Baromètre Cirano 2017: la santé, première préoccupation des Québécois, sur les plans individuel et collectif

Québec veut ralentir la hausse des dépenses de santé, la rémunération des médecins et le coût des médicaments étant les deux postes qui augmentent le plus. « Avec raison, le gouvernement applique les freins à un processus qui est insoutenable. Le coût du système de santé croît plus vite que l’économie, la demande de services grandit sans cesse et l’on a atteint les limites de l’impôt. Facile de comprendre les inquiétudes du public ! », lance à Profession Santé Claude Montmarquette, professeur émérite au département de sciences économiques de l’Université de Montréal. Claude Montmarquette, professeur émérite au département de sciences économiques de l’Université de Montréal. Photo : Michel DongoisSpécialisé dans l’économie des choix publics, l’économiste est l’un des artisans de l’édition 2017 de l’enquête Perception des risques au Québec, Baromètre Cirano. Le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) l’a dévoilée fin janvier à Montréal. Il en ressort que les risques liés au système de santé constituent la première source de préoccupations des Québécois, tant sur les plan collectif qu’individuel.Via la firme de sondages Léger, le Cirano a interrogé en octobre dernier 1 008 répondants représentatifs de la population québécoise sur 44 enjeux de société. Il les a regroupés en sept grandes catégories, dont celles concernant la santé (voir la figure 1). Depuis 2011, année du premier Baromètre, l’engorgement des urgences se classe au top 3 des projets/enjeux perçus comme étant les plus à risque. S’ajoutent cette année les enjeux reliés à la corruption (gestion des projets publics) et à la difficulté d’accéder aux services de santé en général. Source : Perception des risques au Québec, Baromètre Cirano 2017L’objectif du Baromètre consiste à éclairer les politiques publiques, ce qui implique d’inclure les préoccupations des citoyens la perception qu’ils ont des risques et bénéfices des grands projets. Sont aussi pris en compte les niveaux de confiance que le public accorde au gouvernement et d’acceptabilité sociale des divers enjeux/projets.Utilisateur/payeurLa réforme Barrette, qui vise notamment à redresser les finances publiques, a rompu un certain équilibre, poursuit Claude Montmarquette. « D’un côté, on ne peut plus imposer davantage les citoyens; de l’autre, Québec réduit leur contribution existante en abolissant la taxe santé et les frais accessoires. Comment financer le système ? Si personne ne veut plus payer, il y aura rationnement. » D’où l’urgence, selon lui, de rechercher un nouvel équilibre, pour que tous et chacun y trouvent leur compte.« À ce propos, médecins et pharmaciens doivent contribuer au redressement des finances publiques », ajoute l’économiste. Ce que Québec a d’ailleurs déjà exigé d’eux, selon lui. « Il leur dit : vous disposez de revenus substantiels et avez été bien servis dans le passé. Participez donc un peu à l’effort collectif ! » Selon Claude Montmarquette, le gouvernement n’aura d’autre choix que de faire payer aussi davantage tous les citoyens, ce qu’il avait commencé à faire avec « la contribution santé » (taxe santé). « De leur côté, les frais accessoires constituent une bonne idée, dans la mesure où ils répondent au principe de l’utilisateur/payeur. Mais voilà, ça contredit la Loi canadienne sur la santé ! »Cette contrainte fédérale ne fait plus aucun sens aujourd’hui, affirme Claude Montmarquette. « Il est clair qu’à cet égard la loi canadienne est moins un argument intelligent d’économie de la santé qu’une vision idéologique et identitaire, vitale surtout pour le Rest of Canada. » Par ailleurs, insiste l’économiste, Québec fait ses devoirs en restreignant le budget de la santé, car il lui revient de financer tous les autres secteurs de la vie en commun — éducation, infrastructures, sécurité, redistribution de la richesse, etc. Le gouvernement cherche ainsi avec raison, selon lui, à rééquilibrer le budget en faveur de l’éducation, facteur de croissance primordial pour une société. « Le système de santé ne représente un tel facteur que dans la mesure où il retourne les gens au travail. Aussi, des citoyens plus instruits prennent en général davantage soin de leur santé. »Un consensus social émerge pour qu’on parvienne à un nouvel équilibre dans les finances publiques en santé, insiste l’économiste. Et l’assurance-médicaments du Québec (un régime en partie autofinancé) montre la voie à suivre, selon lui. « Voilà un exemple d’équilibre, dans la mesure où l’usager paie de sa poche une partie de ce qu’il reçoit. » En plus, ça ne tombe pas sous la loi fédérale, précise-t-il, donc Québec peut agir à sa guise. « Pourquoi ne pas adopter ce modèle pour le reste du secteur de la santé et favoriser ainsi une plus grande contribution de l’utilisateur payeur ? »Oui aux vaccins, non aux OGMLes catégories de risques, pour la plupart interreliés, que perçoivent les Québécois comme étant les plus préoccupantes restent inchangées depuis 2011. Dans l’ordre : les risques liés au système de santé, les risques économiques et financiers, et ceux touchant l’environnement et les ressources énergétiques (matières dangereuses).Toujours selon le Baromètre Cirano, la vaccination fait partie, depuis cinq ans, des trois projets les plus socialement acceptés au Québec (avec l’utilisation des objets reliés à Internet et à la construction d’un parc éolien). Sur le plan de l’acceptabilité sociale des enjeux concernant les innovations technologiques, les Québécois perçoivent qu’il y a plus de bénéfices que de risques, sauf pour les organismes génétiquement modifiés (OGM). Là, explique Ingrid Peignier, coauteure du Baromètre 2017, en citant le biologiste Jean Rostand, « l’obligation de subir nous donne le droit de savoir ».Les Québécois veulent en effet savoir si les aliments qu’ils mangent contiennent ou non des OGM. Au nom du libre choix, le citoyen exige que les aliments génétiquement modifiés soient clairement étiquetés. Les OGM, tout comme les centrales nucléaires et les industries à risque (gaz de schiste, produits chimiques, etc.), sont perçus comme étant les moins bénéfiques pour le Québec. Les Québécois font également très peu confiance au gouvernement pour gérer ces trois secteurs d’activité, qui ne franchissent pas le cap de l’acceptabilité sociale. Parmi les autres sujets de préoccupation figurent les enjeux de sécurité : cyberattaques, terrorisme et fraudes alimentaires (étiquetage falsifié, contrefaçon).Dans la pléthore de données que fournit le Baromètre Cirano 2017, Claude Montmarquette relève la place importante qu’occupe la corruption comme sujet de préoccupation au Québec. Quant aux perceptions en santé, l’économiste nuance les choses. « Il faudrait distinguer le rapport qu’entretiennent les Québécois avec le système de santé en général de celui qu’ils se forgent d’après l’expérience personnelle qu’ils en ont. Une fois hospitalisés, je crois que les citoyens reçoivent de bons services. »

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