Cancer: Le prix des médicaments, enjeu de société et débat éthique en vue

En oncologie, les trois ingrédients d’une crise financière et éthique imminente sont désormais réunis:Toutes les trois minutes, une personne reçoit un diagnostic de cancer au Canada;Le taux de survie à 5 ans progresse constamment: 63% en 2014, contre 28% en 1950, tous types et stades de cancer confondus;Plus de 30 médicaments oraux combattent le cancer; certains coûtent de 60 à 100 000 $/an.La conférence Faire face au cancer, récemment organisée à Montréal par Avantages*, a fait l’état des lieux. Crise éthique en vue donc, avec le coût élevé des médicaments, fardeau pour les finances publiques et casse-tête moral pour savoir qui soigner et qui ne pas traiter. Débat éthique autour du prix d’une vie en somme, quand déjà la santé capte au Québec près de la moitié du budget de l’État.Couverture largeOlivier Blaizel, pharmacien, coordonnateur de la pharmacie oncologique à l’Hôpital Charles-Lemoyne, plaide néanmoins pour une couverture d’assurance la plus large possible. En oncologie, dit-il, l’INESSS refuse 80% des médicaments qui lui sont soumis pour inscription au formulaire thérapeutique de l’hôpital. Dans un souci d’équité, l’Institut évalue les produits selon leur valeur thérapeutique et économique. Or, le médicament refusé l’est le plus souvent pour son manque de valeur ajoutée économique. Il coûte trop cher pour ce qu’il apporte de nouveau.Que faire alors? Se tourner vers l’assurance privée ou envisager d’autres options, parfois moins efficaces, dit-il, ou plus toxiques. Dans certains cas aussi, parmi les alternatives à l’hôpital figure le recours aux cliniques de perfusion privées pour les injections (abraxane, pertuzamab).Cancer de la prostate Le Dr Yves Fradet, urologue-oncologue (©James Wagner) Le Dr Yves Fradet, urologue-oncologue à Québec, a pris l’exemple du cancer de la prostate. Dans les cinq dernières années, dit-il, quelques nouveaux médicaments ont certes démontré une hausse de la survie, mais leur coût moyen oscille autour de 30 à 40 000 $/an. «Il faut comprendre l’agent payeur, placé devant un afflux de médicaments très chers qui, le plus souvent, ne font que prolonger la survie de quelques mois, en moyenne.»Le meilleur médicament, d’accord, mais à quoi bon s’il coûte une fortune et que personne, ni le patient ni l’hôpital, ne peut l’offrir? Au moins, assurons-nous que tout a été tenté pour aider le patient à ce chapitre, a-t-on indiqué, et il revient aux coordonnateurs à l’accès aux médicaments (CAM) de s’en assurer.Le rôle des CAMLe CAM s’occupe, pour l’essentiel, des traitements oncologiques non administrés à l’hôpital et des traitements connexes (EPO, chélateur du fer). À lui aussi, entre autres, d’inscrire le malade au programme d’aide aux patients, s’il y a lieu – il en existe environ 25, selon la compagnie pharmaceutique et le produit.Olivier Blaizel a évoqué l’expérience de son hôpital en lien avec l’arrivée, en 2009, des premiers CAM, un projet inspiré de l’expérience ontarienne des Drug Access Navigators. Au Québec, huit hôpitaux se sont dotés de tels coordonnateurs à l’accès aux médicaments. Ils se réuniront d’ailleurs en mai pour faire le point sur leur jeune expérience.À l’Hôpital Charles-Lemoyne, les quatre CAM gèrent environ 500 dossiers/patients par an (soit 2 000 interventions concernant 60 médicaments différents). Le CAM suit le patient, du diagnostic à la «guérison», ou à la fin des traitements actifs, l’accompagnant dans les décisions à prendre, selon un plan de traitement évolutif. Il s’occupe des allers/retours avec le médecin traitant, l’assureur, la pharmacie, etc.Il appartient aux centres de cancérologie de pousser le dossier des CAM, tâche que peuvent remplir une assistante technique en pharmacie, un commis ou une adjoint administrative. La personne doit être disponible à temps plein, du moins dans les heures d’ouverture d’une clinique externe d’oncologie.Libérer du temps clinique«Les patients ont besoin des services des CAM, les professionnels aussi. Avoir une personne dédiée libère du temps clinique des professionnels et permet à l’équipe traitante, médecin, pharmacien et infirmière-pivot, de se concentrer à plein sur son champ d’expertise», explique le pharmacien à ProfessionSanté.ca. La difficulté, poursuit-il, «c’est de justifier auprès de l’hôpital le financement d’un poste de CAM, alors que l’essentiel de la clientèle est traitée sur une base externe». Cela dit, le coordonnateur s’occupe aussi parfois de la clientèle oncologique hospitalisée.Par son travail, le CAM contribue à réduire les délais, à obtenir le meilleur remboursement possible, à diminuer le stress du patient et de la famille, dont le stress financier, etc. Le CAM s’occupe des malades référés par le médecin ou l’infirmière-pivot en oncologie. Cela contribue à limiter le nombre d’intervenants et les duplications d’intervention. Au-delà des démarches administratives, le CAM s’assure aussi que le patient a bien rencontré le pharmacien pour des explications sur l’observance, etc.Retour au travailLe cancer frappe par ailleurs, et de plus en plus, des personnes en âge de travailler. «Et ce n’est pas parce que le traitement est terminé que tu es prêt à reprendre ton emploi», avertit Patricia Vincent, coordonnatrice de Cancer J’écoute, à la Société Canadienne du Cancer, division du Québec. En 2012, dit-elle, 44% des femmes souffrant du cancer du sein avaient moins de 60 ans, et 30% des nouveaux cas, en 2013, concernaient cette même tranche d’âge. «Nous savons qu’une majorité des gens atteints de cancer sont encore au travail après cinq ans. Ce qu’on ignore en revanche, c’est s’ils ont gardé le même emploi.»Elle insiste sur l’importance de bien mesurer l’impact du traitement sur la vie sociale du patient, son retour au travail, surtout lorsqu’il souffre de limitations fonctionnelles persistantes. «Très important donc de vérifier si la personne a l’appui de son assurance, de son syndicat, d’un aidant naturel, ou si elle est travailleur autonome.»Leucémie lymphoïdeLa conférence a évoqué le cas de la leucémie lymphoïde – 1100 cas diagnostiqués au Québec, surtout des gens âgés. Un cancer méconnu, plutôt silencieux, aux symptômes vagues (fatigue, sueurs nocturnes, toux persistante, enflure des ganglions). «Il existe peu d’options de traitement, les gens peuvent vivre des années avec une lourde charge de morbidité. Les médicaments suscitent un certain espoir, mais c’est difficile d’y avoir accès», indique Tracey-Ann Curtis, directrice pour le Québec de Lymphome Canada. Elle évoque des thérapies ciblées, moins toxiques, bien tolérées et administrées par voie orale. «Mais comme il s’agit de nouveaux médicaments, c’est inaccessible et coûteux.»Enfin, la conférence a montré une tendance de l’oncologie à élargir sa vision au-delà de la seule médication. Elle intègre de plus en plus des approches préventives personnalisées, en agissant sur les habitudes de vie, dont l’alimentation et l’exercice physique. *Magazine en gestion d'avantages sociaux et de caisses de retraite au Québec. Présentations disponibles sur le site avantages.ca/cancer2015/presentations/.

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