ces derniers mois. «À l’hôpital, elle avait passé un scanner cérébral ainsi que des radios des hanches et des genoux qui ne montraient rien de particulier. Son bilan biologique était tout ce qu’il y a de plus normal», relate le Dr Tannou. À ce stade-ci, ce dernier n’a aucun indice sur l’origine des chutes de cette femme.Il la rencontre trois mois après sa visite à l’urgence; depuis, elle n’est pas retombée. Quand il la voit dans la salle d’attente, le clinicien est aussitôt interpellé par sa présentation physique. «Elle ne sourit pas trop et elle a une forme de rigidité faciale. Sa marche est correcte, mais ses mouvements sont raides.»À consulter: Démence et parkinson: nouvelles pistes pour un dépistage hâtifUne fois dans le bureau, le gériatre objective un «petit syndrome extrapyramidal». Il repère également une diminution du ballant du bras à la marche, de même qu’une discrète roue dentée asymétrique, plutôt à droite. «C’est relativement fin, mais néanmoins, c’est présent», précise le Dr Tannou qui détecte une bradykinésie, «rien de plus».Ces signes et ces symptômes l’orientent vers un syndrome parkinsonien, dont il évoque l’hypothèse auprès de la patiente et de sa fille. «Je leur propose d’essayer un traitement spécifique, le LevocarbMD, et de procéder à une évaluation par un physiothérapeute de l’IUGM.». Une discussion forcément délicate, assortie des précautions nécessaires durant laquelle le médecin leur explique que ce traitement (lévodopa et carbidopa) permettra de confirmer ou d’infirmer le diagnostic de première intention de la maladie de Parkinson.Cela dit, vu l’âge de la patiente et son profil, les signes cliniques et l’absence d’autres signaux, le Dr Tannou pense avoir visé juste. «La maladie de Parkinson provoque un déficit de l’automaticité des mouvements. Cela explique le visage figé. Cela explique aussi la forme de rigidité dans les gestes qui augmente la probabilité de déséquilibre, donc le risque de chute. Cela peut également impacter le tractus digestif; la constipation accentuée de la patiente s’intègre donc parfaitement dans le tableau de Parkinson», détaille le gériatre. Il lui a donné rendez-vous trois mois plus tard pour un suivi.Entretemps, la septuagénaire a de nouveau été hospitalisée à cause d’une chute qui a provoqué une déchirure de la coiffe de l’épaule. Le gériatre revoit sa fille six mois après cet événement. Elle l’informe que sa mère souffre désormais de délirium, qu’elle est traitée avec de la rispéridone, mais que ses hallucinations persistent la nuit. Très soucieuse, elle pose au médecin une question qui la taraude: «Est-ce que le Levocarb a entraîné tout ça?».À lire aussi: Les gériatres veulent contribuer davantage à l’accessibilité aux soinsBien embêté, le Dr Tannou lui répond que non, puis il rembobine le film. «Vous me dites que votre maman présente un syndrome type Parkinson, qu’elle a des hallucinations la nuit et qu’elle se plaint pas mal de sa constipation. On vous a parlé de délirium, mais globalement, elle a une cognition fluctuante. Il y a des moments où ça va mieux, puis il y a des moments où ça va moins bien. Elle n’a pas la maladie de Parkinson; elle a une maladie à corps de Lewy», conclut le gériatre. Une maladie délicate à cernerMoins connue que les maladies d’Alzheimer et de Parkinson, la maladie à corps de Lewy (MCL) figure au deuxième rang des pathologies neurodégénératives les plus fréquentes, derrière l’Alzheimer. Difficile à diagnostiquer, elle partage plusieurs de ses symptômes musculaires et moteurs avec la maladie de Parkinson. Ce qui les distingue? «Dans la démence à corps de Lewy, les problèmes moteurs et musculaires se développent dans l’intervalle d’un an après le début du déclin de la fonction cognitive, celle-ci ayant de plus tendance à fluctuer énormément. Dans la maladie de Parkinson, la fonction cognitive commence à se détériorer 10 à 15 ans après l’apparition des syndromes musculaires et moteurs», résume le Dr Tannou.Dans ce cas-ci, le médecin a été mis sur la piste de la maladie à corps de Lewy par le fait que les hallucinations de la septuagénaire étaient plus prononcées la nuit. «Le patient a tendance à confondre phases de rêve et de réveil», signale-t-il. La deuxième particularité de la MCL, ajoute le clinicien chercheur, étudiant l’anosognosie dans les troubles neurocognitifs, «c’est la cognition fluctuante avec des moments durant lesquels le profil est relativement similaire à une maladie d’Alzheimer et des moments durant lesquels la personne est parfaitement lucide de sa propre condition et de ses difficultés. Ce qui mime le délirium.»À consulter: Une simple prise de sang pour détecter la maladie d’AlzheimerDernier indice probant: «une forme d’intolérance et donc de réaction paradoxale au neuroleptique», qui constitue la troisième particularité de la MCL. «Autrement dit, vous mettez un neuroleptique avec une visée un peu sédative pour calmer l’agitation du patient et vous vous retrouvez à avoir quelqu’un qui est deux fois plus agité. C’est un cercle vicieux», mentionne le Dr Tannou. Il spécifie par ailleurs que c’est l’iatrogénie à la rispéridone qui lui a permis de confirmer le diagnostic de la MCL.Le médecin a donc arrêté le neuroleptique, maintenu le Levocarb auquel il a ajouté des patchs de rivastigmine pour le contrôle des hallucinations et de la fluctuation cognitive. Depuis, la femme n’a plus chuté. «On a complètement amélioré son profil cognitif et fonctionnel et on lui a permis de retrouver une certaine autonomie en revenant à l’état antérieur à ses épisodes de chutes.»À titre personnel, le Dr Tannou trouve gratifiant d’avoir su maintenir le lien de confiance avec la patiente et sa fille. «On a eu de très belles interactions.» Sur le plan clinique, il trouve valorisant d’avoir pu proposer une stratégie globale et pluridisciplinaire, incluant de la physiothérapie et de l’ergothérapie, qui a démontré son efficacité thérapeutique. «Un an après, c’est assez chouette de voir cette personne se maintenir», conclut-il.Un patient vous a donné du fil à retordre, que ce soit pour établir son diagnostic, trouver le bon plan de traitement ou pour toute autre raison qui sort de l’ordinaire? Vous voulez présenter ce cas particulier à vos pairs médecins de famille ou spécialistes? Contactez notre journaliste Geoffrey Dirat et racontez lui votre histoire.

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