AMM: des médecins forcés d’accompagner leurs patients dans un jeûne mortel

La lettre du Dr Pierre Viens publiée lundi dans La Presse a bouleversé bien des personnes. Le médecin y raconte qu’un peu avant de fêter ses 70 ans, une femme souffrant de sclérose en plaques depuis 20 ans, s’est laissé mourir de faim et de soif, parce qu’elle n’a pu trouver un deuxième médecin pour signer sa demande d’aide médicale à mourir. Le Dr Viens l'a donc accompagnée jusqu'au bout de son agonie qui aura duré 14 jours.Clairement en rage, le Dr Viens écrit ainsi: «Quatre médecins sondés (car la loi québécoise impose un deuxième médecin chargé de confirmer ou non l’opinion du médecin traitant) ont eu peur d’un blâme de la Commission sur les soins de fin de vie (à laquelle siège un des plus féroces opposants à l’aide médicale à mourir), s’ils osaient "interpréter la loi"; et j’avoue que ces craintes étaient fondées.»Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, a expliqué à La Presse que dans des cas comme celui de la patiente du Dr Viens, rien n'empêche dans les faits les médecins de procéder à l'aide médicale à mourir, «s'ils estiment qu'ils respectent le Code criminel».L'avocat Jean-Pierre Ménard va dans le même sens. Comme il l’a précisé à Radio-Canada, «cette femme-là, depuis l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Carter, avait le droit d'avoir accès à l'aide médicale à mourir, même si sa mort n'était pas imminente, ou même si elle n'était pas raisonnablement prévisible.» Il avait d’ailleurs commencé à monter un dossier pour elle, mais les démarches pouvaient durer jusqu’à quatre ans. Temps que cette femme estimait ne pas avoir devant elle. Elle était en train de perdre l’usage de sa dernière main mobile et voulait mourir avant de se retrouver en CHSLD.Des procédures nécessaires pour élargir la LoiMême s’il n’a pu déposer le dossier de cette patiente, Me Ménard compte toujours intenter des procédures de contestation des critères de l’aide médicale à mourir de la Loi québécoise concernant les soins de fin de vie, puisqu’ils sont plus resserrés que ceux de la Cour suprême dans l’arrêt Carter.Critères québécois• Être assuré au sens de la Loi sur l’assurance maladie;• Être majeur et apte à consentir aux soins;• Être en fin de vie;• Être atteint d’une maladie grave et incurable;• Être dans une situation caractérisée par un déclin avancé et irréversible de ses capacités;• Éprouver des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables, et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions jugées tolérables.Critères de l’arrêt Carter• Être adulte;• Donner un consentement clair;• Avoir une condition médicale souffrante et incurable qui cause des souffrances intolérables pour cet individu dans les circonstances de sa condition.La Loi C-14, qui parle plutôt de «mort raisonnablement prévisible», est quant à elle, contestée devant les tribunaux de Colombie-Britannique. Le ministre Barrette a d’ailleurs affirmé plusieurs fois qu’il attendait cette décision judiciaire pour ouvrir le débat sur le suicide assisté au Québec. En attendant, il a réaffirmé que dans des cas comme celui de cette patiente, «rien n'empêche dans les faits» les médecins de procéder à l'aide médicale à mourir et qu’ils ne seraient pas poursuivis.Le Collège des médecins du Québec, lui, leur recommande pourtant de s’en tenir à la loi québécoise. «On a une loi qui porte à interprétation. Si le médecin se trompe, il s'expose à une poursuite criminelle. Personne ne veut s'exposer à ça», a souligné le Dr Yves Robert, secrétaire du Collège des médecins du Québec à Ariane Lacoursière de La Presse.Les cas des maladies neurodégénérativesEn juillet, Profession Santé avait compilé les chiffres des rapports sur les soins en fin de vie rendus publics par les différents CISSS, CIUSSS et autres établissements non fusionnés.Entre décembre 2015 et juin 2016, 23 personnes se sont vu refuser à l’aide médicale parce qu’elles ne répondaient pas aux critères de la loi. Sept ont aussi été jugées inaptes (parce qu’elles étaient en délirium ou dans un état confusionnel avancé entre autres).Pour le Dr Viens, les patients atteints d’une maladie neurodégénérative souffrent particulièrement de la Loi québécoise concernant les soins de fin de vie. «On dirait que la loi a été faite seulement pour les patients qui souffrent de cancer en phase terminale. Quand vous avez un cancer avancé, irrécupérable, ce n'est pas difficile de prévoir la fin de vie», a-t-il expliqué à Radio-Canada.Plusieurs patients atteints de maladies neurodégénératives ont cependant pu bénéficier de l’aide médicale à mourir au Québec, comme l’a expliqué à Profession Santé la Dre Chantal Morency qui offre des soins palliatifs à des personnes atteintes de sclérose latérale amyotrophique (SLA).Dans sa région, à Québec, trois personnes atteintes de SLA ont ainsi demandé et reçu l’AMM depuis que la Loi est entrée en vigueur en décembre dernier.Aussi paradoxal que cela puisse sembler, le Collège des médecins du Québec a, de son côté, annoncé à La Presse travailler à la création d'un «guide de pratique» pour aider les médecins à accompagner leurs patients qui se laisseront mourir de faim et de soif.

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