Pour que l'influence du médecin s'étende au-delà de son bureau: bientôt un cours sur l'«advocacy»

Advocacy, un terme que l’on peut traduire par plaidoyer, promotion et défense des intérêts de… C’est justement pour faire des médecins de meilleurs avocats des causes que, parfois, ils défendent déjà que le Dr Jean Zigby prépare un cours d’advocacy.Ce médecin de famille (CSSS de La Montagne), également spécialiste en soins palliatifs à l’Hôpital général juif de Montréal, y consacre une sabbatique, avec l’appui du département de médecine familiale de l’Université McGill. Entrevue. Le Dr Jean Zigby Six mois pour créer, à l’UMF Côte-des-Neiges (Université McGill), un curriculum sur l’advocacy. Pourquoi?Pour donner aux futurs médecins des outils, des façons de faire afin de les aider à mieux promouvoir les causes auxquelles ils croient. Là, on déborde le seul travail clinique auprès du patient individuel, on vise plus large, beaucoup plus large. Plusieurs médecins appuient déjà une cause et apprennent à la promouvoir. Mais là, nous voulons systématiser cet apprentissage. Nous allons commencer petit à petit notre UMF, puis nous élargirons au fil des ans. Concrètement, que contiendra ce cours?Tous les aspects de l’advocacy (philosophie, langage, etc.) Comment, par exemple, apprendre à composer avec sa propre administration (hôpital ou clinique), avec les médias, les divers paliers de gouvernement, les organismes qui ont une influence directe sur les patients. Nous donnerons aussi des techniques, des façons de faire pour aider les médecins à mieux défendre leurs patients.En raffinant les activités d’advocacy, les médecins vont accroître de beaucoup leur pouvoir d’influence. Aussi banal que cela puisse paraître, nous allons apprendre aux docteurs, réputés individualistes, à travailler ensemble pour un objectif commun. Pas juste se rassembler pour améliorer leurs salaires et conditions de pratique -- ça, nos syndicats le font déjà --, mais pour veiller au bien de nos patients.Au-delà du patient individuelNombre de médecins ne font-ils pas déjà de l’advocacy?Oui, et la santé publique en est le meilleur exemple. Il s’agit de convaincre, par exemple, les gouvernements d’investir là où une action aurait un impact majeur sur la santé d’un grand nombre de personnes. Ça commence, certes, avec le patient individuel, mais ça va plus loin.Les médecins «avocats» les plus connus exercent, pour l’essentiel, en maladies infectieuses, en pédiatrie et en cardiologie. Je pense notamment aux Drs Gilles Julien, Éric Notebaert, Vania Jimenez, Michael Dworkind, François Reeves, Réjean Thomas. Pour ma part, je suis très engagé dans le secteur de l’environnement, et encore plus depuis la naissance de mes enfants1.Mais tout médecin, de par sa profession même, ne devrait-il pas aussi être «avocat»?Oui, en autant qu’il choisisse de faire jouer à plein son pouvoir d’influence, et pas juste face au patient individuel. Le Collège royal des médecins de famille et l’Association médicale canadienne nous y encouragent d’ailleurs fortement.Encore faut-il que les médecins aient des outils pour le faire, et c’est ce à quoi nous nous employons. Tous les médecins ne sont pas à l’aise avec l’advocacy, certes, mais c’est là une attitude pourtant appelée à se généraliser.Pourquoi, selon vous?Parce que les cliniciens vont ressentir chaque jour plus intensément les effets du gouffre existant entre la demande de soins, immense, et l’offre de plus en plus réduite d’un gouvernement qui tend à se désengager de ses responsabilités sociales. Ou qui, lorsqu’il respecte ses obligations, ne les assume pas toujours avec efficacité.FéminisationL’advocacy comme compétence médicale clairement affichée, n’est-ce pas aussi un effet générationnel?En partie, oui. Ce virage, je crois, doit beaucoup à la féminisation croissante de la médecine. Le regard des femmes médecins porte souvent plus loin que le seul «bobo» immédiat pour inclure tous les déterminants de la santé, l’entourage, l’environnement du patient. L’homme, lui, en général, est davantage centré, et concentré, sur un aspect spécifique.Fortement imprégnée de ces valeurs féminines, la jeune génération préfère voir l’ensemble du tableau que de centrer l’attention sur un seul élément. Et puis, autre facteur, on commence à mieux cerner les limites de la technologie à prétendre résoudre tous les problèmes. Le plus important, ce sont les déterminants de la santé.Pouvez-vous donner un exemple?Même avec les meilleures technologies au monde, nos patients continuent à mourir du cancer, par exemple. Or, ces cancers sont souvent causés par un environnement défavorisé et pollué, une mauvaise éducation et une faible capacité à obtenir une nourriture saine, autant d’éléments sur lesquels nous pouvons agir. Il nous faut aussi redécouvrir la notion des cycles de vie, qui incluent aussi la mort, et considérer désormais tout ce qui a une influence sur la santé, pas juste ce qui fait notre affaire.Jusqu’à présent, ce sont surtout les entreprises de technologie et les pharmaceutiques qui ont utilisé l’image du médecin, essentiellement pour vendre des produits. Là, il faut passer à l’autre étape qui consiste, pour les médecins, à reprendre leur influence, mais pour de meilleures causes. Tant qu’ils restent dans leur bureau, les docteurs laissent de côté les trois quarts de leur pouvoir d’influence. C’est cela que nous voulons leur faire comprendre. Cela ne va-t-il pas encore alourdir un peu plus la formation médicale?Non, car il s’agit de rassembler en un seul cours ce qui est jusqu’ici éparpillé à travers la formation. Sans doute est-on un meilleur avocat, par ailleurs, pour ses patients, à défendre la santé publique qu’à mémoriser des tas de schémas théoriques qui ne nous serviront pas.Je constate avec bonheur que de plus en plus de jeunes médecins s’intéressent à la santé communautaire, à la santé publique. Ça va prendre une génération pour traduire cet intérêt dans la pratique quotidienne, mais le virage est bel et bien amorcé.Au CLSC, vous travaillez à promouvoir l’allaitement. C’est là un exemple de santé publique, selon vous…Oui, redonner à la mère le pouvoir de la nutrition infantile, plutôt que de le laisser à l’industrie des laits artificiels, c’est à mon avis de la santé environnementale de base. Que peuvent faire demain matin les médecins pour promouvoir la santé publique dans leur environnement immédiat?Qu’ils regardent comment améliorer les choses, de manière systématique. Par exemple, qu’ils incitent leurs hôpitaux, ou leurs cliniques, à acheter des produits le moins nocif possible pour l’environnement. Ça semble encore tellement timide, comme mesure!Oui, en raison de la retenue des gouvernements à appuyer et à appliquer leurs propres lois de développement durable. Et puis, coincés dans des compressions budgétaires, les hôpitaux hésitent par ailleurs à investir aujourd’hui, pour améliorer l’environnement, les sommes qui leur permettraient de sauver bien des sous demain.Mais même si l’on continue les changements à ce rythme, qui peut paraître lent, la transformation va se faire. Elle m’apparaît irréversible. On travaille par exemple avec le CHUM à réduire le grand gaspillage des salles chirurgicales. Selon vous, la cause du développement durable avance donc, dans le secteur de la santé…Oui, lentement, mais sûrement. Efficacité énergétique, réduction des déchets, ce ne sont plus là des activités embryonnaires. On a dépassé le stade des mesures symboliques. Bien des établissements font la promotion, pour réduire le recours à l’auto individuelle, du vélo, du covoiturage, des transports collectifs.L’advocacy a toujours été la mission implicite des médecins, mais elle va devenir plus systématique et prioritaire pour eux. Ceux qui voulaient agir dans ce sens passaient souvent pour des idéalistes ou des fantaisistes, en bonne partie parce qu’ils n’avaient pas les outils pour concrétiser leurs idées. Bientôt, ils n’auront plus ce prétexte pour ne pas agir.1Le Dr Jean Zigby est président de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement et cofondateur de Synergie Santé Environnement, qui vise à réduire l’empreinte écologique du milieu de la santé.

Pour que l'influence du médecin s'étende au-delà de son bureau: bientôt un cours sur l'«advocacy»

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes

Catégorie