Assurance médicaments: Assurer la pérennité du système

De gauche à droite : Jean Thiffault, Sylvie Bouchard, Stéphane Lassignardie, Jean-Guy Gouletet Denis Villeneuve. Photo : AQPPPrix des médicaments, pénuries, biosimilaires et rôle du pharmacien. Ces quatre thèmes ont été abordés lors d’un panel animé par Jean Thiffault, président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), dans le cadre du congrès annuel de l’Association, qui s’est déroulé au Centre des congrès de Québec à la mi-novembre.Sylvie Bouchard, directrice du Médicament à l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), Stéphane Lassignardie, directeur général de Abbvie Canada et président du comité Québec de Médicaments novateurs Canada, Jean-Guy Goulet, chef de l’exploitation chez Pharmascience, et Denis Villeneuve, pharmacien et président de Panacée conseil, ont discuté de ces sujets chauds.Contrôler les coûtsD’une année à l’autre, le nombre de médicaments ne cesse d’augmenter, ce qui préoccupe les intervenants quant à la pérennité financière du système de santé. Surtout que plusieurs des nouveaux médicaments mis sur le marché sont très coûteux.« De nouvelles molécules s’en viennent, d’autres sont déjà sur le marché. Nous avons déjà évalué des médicaments génomiques, nous sommes dans les théories cellulaires. C’est à nos portes, et ça va coûter cher », s’inquiète Sylvie Bouchard, de l’INESSS.Selon l’Institut canadien d’information sur la santé, le coût des médicaments occupe le deuxième rang en importance dans les dépenses de santé au Canada avec 15,7 %, après celles liées aux hôpitaux (28,3 %). Cela représente 1 074 $ par Canadien, une hausse de 3,2 % par rapport à 2017.Reconnaissant que le coût des médicaments est un problème, Stéphane Lassignardie croit qu’il vaut mieux éviter une approche trop comptable pour les dépenses en lien avec les médicaments. « Au lieu de parler du prix des médicaments, nous devrions nous poser la question suivante : comment allons-nous optimiser l’investissement thérapeutique ? Nous devrions investir de l’argent dans ce qui a le plus d’impact sur le patient, l’économie et la société. » Selon lui, l’une des solutions réside dans l’utilisation des données et de la technologie pour savoir comment faire des choix plus judicieux.Pour sa part, Jean-Guy Goulet rappelle que des efforts ont déjà été consentis pour diminuer le coût des médicaments génériques pour la population. D’ailleurs, en juillet 2017, l’Association canadienne du médicament générique (ACMG) et le gouvernement québécois ont conclu une entente qui permettra de faire des économies de 1,5 milliard $ en cinq ans, selon les prétentions de l’entente, qui demeure secrète. Dans cet élan, depuis le 1er avril dernier, le prix de près de 70 médicaments les plus fréquemment prescrits au Canada a été réduit de 25 % à 40 %.La baisse du prix des génériques ne viendra pas contrecarrer la croissance du remboursement des médicaments au Canada, prévient-il toutefois. Même que cette baisse pourrait occasionner d’autres problèmes. « Nous avons atteint un prix qui crée aujourd’hui des enjeux d’approvisionnement. Il faut trouver d’autres solutions. »Le prix de trois mois de vieL’animateur du panel, Jean Thiffault, a posé cette question aux quatre intervenants : « Quel montant limite un État va-t-il pouvoir payer pour un médicament qui prolongerait la vie de trois mois ? »« La limite est difficile à mettre, avance Sylvie Bouchard. Est-ce que deux mois de vie supplémentaire pour une personne de 80 ans valent moins que deux mois de vie pour une mère de famille de 35 ans ? Nous devons avoir ce débat social, mais ce n’est surtout pas à l’INESSS à mettre les limites.Il y a du politique, de l’éthique et différents éléments à prendre en considération. »Pour Stéphane Lassignardie, le fait que des médicaments novateurs sont disponibles dans d’autres pays mais pas au Canada pose problème. Certaines de ces molécules ont une valeur sociétale importante. « Des médicaments permettent d’être à nouveau actif, de travailler, de ne pas être en congé de maladie. Aussi, ils permettent à des proches aidants de ne plus avoir à s’occuper d’une personne. Ça fait partie de la valeur du médicament. »Biosimilaires interchangeables ?Le médicament biosimilaire doit-il être interchangeable avec son médicament biologique de référence ? Stéphane Lassignardie et Sylvie Bouchard répondent par la négative.« Dans aucun cas, le patient ne devrait être forcé d’utiliser un biosimilaire, parce qu’il peut se passer plusieurs années avant qu’il ne soit stable avec un produit donné », déclare le directeur général de Abbvie Canada, ajoutant que l’état actuel de la science ne soutient pas la démarche d’interchangeabilité. Selon lui, dans les pays où il y a cette politique d’interchangeabilité, 15 % des patients sont revenus à leur molécule initiale.Selon Denis Villeneuve, les pharmaciens ont encore peu de soutien pour ce qui est des biosimilaires. « Quand quelqu’un va-t-il assumer la substitution ? On nous demande d’économiser de l’argent en donnant des biosimilaires, mais nous n’avons pas d’aide, pas d’appui, pas de conseils. Nous assumons entièrement la responsabilité avec les données que nous pouvons interpréter », déclare-t-il.Mieux utiliser le pharmacienPour les quatre panélistes, il ne fait aucun doute que les pharmaciens doivent occuper une plus grande place dans le système de santé.« [Le pharmacien] doit être utilisé beaucoup plus si l’on souhaite avoir un meilleur système de santé, tranche Stéphane Lassignardie. Son rôle doit être plus important afin qu’avec l’utilisation des données on puisse avoir le meilleur usage possible des médicaments. »Selon lui, le pharmacien doit poursuivre son rôle primordial de « spécialiste extraordinaire de l’adhésion thérapeutique ». « Un des principaux coûts de la santé est celui de la non-adhésion », lance-t-il.De son côté, la représentante de l’INESSS estime que le pharmacien devrait être mieux intégré dans les équipes interdisciplinaires afin que son savoir et son expertise soient mis de l’avant.Si, selon certains, le rôle du pharmacien doit être redéfini, nous devons nous questionner sur la place de la santé dans le budget du gouvernement, estime Sylvie Bouchard. « Quel montant voulons-nous investir en santé et, plus spécifiquement, dans le médicament ? Nous mettons beaucoup d’argent en santé, mais moins en éducation. S’il vous plaît, permettons à nos enfants et à nos petits-enfants d’avoir accès à l’école à un prix raisonnable. On sait que les gens qui sont les moins malades sont ceux qui sont les plus instruits. »Des pénuries Les pénuries de médicaments continuent à rendre la tâche des pharmaciens pénible. Cette année, les problèmes d’approvisionnement en lien avec le valsartan et l’épinéphrine ont constitué deux exemples ayant causé des maux de tête à bien des pharmaciens.Selon un sondage de l’AQPP présenté au congrès par Jean Thiffault, 97 % des membres affirment que la gestion des ruptures d’approvisionnement a augmenté leur charge de travail, alors qu’un pourcentage similaire estime que ces pénuries devraient devenir un enjeu ou une priorité de santé publique. Le même sondage révèle que, selon 73 % des pharmaciens propriétaires, ces ruptures de stock représenteraient un important danger pour les patients.Pendant les pénuries, le pharmacien se sent souvent bien seul, déplore Denis Villeneuve. « Les crises vont arriver et on va les gérer. Mais lorsqu’elles se produisent, on veut de l’aide ! Les fabricants ne nous ont pas donné de ressources », regrette-t-il.Pour sa part, Jean-Guy Goulet affirme que la baisse du prix des médicaments est à l’origine de ces pénuries. « En baissant le prix, on crée des changements de sites de fabrication dans le but de générer des économies. »Ainsi, le Canada a perdu plusieurs usines de fabrication de médicaments au cours des dernières années. « Perdre ces usines a été critique dans la chaîne d’approvisionnement. Je crois fermement qu’une solution à ces pénuries consiste à protéger nos usines au Canada. C’est hyper important en ces temps de volatilité du marché. »Les innovations pharmaceutiques pourraient constituer une autre solution. Or, le délai d’accès aux médicaments novateurs est important, affirme Stéphane Lassignardie. Selon lui, en quatre ans, ce délai est passé de 260 jours à 600 jours au Québec. En comparaison, il est de 100 jours en Allemagne.« Il existe des produits qui, depuis deux ans, sont remboursés en Allemagne ou en France, mais qui ne le sont toujours pas au Canada. Ce sont des situations excessivement anormales », affirme-t-il.En Allemagne, dès qu’un médicament est autorisé, il est remboursé, indique-t-il. Au bout d’un an, il y a négociation sur le prix entre les pharmaceutiques et le gouvernement fédéral. « Certains médicaments sont délaissés mais, au moins, les patients n’ont pas souffert de ne pas avoir eu accès à l’innovation », indique Stéphane Lassignardie.Au Canada, les négociations entre l’Alliance pancanadienne pharmaceutique et les provinces prennent un temps considérable, constate-t-il.Pour sa part, même s’il estime que la création de l’Alliance a simplifié les discussions sur les médicaments génériques, Jean-Guy Goulet constate qu’il y a encore du travail à abattre. « Le Canada est très complexe en ce qui a trait à la gestion du prix. Avec 10 provinces, c’est comme 10 pays en un ! »

Assurance médicaments: Assurer la pérennité du système

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes