24 heures dans la vie d'un médecin en soins palliatifs pédiatriques

7 h Je ne suis pas du matin, alors je dois vraiment me traîner hors du lit. Je commence par sortir nos deux chiots samoyèdes et les nourrir. Ils font leur exercice matinal dans la cour arrière de notre maison, dans le quartier Ritchie, à Edmonton, à cinq minutes en voiture du centre-ville et à proximité des deux hôpitaux où je travaille le plus: le Stollery Children's et le Glenrose Rehabilitation. Ensuite, je fais du café – il faut toujours que je prenne du café – mais je ne prends jamais de petit-déjeuner, car je suis déjà en retard à ce moment-là! 8 h Certaines de mes journées de travail commencent par les transferts de cas aux soins palliatifs pédiatriques de l'hôpital pour enfants Stollery. Depuis la pandémie de COVID-19, les transferts sont souvent effectués virtuellement, via Zoom, depuis la maison. Mais parfois, lorsque je suis de garde, il m’arrive de les faire à l'hôpital. Toute notre équipe essaie de se joindre aux réunions «transferts» afin d'être au courant de ce qui se passe pour tout le monde et, aussi, pour profiter de l'expertise variée de chacun dans la gestion des cas complexes. Habituellement, nous avons environ 80 patients provenant de tout le nord de l'Alberta, dont en moyenne 10 à 15 sont hospitalisés. Certains viennent d'autres régions de l'Ouest canadien, car notre hôpital est le centre de transplantation pour les quatre provinces de l'Ouest et deux territoires. Leur âge va de la période prénatale à 21 ans; nous continuons à voir certains patients jusqu'à l'âge adulte quand ils apprennent leur maladie potentiellement mortelle avant leurs 18 ans. Notre programme, qui relève d'une division portant l'acronyme IHOPE (immunologie, hématologie, oncologie, soins palliatifs et médecine environnementale), contribue à optimiser la qualité de vie des enfants gravement malades et celle des membres de leur famille. L'un des principaux objectifs consiste à bien maîtriser les symptômes afin que les enfants et leur famille puissent se concentrer sur les choses qui les aident à se sentir aussi bien que possible, tant sur le plan physique qu'émotionnel. L'accent est mis sur la nécessité de vivre pleinement sa vie, même face à une maladie grave. Je fais partie d'une équipe unique et dynamique qui travaille en étroite collaboration avec les équipes soignantes habituelles de nos jeunes patients et qui les voit, eux et leur famille, où ils le souhaitent: à l'hôpital, dans une clinique ou à leur domicile. Notre équipe – qui comprend deux oncologues, un pédiatre généraliste, un anesthésiste et moi-même, médecin de famille avec une formation supplémentaire – est mobile. Nous ne sommes pas basés dans une unité particulière de l'hôpital; nous travaillons dans plusieurs services, des soins intensifs à l'oncologie et à la chirurgie. 9 h Je fais habituellement la tournée des patients hospitalisés. Cela peut prendre toute la journée. D'autres fois, je peux aller jusqu'à Red Deer pour effectuer des visites à domicile. Environ la moitié de mes patients meurent à la maison, entourée de leur famille. Nous apprenons souvent à connaître nos patients au fil des ans, en les aidant à soulager leurs souffrances et leurs symptômes, notamment la douleur. Avec le temps, nous pouvons bâtir une relation de confiance très forte pour leur fournir des soins adaptés alors qu'ils approchent de leur fin de vie. Dans ce domaine de la médecine, le sujet de la mort assistée est soulevé de temps en temps. Les soins palliatifs ne sont pas la mort assistée, qui reste illégale dans la population pédiatrique (bien que cela puisse changer un jour en vertu du concept de «mineur mature» – l'une des nombreuses questions éthiques intéressantes et controversées dans ce domaine). Les soins prodigués aux personnes de moins de 18 ans souffrant de maladies ou d'affections limitant leur espérance de vie, comme la défaillance d'un organe majeur, le cancer ou un traumatisme – tout ce qui peut entraîner la mort – représentent environ 40 % de ma pratique. J'ai découvert les soins palliatifs pédiatriques par hasard, il y a 20 ans, lorsqu'à l'âge de 16 ans, une amie m'a convaincu de la rejoindre comme bénévole dans un hôpital pour enfants à Vancouver, où j'ai grandi. Au début, j'étais horrifié par cette idée – je ne pensais pas avoir la force émotionnelle nécessaire. J'y suis allé quand même pour la soutenir – et j'ai fini par être sélectionné, pas elle! Mais dès le premier jour, j'ai adoré la compagnie de ces enfants. Les enfants en fin de vie veulent simplement être des enfants. Ils veulent être à leur aise pour pouvoir jouer. Mon travail consistait à faire en sorte que les moments qui leur restent soient aussi lumineux et significatifs que possible. Cette expérience m'a vraiment éclairé. Avant cela, je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie. J'étais un nerd avec beaucoup d'intérêts «académiques», comme la géographie, l'architecture, les langues et les mathématiques. Après cela, mon objectif a été de devenir médecin et de travailler avec des enfants mourants. Après avoir obtenu un diplôme en sciences à l’Université Simon Fraser, à Burnaby, je suis allé à l'Université de l'Alberta, à Edmonton, pour faire mes études de médecine. J'ai aimé tous les domaines de la médecine – j'ai d'ailleurs pratiqué dans plusieurs! Lire aussi: Médicaments pour enfants: le Canada à la traîne J'ai obtenu mon diplôme en 2012, puis j'ai fait une résidence de deux ans en médecine familiale dans un contexte rural. J'ai été jumelé à l'Université Memorial de Terre-Neuve, par l'entremise du CaRMS, qui avait à l'époque un programme mobile, ce qui m'a permis de passer la plupart de mon temps dans des communautés isolées de Terre-Neuve, et une partie de mon temps dans diverses zones de l'île de Baffin, au Nunavut. Ce fut une expérience personnelle et professionnelle fantastique, remplie d'aventures et de gens formidables. J'ai adoré cela – et c'est toujours le cas, puisque environ 20 % de ma vie professionnelle est maintenant consacrée à la médecine de famille dans des communautés éloignées accessibles par avion, comme celles des Territoires du Nord-Ouest. Les 40% restants de ma pratique sont consacrés aux enfants et aux adultes qui ont des difficultés liées à des troubles neurodéveloppementaux, notamment des problèmes physiques, mentaux ou comportementaux découlant de l'autisme, du TDAH, de l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale, de la déficience intellectuelle, de la paralysie cérébrale, de traumatismes infantiles, de conditions génétiques et métaboliques, entre autres. Après ma résidence en médecine de famille, j'ai passé quatre autres années à suivre une formation supplémentaire pour pouvoir avoir le champ de pratique médicale que j'ai aujourd’hui. J'ai notamment suivi des stages à l'Université Queen's, à l'Université de la Colombie-Britannique et à l'Université d'Ottawa, où j'ai appris à mieux connaître les troubles du développement chez les personnes de tous âges, la douleur pédiatrique et les soins palliatifs. Il existe un besoin énorme, tant en milieu rural qu'en zones urbaines, pour ce type de soins destinés aux personnes handicapées. Je travaille avec des patients qui me sont adressés au Glenrose Rehabilitation Hospital, un établissement de santé unique en Alberta qui se consacre principalement aux soins de réadaptation de haut niveau pour les adultes (y compris les personnes âgées) et les enfants. Il y a beaucoup de chevauchements avec les soins palliatifs. Nombre d'enfants atteints de maladies neurodégénératives ou de paralysie cérébrale souffrent de douleur et d'autres symptômes, mais le défi consiste à déterminer où, quand et comment, car ils ne sont pas toujours capables de communiquer verbalement. Lire aussi: La transition des soins pédiatriques aux soins aux adultes peut être ardue Plusieurs enfants souffrent également de douleurs postopératoires ou de douleurs chroniques. Quel que soit le type de douleur, je suis là pour les soulager. De nombreux enfants ont déjà été soumis à de multiples traitements différents par leur médecin de famille et leur pédiatre avant de m'être adressés. La douleur chronique est très répandue dans la société – on estime qu'elle touche de 5 à 10% des enfants – et les délais d'attente sont longs – jusqu'à deux ans en Alberta. Environ un quart des enfants souffrent d'une forme quelconque de douleur. Mais une douleur chronique grave, qui empêche un enfant d'aller à l'école ou même de marcher, est un problème médical sérieux qui doit être traité. Dans la plupart des cas, je peux les aider en rendant leur douleur tolérable et suffisamment contrôlable pour qu'ils puissent profiter de la vie. Cette gestion comprend généralement un mélange de médicaments, de physiothérapie et d'outils psychologiques tels que des techniques d'adaptation pour modifier leurs réactions à la douleur. Dans certains cas, ils peuvent même avoir besoin d'une intervention chirurgicale et/ou d'une radiothérapie, par exemple en cas de tumeur comprimant la colonne vertébrale. Mon travail en réadaptation et en prise en charge de la douleur, ainsi que mon rôle de médecin de famille, sont des volets très gratifiants de ma pratique. Aider un enfant dont les symptômes sont si graves qu'il reste au lit toute la journée à redevenir un enfant actif capable de retourner à l'école et avoir des loisirs procure un sentiment fantastique. Les soins palliatifs pédiatriques sont également très gratifiants, mais en même temps, ils sont toujours déchirants. Aucun parent ne devrait avoir à survivre à son enfant. Midi J'apporte généralement quelque chose pour le déjeuner, comme un croissant ordinaire, un scone ou même une tranche de pain, mais je mange en marchant entre les services, car je suis généralement trop occupé pour prendre un repas en bonne et due forme. Lire aussi: Un outil simple pour calculer les doses de médicaments aux urgences pédiatriques 13 h Si je ne suis pas encore en train de faire des rondes, je peux maintenant partir faire des visites à domicile ou travailler sur de nouveaux dossiers. Il peut s'agir d'aider des familles qui ont appris à l'hôpital que leur enfant a reçu un diagnostic fatal, par exemple un enfant qui a subi de graves lésions cérébrales ou qui se trouve aux soins intensifs sous respirateur. Nous recevons généralement quelques cas de ce genre par semaine. Parfois, nous devons laisser tomber ce que nous faisons et nous rendre sur place immédiatement. D'autres fois, nous nous y rendons un peu plus tard, car il n'est peut-être pas utile de parler aux familles alors qu'elles sont encore sous le choc d'une nouvelle aussi dévastatrice. Cela dépend vraiment de la situation. 17 h J'essaie de terminer mon travail à cette heure-là, mais avec l'imprévisibilité des soins palliatifs, il arrive que je doive rester tard! Quoi qu'il en soit, j'ai toujours hâte de rentrer chez moi pour retrouver mon épouse, Evangeline. Nous nous sommes rencontrés en 2020 avant de nous marier en juin dernier dans son pays natal, l'Afrique du Sud – le 55e pays que j'ai visité. 19 h Après le souper, il m'arrive de promener les chiens. Mais la plupart du temps, je m'occupe de finir la paperasse qui reste de ma journée de travail, ou je travaille sur les cours de rédaction et de recherche en ligne que j'enseigne à l'Université McMaster. J'adore également enseigner l'échographie, une discipline qui m'a sauvé de nombreuses fois pour des cas potentiellement mortels alors que j'étais dans des endroits reculés, où les analyses sanguines et autres outils de diagnostic ne sont souvent pas disponibles, en m'aidant à décider si un patient avait besoin d'une évacuation d'urgence ou non. Lire aussi: Des pédiatres américains demandent l'abandon des directives fondées sur la race Je fais partie d'un groupe d'instructeurs nationaux qui enseigne l'échographie au point d'intervention, à la fois virtuellement et en personne dans tout le pays, afin que les cliniciens puissent se sentir compétents et confiants pour intégrer l'échographie dans leurs soins aux patients. Je suis aussi souvent de garde pour des périodes d'une à deux semaines en soins palliatifs; je dispose alors d'un téléavertisseur et dois toujours me trouver à moins de 30 minutes de route de l'hôpital. Les familles et les autres médecins appellent le téléavertisseur. Je dois être présent quelle que soit l'heure à laquelle je suis bippé. Vous ne pouvez pas prévoir quand quelqu'un qui est en train de mourir ou en crise de douleur. Parfois, nous pouvons régler les choses par téléphone. D'autres fois, il faut le faire en personne – par exemple, lorsqu'une famille a des doutes sur une décision importante comme le retrait d'un ventilateur ou l'arrêt de la RCP. À mon avis, il faut tout simplement être là pour un patient instable et sa famille.

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