AMM: qu’est-ce qui a si bien fonctionné dans l’organisation de ce soin?

Je profite de ce début d’année 2025 pour vous offrir, chers lecteurs, mes meilleurs vœux de santé bien sûr, mais aussi de bienveillance en ces temps qu’on pourrait qualifier sans exagérer de «tendus», je crois. Je répète souvent à mes enfants devenus grands et très conscients du monde moderne et de ses défis qu’on peut certes se sentir impuissant face à un climat mondial au parfum de conflits, si ce n’est que commencer par de petits efforts avec notre entourage immédiat, en prônant le respect d’autrui, le calme et la bienveillance plutôt qu’en alimentant les discours d’exclusion, d’intimidation, de division ou de peur. Et surtout, garder espoir en l’humanité… On a souvent l’impression que l’humain, sous tension, est capable du pire. Mais au fond, on doit faire l’effort de se rappeler qu’il est capable du mieux…Parlant de mieux, j’observe comme médecin de famille qui soigne activement en GMF les impacts positifs de la Loi sur les soins de fin de vie et l’évolution de l’aide médicale à mourir (AMM) dans les dernières années. Je ne cesse de me surprendre de cette valeur ajoutée pour mes patients, au point où j’ai décidé, dans la dernière année, de faire le grand saut. Après avoir accompagné plusieurs de mes patients vers l’AMM et assisté à leur départ, orchestré par un ou une collègue qui en fait régulièrement, j’ai décidé d’ajouter cette corde à mon arc et d’offrir moi-même ce soin à mes patients. Pourtant, à l’époque des «débats» avant la mise en place de la loi, je faisais partie des sceptiques. Comme médecin, je percevais l’offre de l’AMM comme un constat d’échec de notre système et de notre science. Ma perception a complètement changé depuis. D’abord, il y a eu mes patients. Je ne compte plus les situations où la disponibilité de l’AMM dans le «panier de soins» fut en soi bénéfique à leur bien-être. Simplement de savoir qu’il y avait une «sortie de secours» en cas de souffrances non apaisées constitue un soulagement en soi pour ces gens qui ont malheureusement perdu le contrôle de leur destinée à plusieurs autres niveaux. Le fait de redonner au patient un tel pouvoir, celui de demander et recevoir l’AMM au besoin, est un puissant remède. Ensuite, il y a le «vécu» de l’AMM. Il existe certainement des AMM «difficiles» pour quelques patients, mais souvent davantage pour les membres de l’entourage. Toutefois, ce que j’entends de mes collègues qui la pratique régulièrement, c’est que ces cas sont minoritaires. Personnellement, l’expérience auprès de mes patients est un bilan 100% positif. Lautréamont disait «on ne peut juger de la beauté de la vie que par celle de la mort». C’est peut-être exagéré, mais les départs où j’ai eu le privilège d’être présent étaient de véritables moments de grâce. Je revois cet homme que j’ai soigné durant plus de 15 ans, autrefois costaud et assuré, devenu diminué et chétif, assis à la table de cuisine avec sa conjointe et sa fille. Nous avons échangé durant une bonne demi-heure sur son parcours et sa vie. Nous avons ri et pleuré, un peu, pas trop. Il n’aimait pas voir les gens souffrir «à cause de lui».Puis, d’un ton affirmé, comme d’antan, le sourire en coin, il m’a dit «bon, c’est le temps-là». Il s’est levé, avec une force venue je ne sais d’où, pour marcher jusqu’à sa chambre et s’est étendu dans son lit. Entouré de sa conjointe et sa fille, il s’est endormi paisiblement, à jamais, à sa manière, sereinement, dans la dignité, comme il le souhaitait. Cet ancien gestionnaire venait de gérer son départ et sa reconnaissance envers moi était infinie. Sa conjointe et sa fille, bien sûr éplorées et même un peu bousculées par cette détermination, ont trouvé justement du réconfort dans le fait que cet homme fier était parti la tête bien haute. Voilà donc pour le médecin et pour l’humain. Il y a certes quelques débats philosophiques à tenir, entre autres sur les raisons qui font en sorte que le Québec est devenu «champion mondial» de l’AMM, mais j’ai pleinement confiance dans les différents processus régulateurs et les organisations qui se pencheront sur la question. Je ne crois pas que le processus vienne plomber l’immense consensus social et médical sur le fait que la Loi sur les soins de fin de vie est venue combler un besoin réel de notre système de soins de santé. Plus récemment, le gestionnaire en moi s’est posé une importante question par rapport à l’AMM: qu’est-ce qui a bien pu marcher dans cet immense chantier à la fois éthique, légal, mais aussi logistique et médical? Mes collègues qui pratiquent régulièrement l’AMM dans ma région me confirment que tout roule au quart de tour. Ils ont un support administratif efficace, autant au niveau des ressources humaines que des outils de suivi et de progression des dossiers. Ils ont accès à du personnel infirmier et des travailleurs sociaux humains, compétents, disponibles. Le patient qui place une demande d’AMM et qui est accepté se voit dérouler un tapis rouge et les chemins devant lui sont bien balisés et dégagés. Aucun grain de sable dans l’engrenage. Tout se passe comme sur des roulettes. Mais pourquoi diantre des secteurs tout aussi importants comme les soins à domicile souffrent durant ce temps de gangrène administrative, de sous-investissement, de manque de personnel et du syndrome de la maison des fous dans les Douze travaux d’Astérix? On peut demander à mourir et tout se passe efficacement. Mais si on demande à vivre, dans notre maison, en voulant à tout prix éviter le CHSLD, alors là… c’est une autre histoire! C’est maintenant et de façon urgente que ton patient a besoin d’une évaluation sociale et d’un ajustement des heures de soins pour éviter les urgences et l’hospitalisation. D’abord, tu dois trouver à qui parler… ensuite, il y a de bonnes chances que le service arrive sur les étages de l’hôpital où ton patient aura atterri par dépit plutôt qu’à la maison. Personnellement, je ferais des soins à domicile le prochain projet central de notre société… Un projet de loi Vivre chez soi dans la dignité. Il faut regarder ce qui a marché avec l’AMM pour l’exporter ailleurs. D’abord, un consensus politique et social à l’idée qu’il s’agit d’une priorité. Ensuite, une loi qui stipule qu’il est «obligatoire» que l'État offre la dignité à domicile. Puis, des ressources suffisantes, non négociables et bien coordonnées. Enfin, viendront les gens du terrain dévoués, qui auront envie de relever le défi de faire de ce projet une réussite. Il y a un tabou à dire que toutes les ressources investies en aide médicale à mourir sont rentables puisqu’elles épargnent un nombre incalculable d’heures soins et de ressources par la suite… Qu’en est-il des soins à domicile? Chaque dollar investi épargne combien en soins de longue durée croyez-vous? Et combien de séjours à l’urgence, d’hospitalisations et de complications?Inspire-toi de ce qui fonctionne pour améliorer ce qui est brisé.

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Derrière ce blogue:

Mathieu Pelletier

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