Ça sert à ça, un pharmacien!

Le Journal de Québec rapportait récemment le cas d’une fillette qui a reçu 10 fois la dose de tobramycine1. Ce genre d’histoire, je l’ai vu à des dizaines de reprises. Chaque fois, je me dis que la prochaine sera celle de trop. Celle rapportée dans le quotidien semble indiquer qu’heureusement, la fillette n'a pas eu de séquelle rénale à court terme, mais on craint néanmoins pour un effet à long terme sur son audition.Derrière cette histoire qui a presque tourné au cauchemar, il y a un fonctionnement qui date presque de la nuit des temps: dans les établissements de santé, certains médicaments sont conservés au commun et sont donc accessibles directement par le personnel infirmier, qui n’envoie pas l'ordonnance à la pharmacie pour la vérifier et s’assurer que c’est le bon produit. Il fut une époque où un nombre important, pour ne pas dire épouvantable, de médicaments se retrouvaient comme cela, en libre accès ou presque, sur les unités de soins.Dans certains établissements ce qui est probablement le cas ici mais je ne veux pas spéculer sur cette situation particulière -, le médicament doit se trouver dans un cabinet à accès sécurisé et l'ordonnance doit être transmise à la pharmacie le lendemain. Un pharmacien peut alors contribuer au dépistage d’une erreur. Malgré ce système de sécurisation, il est souvent trop tard: la dose est donnée.À lire aussi: Contribuer en tant que dernier rempartSelon la description présentée dans l'article, l'incident serait arrivé dans la nuit, car on mentionne que la pharmacie était fermée. Le journaliste rapporte qu'un pédiatre était de garde. Mais voyons! La responsabilité de valider une ordonnance n’est pas celle du pédiatre de garde, mais celle du pharmacien et il devait certainement y avoir aussi un pharmacien de garde!Je suis toujours étonné que l'on tolère ce genre de «palliatif» lorsque l'on parle de la pharmacie. La loi sur la pharmacie ne s'applique pas que durant les heures d'ouverture. Elle s'applique à toutes les ordonnances de médicaments, et certainement pour celles visant un médicament sous ordonnance (par opposition à un médicament hors annexe, par exemple). Une telle situation aurait aussi pu arriver durant les heures d'ouverture de la pharmacie. Certains médicaments sont en effet directement accessibles sur les unités de soins en invoquant une «urgence» ou une «pseudo urgence», question d’avoir un accès plus rapide en bypassant la pharmacie. Mais à quel prix?Qui pourrait imaginer un tel scénario dans une pharmacie communautaire? Le syndic de l'Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) interviendrait sur-le-champ. Pourquoi alors tolérer cela dans un établissement de santé, a fortiori pour un médicament à faible index thérapeutique?Dans des discussions passées avec l'Ordre, on m’a invoqué l'article 18 de la loi de pharmacie. Pour vous faire grâce des détails techniques, cet article dit, en somme, qu'un établissement peut acheter et distribuer des médicaments en autant qu'il y ait un médecin rattaché à cet hôpital. J'ai toujours eu l'impression que cet article datait de l'époque des dinosaures…Il me semble pourtant que les lois sont claires et que les activités prévues à celle sur la pharmacie ne peuvent être exercées que par un pharmacien, Certaines conditions sont aussi précisées afin qu'elles puissent être posées par un médecin, mais il n'existe, à ma connaissance, aucun médecin qui a conservé les privilèges de l'exercice de la pharmacie. De toute façon, dans le cas qui nous intéresse, les actes pharmaceutiques ont probablement été posés par un professionnel non-médecin, vraisemblablement par une infirmière ou un infirmier.En supposant que l'interprétation de l'article 18 permette à un établissement de procéder ainsi, je ne vois aucune modalité permettant à quiconque autre qu'un pharmacien de poser sur une base individuelle des actes qui sont du ressort de l'exercice de la pharmacie. Aucun article non plus ne permet à une tierce personne - qu'elle soit président directeur général, directeur des services professionnels ou tout autre fonction d'autorité - d'autoriser un professionnel à poser les actes propres à l'exercice d'une autre profession que la sienne.Cette fillette l'a échappé belle. Pour l'instant… Reste à voir l’état de son audition dans le futur. J’espère sincèrement qu’elle vivra sans aucune séquelle.À lire aussi: La fin du bordelIl me semble grand temps de mettre fin à cette dérive passéiste et d'assurer le principe suivant dans tous les hôpitaux du Québec: quel que soit le jour de la semaine ou l'heure du jour, toute ordonnance de médicaments doit être vérifiée par un pharmacien afin d'en assurer l'exactitude et d'assurer le service du bon produit. C'est ce que nous appelons aujourd'hui la sécurisation du circuit et du médicament lui-même. Dans les faits, il s'agit aussi de l'adage: le bon médicament, à la bonne dose, par la bonne voie, au bon patient et au bon moment.Il ne peut tout simplement pas y avoir de double standard entre les patients traités le jour et ceux traités la nuit, ou ceux dont l'ordonnance est traitée dans un établissement de santé ou dans une pharmacie communautaire.Il me semble que nous sommes franchement en retard et ce cas devrait être le dernier signal d'alarme pour régulariser cette situation avant qu'un patient ne subisse de graves préjudices.1- https://www.journaldequebec.com/2025/05/28/une-fillette-recoit-10-fois-la-dose-recommandee-dun-medicament-au-chul