Un omnipraticien sanctionné pour non-communication des résultats d’une radio des poumons

En 2018-2019, le Dr Samir Habib était au four et au moulin. Avec ses 20 années de pratique au compteur, le médecin de famille exerçait à la Clinique médicale 2005, située à Laval, où il prenait en charge quelque 6500 patients. Habitué aux journées de travail à rallonge, il pouvait voir de 50 à 60 patients par jour. Dans ce contexte, il reçoit en consultation, le 31 janvier 2019, un homme qu’il suit depuis plusieurs années. Carrossier de métier et fumeur quotidien d’un à deux paquets de cigarettes, il se plaint d’une toux persistante et de douleurs au niveau des côtes. Le Dr Habib lui prescrit des antibiotiques, une radiographie pulmonaire et un bilan sanguin. Le patient passe sa radio des poumons le 3 février 2019 et le rapport est transmis au médecin le lendemain. Le radiologiste y note la «mise en évidence d’une opacité suspecte au niveau du lobe supérieur droit en postérieur qui mériterait d’être corrélée par étude tomodensitométrique. Le tout ne semble pas être le reflet d’une pneumonie, à moins qu’il ne s’agisse d’une pneumonie ronde, mais d’une lésion évolutive. On suggère donc soit une tomodensitométrie ou sinon un examen de contrôle dans 7 à 10 jours. Le tout nous apparaît suspect. Pas d’adénopathie évidente démontrée.» Le Dr Habib inscrit sur ledit rapport la mention «rendez-vous semi-urgent». Celui-ci est programmé le 12 mars 2019. Entre-temps, le médecin de famille reçoit le patient le 1er mars, une visite prévue antérieurement pour d’autres suivis de tests sanguins. Ce jour-là, l’homme s’enquiert des résultats de sa radio des poumons et affirme que le clinicien lui répond que «tout est beau». Une version que l’omnipraticien va contester par la suite, en admettant cependant qu’il n’a pas informé l’intéressé des résultats de sa radiographie. Quoi qu’il en soit, le patient annule son rendez-vous du 12 mars. Après quelques semaines d’attente, il téléphone à plusieurs reprises à la clinique du Dr Habib pour venir aux nouvelles. La secrétaire lui répond que le médecin aurait demandé à le voir s’il y avait quelque chose d’anormal à sa radio. Les deux se revoient le 2 août. L’homme indique qu’il éprouve toujours des douleurs aux côtes et au bras, ce que niera le Dr Habib en affirmant qu’il s’est plutôt présenté «sans rendez-vous pour une douleur au coude interne gauche». L’omnipraticien lui remet alors une ordonnance pour un médicament pour des douleurs musculaires et une requête en physiothérapie, mais ne lui communique toujours pas les conclusions du radiologiste. Mauvaise surprise à l’urgence Fin octobre, alors qu’il ne peut plus endurer ses douleurs, le patient se rend à l’urgence de l’Hôpital de Saint-Eustache. Il y passe plusieurs examens, à l’issue desquels on l’informe qu’il est atteint d’un cancer du poumon de stade 4, non opérable. On lui demande aussi pourquoi aucun suivi n’a été effectué à la suite de la radiographie du 3 février. L’homme tombe des nues et prend le temps de digérer l’information avant de finalement déposer une demande d’enquête à l’encontre du Dr Habib, le 14 septembre 2020. Requête qui va aboutir à une plainte du syndic du Collège des médecins du Québec. Lire aussi: Un médecin rattrapé par son passé universitaire Durant la procédure, l’omnipraticien a plaidé coupable aux trois chefs d’accusation dont il devait répondre, à savoir d’avoir «omis d’informer son patient, de manière diligente et complète, du résultat de la radiographie», de n’avoir pas assuré «le suivi médical requis par (son) état de santé» et, enfin, de ne pas avoir consigné les renseignements nécessaires dans son dossier. Expertise sans équivoque Dans l’absolu, l'omnipraticien aurait pu les contester. Mais sa tâche aurait sans doute été ardue considérant les conclusions catégoriques de l’expertise demandée par le syndic, qui a été confiée à la Dre Sophie Ménard, et sur laquelle le Conseil de discipline s’est appuyé pour se prononcer. Dans son rapport, la médecin de famille affirme que le compte-rendu du radiologiste indique clairement qu’il suspecte une néoplasie pulmonaire. Selon elle, le profil du patient (fumeur et carrossier) «accroît le risque que le nodule soit une tumeur cancéreuse». Dans une telle situation, la Dre Ménard juge «impératif de joindre le patient rapidement pour organiser une radiographie ou un scan de contrôle», ce qui «aurait dû être fait lors d’un rendez-vous urgent dans les jours suivants» et non cinq semaines après. Face à l’enquêteur du syndic comme devant le Conseil de discipline, le Dr Habib a reconnu qu’au moment des faits, il se sentait, «écrasé» par le nombre de patients qu’il suivait et que ce nombre «très élevé» a nui à son jugement clinique et à la gestion de ses dossiers. Un argument balayé par le Conseil: «Une charge de travail importante ou une pratique exigeante ne constituent pas une excuse à l’accomplissement d’un devoir aussi fondamental. Il est inconcevable et contraire aux données actuelles de la science médicale que le Dr Habib ait priorisé la communication d’un bilan sanguin du patient, démontrant des valeurs anormales sans être critiques, à la communication de résultats anormaux de sa radiographie pulmonaire. Il s’agit d’une erreur de jugement inexcusable», conclut le Conseil. Lire aussi: Patient décédé du cancer: un urologue reconnaît un manque de suivi et de supervision S’agissant du deuxième chef d’accusation, la décision souligne que le «devoir d’assurer le suivi médical requis par l’état de son patient est essentiel pour assurer le continuum des soins», comme le prévoit l’article 3 du Code de déontologie des médecins. En ne prescrivant pas une tomodensitométrie ou un scan de contrôle, le Dr Habib a enfreint «une obligation déontologique de base, qui est au cœur de la pratique de la médecine», note le Conseil en ajoutant que «derrière les résultats d’un rapport de radiographie se trouve un patient qui s’en remet à son médecin en toute confiance». Au sujet des notes incomplètes dans le dossier du patient, l’omnipraticien s’est justifié en expliquant que la transition entre les «dossiers papier» et les dossiers électroniques s’est révélée difficile pour lui, car il ne tapait ses notes qu’à un seul doigt. En l’occurrence, la Dre Ménard indique que la note qu’il a produite après le rendez-vous du 31 janvier 2019 «ne respecte pas les règles de l’art d’une note médicale». L’experte explique que les seuls éléments que l’on y retrouve sont «le motif de la consultation et les prescriptions finales», mais il n’y a rien au sujet de l’histoire médicale du patient, de l’examen physique et de la prise de signes vitaux effectués ainsi que du diagnostic médical ou différentiel. Elle signale en outre que le Dr Habib utilise des gabarits pour sa prise de notes, mais qu’il ne modifie pas son gabarit à la suite de l’évaluation médicale du patient. Pour le Conseil, «les informations manquantes dans les notes du Dr Habib sont importantes et la façon dont il utilisait les gabarits est problématique». Il spécifie ainsi qu’un «médecin ne devrait pas se servir d’une plateforme électronique pour ses dossiers, tant qu’il n’est pas à l’aise avec son utilisation. Les enjeux pour la santé de ses patients sont trop importants», insiste le Conseil. Amende honorable Depuis les faits qui lui sont reprochés, le syndic constate que le médecin de famille a fait preuve de repentir et qu’il a donné un «coup de barre» dans sa pratique. Il prend en charge moins de patients et se limite à 20 consultations par jour. Dans le cadre du tutorat de perfectionnement en médecine de famille ambulatoire qu’il a accepté de compléter, le Dr Habib a également «démontré une ouverture à améliorer sa méthode et a réussi à modifier surtout sa tenue de dossier ainsi que la qualité de sa pratique de manière satisfaisante», a constaté sa superviseure de stage. Lire aussi: Deux mois de radiation pour avoir donné des attestations médicales sans consultation Considérant que le médecin de famille a collaboré à l’enquête, qu’il a reconnu ses fautes, qu’il a révisé toute sa pratique et que son risque de récidive demeure faible, le Conseil a entériné les sanctions suggérées par les parties. Le Dr Habib se voit ainsi imposer deux radiations temporaires de 10 semaines, et une autre de deux semaines, à purger simultanément. Au demeurant, le médecin espère que la famille du patient, qui est décédé des suites de son cancer en septembre 2021, lui pardonnera un jour ses manquements.

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