Cas prise de tête: des pernioses aux doigts et aux orteils qui cachaient une maladie intestinale

Une fille de 12 ans, hospitalisée au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, présentait des lésions douloureuses et chroniques, depuis cinq ans, aux doigts et aux orteils; lésions qui s’exacerbaient d'octobre à avril, pendant les mois froids, et s'apparentaient donc à des engelures. L’examen clinique initial faisait état de «macules érythémateuses à violacées et de papules œdémateuses sur les doigts et les orteils», suggérant une «onychodystrophie due à une mauvaise circulation sanguine». La jeune patiente ne prenait aucun médicament et ne présentait pas de syndrome gastro-intestinal ni de perte de poids. Elle n’avait pas non plus d’antécédents médicaux ni d’allergie connue. Sa mère avait souffert d’anémie ferriprive et son père avait des antécédents de perniose.La dermatologue qui prenait en charge la fille conclut à une maladie vasculaire entraînant une perniose. Elle lui prescrit de la nifédipine (un antagoniste du calcium de la famille des dihydropyridines) à raison de 20 mg par jour. Ce traitement améliore sensiblement les symptômes, mais de nouvelles lésions apparaissent sur les oreilles et les talons. La clinicienne remplace alors la nifédipine par du losartan (25 mg par jour), un antihypertenseur de la famille des inhibiteurs de l'angiotensine II.À lire aussi: Un lent déclinLa patiente subit ensuite une évaluation en rhumatologie. Aucune anomalie du tissu conjonctif n’est détectée, hormis des lésions typiques de la perniose. Le bilan immunologique révèle la présence d’anticorps antinucléaires (AAN) à un titre de 1/320, mais pas celle des antigènes nucléaires extractibles (ENA) et des anti-ADN. Les autres labos étaient tous normaux, y compris la formule sanguine complète (FSC), la fonction thyroïdienne et les cryoglobulines.Après avoir découvert sur internet des cas documentés de perniose associés à la maladie de cœliaque, la mère de la patiente suggère au dermatologue de tester les antitransglutaminases tissulaires (ATG) qui servent au dépistage de l’entéropathie au gluten. Bingo! Le test révèle un taux d’ATG fortement élevé de 55 unités par millilitre, alors que la normale est inférieure à 10 unités par ml.La fille est adressée en gastroentérologie, où elle est reçue en consultation par le Dr Prévost Jantchou. Le médecin pratique une œsogastroduodénoscopie qui lui permet de se rendre compte que la muqueuse duodénale de la patiente est aplatie et présente de multiples fissures. Il se souvient qu’«à l'œil nu, ça se voyait qu’elle avait des signes de maladie de cœliaque». Ce que viendront confirmer les biopsies qui ont révélé une atrophie villositaire au niveau du duodénum ainsi qu’une hyperplasie des cryptes, deux caractéristiques de la maladie cœliaque (intolérance au gluten).Spectre de symptômes très large«Je lui ai prescrit un régime sans gluten strict. J’ai aussi arrêté le losartan, car il peut contenir du gluten. Et tout s’est rétabli», indique le Dr Jantchou. Les lésions cutanées se sont améliorées, le taux des anticorps ATD a diminué, la rémission clinique complète intervenant dans les mois suivants. Cinq après, l’adolescente ne présentait plus aucun symptôme, même en hiver.«Le spectre des symptômes de la maladie cœliaque est très varié. Il y en a plus de 200 différents», indique le gastroentérologue pédiatrique. «Habituellement, poursuit-il, la perniose est idiopathique, mais dans ce cas-ci, elle a été une des rares manifestations isolées de la maladie cœliaque.» Il ajoute que d’autres symptômes cutanés peuvent être révélateurs, tels la dermatite herpétiforme, l’alopécie areata, l’urticaire chronique, le vitiligo, la vascularite cutanée, la dermatose bulleuse à immunoglobulines A linéaires (IgA), l'erythema elevatum diutinum (EED), une forme chronique rare de vascularite cutanée, ou encore les troubles auto-immuns du tissu conjonctif.Selon le Dr Jantchou, le cas de cette jeune patiente illustre «l’importance d'envisager la maladie cœliaque chez les patients présentant des symptômes extra digestifs inexpliqués. Il faut être à leur écoute et au moindre doute, il faut demander un dosage des anticorps ATG.»Un patient vous a donné du fil à retordre, que ce soit pour établir son diagnostic, trouver le bon plan de traitement ou pour toute autre raison qui sort de l’ordinaire? Vous voulez présenter ce cas particulier à vos pairs médecins de famille ou spécialistes? Contactez notre journaliste Geoffrey Dirat et racontez lui votre histoire.

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