Des ateliers au musée pour développer les compétences des futurs médecins

Dans le cadre de son nouveau programme de médecine lancé en septembre 2024, qui adopte une approche humaniste plus en phase avec les questions sociales actuelles, l’Université de Montréal (UdeM) a lancé un projet inédit en collaboration avec le Musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM) et Culture Trois-Rivières. Objectif: permettre aux 400 étudiants en médecine des campus de Montréal et de Mauricie d’enrichir leur formation pour offrir de meilleurs soins à la population en les emmenant… au musée. Obligatoires, ces trois ateliers de 2 heures s’inscrivent dans le cours «Identité professionnelle du médecin», précise Aspasia Karalis, professeure adjointe de clinique au département de pédiatrie de la Faculté de médecine de l’UdeM et médecin généticienne au CHU Ste-Justine. «Les étudiants alternent entre des ateliers pratiques menés dans un cadre universitaire classique par un médecin et un patient-partenaire, pour discuter et explorer des situations de communication complexes, se mettre dans la perspective de l’autre, et des ateliers au musée où on va leur demander de prendre un pas de recul, de vivre une expérience.» C’est ce que la médecin appelle de l’apprentissage actif, ou pédagogie constructiviste. «On crée une situation d’apprentissage où une partie de la communication se vit.»«On est mis au défi de son propre regard»Accompagnés d’un médiateur du MBAM et de leur médecin-coach, de petits groupes de dix étudiants s’arrêtent devant une œuvre du musée en lien avec un thème abordé en classe, et l’observent pendant 15 à 20 minutes. Un temps long, pour leur permettre de dépasser leurs premières impressions. «On travaille avec des stratégies de pensée visuelle, une technique de médiation qui s’appuie sur trois questions spécifiques amenées par le médiateur», indique Mélanie Deveault, directrice de l'éducation et de l'engagement communautaire et titulaire de la Chaire Ariane Riou et Réal Plourde pour l’art et l’éducation au service de la communauté au MBAM. Ces trois questions sont: «Que se passe-t-il dans cette image?», «Qu’est-ce qui vous permet de dire cela?» et «Quels autres éléments pourrait-on encore voir?». La gradation de ces interrogations permet aux étudiants de creuser un peu plus leur observation de l’œuvre, et amène une diversité de points de vue et d’approches, poursuit Mélanie Deveault. «Certains vont y entrer par un contexte, un élément du décor, un détail, un personnage. C’est fantastique car, comme ça se passe en groupe, on va pouvoir avoir différentes portes d’entrées dans l’œuvre. Les étudiants ne projettent pas, n’interprètent pas les choses de la même façon. On est mis au défi de son propre regard, et on compose avec la perspective des autres. La dynamique de groupe est essentielle à ce type de technique.»À lire aussi: «La première fois que les étudiants voient un patient de couleur, ce ne devrait pas être à l'hôpital»Pendant ce temps d’observation, le médecin-coach qui accompagne le groupe intervient pour relier leurs observations à leur champ de compétences, la médecine. Il peut par exemple leur faire remarquer que le médiateur, expert en son domaine, accueille leurs commentaires et leurs ressentis non-experts sans chercher à les corriger. L’analogie avec une consultation est aisée, explique Aspasia Karalis. «Vous pouvez être l’expert mondial de la sclérose en plaques, si le patient vous apporte son propre vécu des symptômes, vous devez être réceptif, les accueillir et les intégrer pour créer une entité commune. Les étudiants peuvent davantage réaliser leurs automatismes.» Aller au musée alors qu’on y est pas habitué peut créer un sentiment de malaise, de la même manière qu’un patient qui se retrouverait à l’hôpital pour un parcours de chimiothérapie ou de radiothérapie. «Imaginez ce patient plongé dans un jargon qu’il ne comprend pas, une expertise qu’il ne possède pas. On peut faire plusieurs choses pour qu’il soit plus à l’aise, comme écrire des affiches dans plusieurs langues, placer du personnel à l’accueil et cultiver une empathie institutionnelle. C’est pour vivre cela qu’on dépayse nos étudiants en les emmenant au musée, et qu’on ne se contente pas de leur diffuser des œuvres sur un PowerPoint.»À travers ces ateliers, l’UdeM invite ses étudiants à une forme d’humilité et de réceptivité, tant les savoirs peuvent émerger de différentes façons, poursuit la clinicienne. Le patient peut amener le soignant à développer son empathie, quand le médiateur du musée peut inculquer à l’étudiant l’intérêt de prendre son temps. C’est la raison pour laquelle ce dernier dissimule, à dessein, le cartel d’explication de l’œuvre observée, généralement placé à côté de celle-ci. «Les étudiants nous demandent souvent la date, le titre et la signification de l’œuvre, et on leur demande pourquoi ils en ressentent le besoin. Ils veulent une confirmation. Mais auraient-ils vu tout ce qu’ils ont observé s’ils avaient pris connaissance du cartel avant de regarder l’œuvre?», interroge Aspasia Karalis. De la même manière, le médecin est-il disposé à observer un patient dans son entièreté s’il s’est fait son avis à travers le dossier médical au préalable? «On introduit le concept de biais d’ancrage, tout en leur disant qu’il n’y a pas de réponse universelle. Il faut expérimenter et s’adapter à chaque situation.»Ce que Mélanie Deveault nomme une tolérance à l’ambiguïté, concept à première vue peu compatible avec la médecine.»Éviter l’effritement de l’empathieAlors que les bénéfices de l’empathie des soignants sur le vécu de leurs patients ont été démontrés, certaines études pointent un effritement de ce même trait au sein de certaines populations étudiantes, particulièrement dans des filières très demandantes comme la médecine, souligne Aspasia Karalis. «La première année est le moment idéal pour amener les étudiants au musée, et leur rappeler ce qui les a attirés vers cette profession. C’est ce qu’on veut garder vivant.» Face à la technologisation de la santé et au fonctionnement en silo, la clinicienne appelle à intégrer diverses approches pédagogiques, comme les arts visuels, comme autant de manières de former les médecins de demain. «On plante des graines qui germeront dans le reste de leur parcours.»À lire aussi: Pour promouvoir la vaccination, miser sur l’émotion plutôt que la scienceDe leur côté, les médiateurs du musée ont l’impression de contribuer au système de santé en élargissant le champ de compétences des futurs médecins, confie Mélanie Deveault. «Les musées sont bons pour briser l’isolement et tisser du lien, ils permettent de créer un sentiment d’appartenance. Le fait de venir au musée n’est pas banal. On connecte à travers les œuvres.»S’ils disposent d’un plan de cours et de lectures préparatoires avant chaque atelier, les étudiants parviennent peu à peu à lâcher prise sur leur anxiété de performance, et acceptent de laisser libre cours à leur curiosité naturelle pour vivre une expérience d’apprentissage, observe leur professeure de clinique. «On leur crée un espace plus détendu, car il permet de penser à soi comme observateur et apprenant, au sein d’un cursus très stressant et d’une première année exigeante. Ce n’était pas l’objectif premier, mais plusieurs étudiants nous disent que ces ateliers leur permettent de retrouver leur calme, et de mieux affronter le reste de leur semaine.»

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