«Aucun avenir pour les soins à domicile avec les GMF» – Me Jean-Pierre Ménard

«C’est un gros cri d’alarme que nous lançons aujourd’hui. Le Québec se dirige vers une crise majeure, avec le désengagement de l’État envers les plus vulnérables. On s’en va pour eux vers un goulot d’étranglement, avec de moins en moins d’accès au système de santé, à l’hébergement et aux soins à domicile», constate Me Jean-Pierre Ménard, avocat spécialisé dans la défense des droits des patients, Ménard, Martin avocats. Et tout cela, dit-il, se fait sans débat de société et au nom de quels intérêts? «Est-ce vraiment ce que veut la population?» Line Larocque, vice-présidente de la FIQ, et Me Jean-Pierre MénardMe Ménard participait récemment à une conférence de presse conjointement organisée à Montréal par le Réseau FADOQ, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), le Conseil pour la protection des malades (CPM) et le Regroupement des aidants naturels du Québec (RANQ). Ces organismes ont démontré l'impact majeur des lacunes d'accès aux soins à domicile pour les aînés en perte d’autonomie. Ils l’ont fait en dressant le portrait type d'une personne dont l'état requiert des soins, à partir de l’ISO-SMAF. Il s’agit de la grille d’évaluation du degré de perte d’autonomie qu’utilise le système de santé pour évaluer les besoins en services à domicile.Tous revendiquent une nouvelle politique publique de maintien à domicile, soutenue par un financement adéquat et récurrent. Ces organismes font en effet observer que l’investissement annoncé de 60 M$ en maintien à domicile par le ministre de la Santé ne représente qu’environ 200 $ d’aide annuelle aux 337 000 personnes recevant des soins à domicile. «Et ça ne vaut que si l’entièreté de la somme est vraiment redistribuée aux usagers.»«De belles promesses, mais...»Interrogé par ProfessionSanté.ca, Me Ménard précise que rien ne semble vouloir s’améliorer en matière de soins à domicile. «Les GMF n’ont aucun mandat dans ce domaine et la tarification des médecins n’encourage pas du tout, mais pas du tout ce genre d’activités. Il n’y a aucun avenir pour les soins à domicile avec les GMF.» Par ailleurs, poursuit-il, les GMF sont des entreprises privées, les personnes vulnérables perdant toute protection lorsqu’elles sortent du réseau public. Me Paul Brunet, président directeur général du Conseil pour la protection des maladesDe son côté, Me Paul Brunet, président directeur général du Conseil pour la protection des malades, déplore que l’on pousse les aînés vers les résidences privées, alors même que ces établissements ne sont pas équipés pour recevoir des personnes en lourde perte d’autonomie.«La politique en soins à domicile, ce sont de belles promesses, mais il faudrait être un peu plus sérieux. Quand vous ne recevez pas les soins chez vous, il vous reste le CHSLD, avec de longs délais d’attente, ou vivre chez vous, parfois dans l’insalubrité, avec des dangers pour la sécurité.» Il évoque à ce sujet le précédent du drame «ou plutôt du scandale» de l’Ile Verte (32 personnes âgées mortes dans l’incendie d’une résidence, en 2014), «des gens en perte d’autonomie qui auraient dû être hébergés ailleurs, mais qu’on avait placées là parce qu’il n’y avait pas d’autres alternatives.»Line Larocque, vice-présidente de la FIQ, affirme que l’État peut faire autrement que de mettre toujours plus d’argent là où ça coûte le plus cher. «On peut faire mieux. Arrêtons de ne financer que des soins axés sur le médical. Mais la vision pour autre chose n’est pas là, et si l’on ne dénonce pas la situation aujourd’hui, qu’en sera-t-il demain?»Une situation difficile pour les soignants aussi, poursuit l’infirmière. «Il faut à présent chronométrer nos interventions. La dimension humaine de la relation thérapeutique ne compte plus, les soignants devant de plus en plus choisir entre pratiquer leur profession ou se conformer aux critères de gestion.» Le démantèlement de la mission des CLSC hypothèque aussi gravement l’avenir des soins à domicile, affirme-t-elle.Le système de santé est dans la brume, résume Me Ménard. «Le ministre Barrette privilégie de façon absolue la pratique médicale et a coupé partout, sauf dans la pratique médicale. C’est lui qui est imputable de la situation actuelle.»Danis Prud’homme, du Réseau FADOQ, relève que la diminution des services à domicile s’effectue à la vitesse grand V. Ce que confirme Jean-Claude Laporte, du RANQ. «Les choix budgétaires aggravent la situation. Québec a fermé au moins 20 centres de jour pour aînés en 2015, diminuant aussi le nombre d’heures dans plusieurs autres. Comment prendre au sérieux la politique de Monsieur Barrette sur les soins palliatifs, alors même qu’il faudrait d’abord combler les services à domicile?»Lire la suite en page 2Vivre dans la dignité«Au lieu de mourir dans la dignité, commençons donc par vivre dans la dignité. Au lieu de donner l’essentiel à l’hôpital et au médical, donnons plus à la communauté et aux soins à domicile.» C’est ce qu’ont fait les pays qui ont de bons résultats en santé, ajoute-t-il, mais le Québec, lui, va en sens inverse.» Le représentant de la FADOQ dit d’autant moins comprendre la vision du ministre Barrette que le contexte démographique québécois pousse à une réflexion d’urgence. «La pyramide des âges s’est inversée en 2011, et ça continue de s’accentuer.»Il ne s’agit pas de mettre de l’argent neuf dans le réseau, mais de distribuer autrement l’argent qui y est investi, note Me Ménard. «Le déficit découle des mauvais choix du ministre qui ne sont pas concordants avec les besoins de la population. L’argent est actuellement mal dépensé, en fonction d’autres impératifs.»Selon Me Ménard, on approche de la ligne de fracture, le réseau n’évoluant pas dans une direction rassurante. «L’insuffisance de soins à domicile peut porter atteinte au droit à la sécurité et à la protection garanti à toute personne âgée ou handicapée en vertu de l’article 48 de la Charte des droits et libertés de la personne», dit Me Ménard. «La situation actuelle est insoutenable pour les personnes en perte d’autonomie et leurs proches aidants naturels.»Comme le gouvernement ne rend pas de comptes à la population, poursuit l’avocat, le tribunal demeure le seul processus pour forcer le ministre à revenir à une juste perspective des choses. «Le problème sera encore plus aigu l’an prochain. Vraiment, en matière de soins à domicile, on ne s’en va pas dans la bonne direction.»Pour Me Brunet, il est temps que le gouvernement fédéral pose des questions à Québec, car les soins à domicile ne sont pas considérés pour l’instant dans les transferts en santé. «C’est bien beau la souveraineté en santé, mais il est temps de veiller à ce que nos impôts fédéraux en santé aillent aux vrais besoins.» En ce moment, conclut-il, au nom de l’équité, les aînés en perte d’autonomie reçoivent tous un petit peu, mais personne ne reçoit vraiment à la hauteur de ce dont il a besoin. «Même inscrits sur des listes à un médecin de famille par exemple, bien des patients n’ont pas accès … au médecin de famille.»Me Ménard évoque quant à lui des services à domicile limités et insuffisants et surtout, un réseau mal organisé. «La privatisation n’est pas la solution, car la qualité des soins n’y est pas contrôlée et ceux qui n’ont pas d’argent doivent s’en passer.» Le financement est centré sur le curatif et les structures lourdes vers lesquelles on dirige les gens, puisqu’ils peuvent de moins en moins rester à domicile. Et ça, conclut-il, ça montre que l’on ne va pas dans la bonne direction.16 500 aînés en attente de services de maintien à domicile au Québec, selon une compilation de la Coalition Avenir Québec;6 à 12 mois d’attente pour recevoir des soins à domicile de la part d’un CISSS;un aîné québécois de plus de 75 ans sur deux a un revenu annuel inférieur à 20 000 $.

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