La première ligne est encore trop centrée sur le médecin

Actuellement conseiller stratégique auprès de la vice-présidence exécutive de Santé Québec, Michel Delamarre accompagne la direction de la nouvelle société d'État sur les enjeux de gouvernance et d’organisation des soins et services. L’année dernière, celui qui est aussi directeur du Réseau universitaire intégré de santé et de services sociaux de l’Université Laval a endossé le rôle de coordonnateur de l’accès pour le MSSS, et a réalisé une tournée des guichets d’accès à la première ligne (GAP) afin d’évaluer leur fonctionnement et leurs performances. Ses recommandations, présentées dans un rapport publié en octobre 2023, font état d’une première ligne toujours très médico-centrée, et d’un manque de connaissances sur les différentes compétences des professionnels de la santé, tant par les soignants que par le public.À l’occasion du Congrès 2024 de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) où il était invité à s’exprimer, ProfessionSanté.ca a rencontré Michel Delamarre pour faire le point sur les lacunes de la première ligne et les manières d’assurer l’accès en temps opportun voulu par le ministre de la Santé Christian Dubé dans l’optique de sa nouvelle approche annoncée pour l’été 2026.Quels constats avez-vous tirés de votre tournée des guichets d’accès à la première ligne? Le GAP est toujours très médico-centré. Les patients qui appellent un guichet veulent d’abord voir un médecin quand ils ont un problème de santé. Nous avons observé une réelle méconnaissance des compétences et du champ de pratique des professionnels, tant par le public que par les médecins. D’un côté, lorsqu’un agent propose au patient de le diriger vers un autre professionnel de santé que le médecin, il se fait insulter une fois sur trois. De l’autre, le médecin, via le GAP, est le professionnel le plus facilement accessible en accès adapté. Et l’offre multidisciplinaire est peu développée, qu’elle soit privée ou publique. 20% des problèmes rapportés au GAP sont d’ordre musculo-squelettiques, et ça va presque toujours chez le médecin car il n’y a pas d’offre physiothérapeutique très développée. On occupe donc des médecins avec des patients qu’ils ne devraient pas forcément prendre en charge, parce qu’ils sont accessibles et que les usagers veulent à tout prix voir un médecin. On n’est pas encore dans la notion du bon professionnel au bon moment. Encore beaucoup de travail à faire en termes d’orientation, il faut utiliser davantage les champs de compétences des pharmaciens. Étant donné que le GAP n’est pas voué à durer, à en croire les dernières déclarations de Christian Dubé, vos recommandations sont-elles caduques? Le GAP est un mécanisme qui a été mis en place pour répondre à un besoin. Ça a été très positif et ça a permis de faciliter l’accès au réseau ainsi que l’orientation vers le bon professionnel. Mais les recommandations que nous avons émises peuvent s’appliquer à tout autre mécanisme d’accès, le 811 comme les GMF. Nous avons analysé et émis de nombreuses recommandations au sujet de l’offre de services multidisciplinaires ainsi que sur la pertinence des outils utilisés et de l’orientation des personnes. Est ce que l'offre est suffisante ou pas? Est-ce-que c'est facile? Les champs de compétences sont-ils pleinement utilisés? L’une de nos recommandations est aussi d’intégrer et d’harmoniser ces mécanismes à travers la province pour que la population puisse être évaluée de la même façon et orientée vers le bon professionnel quelle que soit la région, que la personne ait ou pas un médecin de famille.Comment renforcer cette interdisciplinarité et assurer la bonne orientation des patients par ces services d’accès à la première ligne?Il y a un gros travail à faire dans l’accès multidisciplinaire. Et c’est le défi du PL67, qui vient ajouter d’autres professionnels dans le tableau. Si j’appelle mon GMF, je dois pouvoir être dirigé vers un autre professionnel de première instance selon mon besoin, que ce soit le pharmacien, un physio, etc. Certains GMF le font déjà, et ça favorise grandement la continuité des soins. Il faut donc rappeler les champs de compétences auprès de tous les professionnels, et former les personnes chargées de l’évaluation des patients aux guichets d’accès, comme les infirmières spécialisées. Si le patient a un problème musculo-squelettique, un physiothérapeute sera le mieux placé pour répondre à la majorité des besoins qui y sont associés, parfois mieux qu’un médecin. À lire aussi: Un réinvestissement massif dans la première ligneOn est encore trop à diriger vers le médecin. Sauf que ce sont les médecins eux-mêmes qui évaluent la pertinence de l’orientation des patients. Il faudrait qu’un comité interdisciplinaire s’en charge, pour déterminer si un autre professionnel aurait pu mieux prendre en charge tel patient ou telle condition. Établir ce dialogue entre toutes les professions, c’est le rôle et la préoccupation première de Santé Québec, pour s’assurer que les trajectoires de soins soient fluides et bien établies, et que l’organisation des services assure une continuité et un accès au bon professionnel, au moment opportun. Pourquoi ne pas en profiter pour faire des campagnes de communication massives, et mettre l’accent sur ces différents champs de compétences?Vous dites que les pharmaciens en particulier ont un rôle à jouer dans cette sensibilisation du public à leur rôle, bientôt étendu… Si on a encore beaucoup de travail en termes d’orientation, il faut utiliser davantage les champs de compétences des pharmaciens. Ces derniers doivent faire de la publicité et bien informer les gens sur leur pratique, qui doit aussi être harmonisée d’une pharmacie à l’autre car l’offre de services reste très variable. Selon moi, un meilleur accès va notamment passer par le fait d’introduire davantage de rendez-vous en pharmacie. Aujourd’hui, n'importe qui peut se présenter au comptoir et parler au professionnel en tout temps. Mais si on veut que les patients évoluent dans leur perception du rôle du pharmacien, il faut leur montrer que les activités cliniques sont prioritaires et non accessoires. Ça passe par la prise de rendez-vous, le fait de les recevoir dans des bureaux confidentiels réservés aux consultations, dans lesquels le pharmacien va pouvoir prendre le temps de les examiner, et non pas sur un coin de comptoir devant tout le monde. Je suis convaincu que les pharmacies qui vont faire ça vont se démarquer sur le marché.Posons-nous d’abord la question de ce qu’on veut et comment on veut s’organiser pour y parvenir, pour laisser ensuite les négociateurs trouver le bon chemin afin d’aboutir à des modèles de rémunération adéquats. Il ne faut pas réfléchir à l'organisation des soins via la négociation, avec tous les compromis que ça demande.

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