Colombie-Britannique: un premier bilan de l'ouverture de la prescription aux pharmaciens

C’était une mesure attendue. En juin 2023, la province de Colombie-Britannique a ouvert la prescription à ses pharmaciens, qui peuvent désormais diagnostiquer et prescrire une contraception ou un traitement pour plus de 20 conditions mineures. Sont notamment concernés l’acné, la rhinite allergique, la conjonctivite, la dysménorrhée, les infections fongiques, les troubles gastro-intestinaux, les maux de tête, les hémorroïdes, la dépendance à la nicotine, les infections des voies urinaires et la contraception. Comment ces nouvelles attributions ont-elles été accueillies par les pharmaciens et les praticiens de la province? Quels conseils donner aux pharmaciens québécois qui vont bientôt leur emboîter le pas? ProfessionSanté.ca s’est entretenu avec le pharmacien propriétaire Mike Huitema, président de l’Association des pharmaciens de Colombie-Britannique (BCPhA).Un an après l’ouverture de la prescription aux pharmaciens, quel premier bilan en tirez-vous?Le plus important, c’est que l'accès aux services de soins pour les habitants de la province a considérablement augmenté. Les urgences ont aussi moins de pression, puisqu’on a observé une baisse du nombre de visites à l’hôpital pour des soins non urgents. À lire aussi: «Une confiance bien méritée»: les pharmaciens unanimes sur le PL 67Les affections que les pharmaciens de la province ont traité le plus souvent depuis un an sont la contraception (environ 20% des consultations en pharmacie), les infections urinaires (20%), puis les conjonctivites (environ 10%). Viennent ensuite les allergies et les infections fongiques. Qu’est-ce que cette mesure a changé dans votre pratique au quotidien?D’abord, les pharmaciens sont vraiment fiers de pouvoir faire ce pour quoi ils ont été formés. Nous avons aidé plus de 300 000 patients en un an! Et ils sont optimistes pour la suite.Concrètement, nous conseillons davantage les patients. Nous les rencontrions déjà régulièrement, puisqu’ils avaient l’habitude de venir nous voir pour ce genre de problèmes mineurs, mais nous devions les rediriger vers le médecin, ce qui était très frustrant pour tout le monde. Aujourd’hui, nous pouvons agir. Nous avons un peu plus de travail, c’est certain, mais ça ne représente pas une charge supplémentaire considérable, pour nous en Colombie-Britannique. Ailleurs, cela dépend des renseignements à fournir dans le dossier médical selon les réglementations de chaque province. J’espère que ce ne sera pas trop compliqué ni trop demandant au Québec!Les pharmaciens ont-ils exprimé des craintes ou des interrogations concernant l’ouverture de la prescription?Certains pharmaciens étaient inquiets de ne pas avoir suffisamment de connaissances. Mais après avoir passé en revue les conditions mineures concernées par la prescription, ils ont réalisé que c’était à leur portée, puisque ce sont des choses qu’ils rencontraient déjà tous les jours. Le Collège des médecins de Colombie-Britannique a rendu une formation obligatoire pour connaître les exigences de ce nouveau service, et la BCPhA a travaillé avec trois universités de la province pour élaborer des outils pédagogiques sur différentes affections. À vrai dire, les craintes ont principalement été formulées par les médecins. Dans ma ville de Salmon Arm, nous avons de la chance d’avoir des médecins de famille plutôt ouverts à collaborer avec les pharmaciens. Mais ils s’inquiétaient du diagnostic et des prescriptions entourant les infections urinaires, par exemple une mauvaise détection d’un potentiel cancer ou une surprescription d’antibiotiques. Nous les avons rassurés en leur disant que nous ne pouvions prendre en charge que les infections urinaires non compliquées.Les pharmaciens suivent le même algorithme que les médecins de famille concernant les problèmes de santé courants. Toutes les conditions qui n’entrent pas dans cette catégorie sont directement renvoyées vers un ou une autre praticien(ne). Ça représente environ 10% des patients que nous recevons en consultation. En tant que pharmaciens, nous sommes formés pour mener des examens spécifiques et savoir si une condition va au-delà de notre champ de compétence. Quelle proportion de pharmaciens réalisent ces nouveaux actes?Environ 90% des pharmacies communautaires sont investies, et 77% des pharmaciens et pharmaciennes communautaires offrent activement des consultations. En fait, nous sommes rémunérés pour réaliser ces consultations, qui déterminent ensuite si une prescription est nécessaire ou non.Certains pharmaciens peuvent encore être un peu réticents à consulter et prescrire, et tout dépend aussi dans quel type de pharmacie ils travaillent. Par exemple, si vous travaillez dans une pharmacie par correspondance, vous n’allez jamais rencontrer de patients. Si votre pharmacie est spécialisée dans les soins de longue durée, alors aucun de vos patients ne sera admissible à ce service. Quel a été le principal enjeu auquel vous avez été confrontés?Ça a été d’intégrer ces nouveaux actes à notre charge de travail, puisque nous n’avons pas tant de pharmaciens supplémentaires pour renforcer les rangs, et on ne savait pas si les patients seraient au rendez-vous, ni à quel moment de la journée nous aurions le plus de consultations. On a dû s’adapter. Par exemple, les consultations pour une contraception prennent généralement plus de temps que les autres, donc nous les proposons sur rendez-vous lorsque nous avons deux pharmaciens disponibles. Et ça s’intègre peu à peu dans notre pratique. À lire aussi: En Angleterre, les pharmaciens gagnent du pouvoirNous nous sommes rendus compte que nous faisions déjà ces consultations, sans être rémunérés et sans pouvoir prescrire. Nous faisions la collecte de données au comptoir avant d’orienter les patients vers une consultation si nécessaire. On ne fait plus double emploi désormais. La population a-t-elle suivi?Comme on avançait à l’aveugle, nous avions peur de ne pas répondre aux attentes des gens. Même si ma pharmacie est bien achalandée, le public n’était pas vraiment au courant de ces nouveaux services, et nous avons commencé avec 20 consultations par semaine. Aujourd’hui, nous en sommes à 30, 35. Ce qui n’est pas beaucoup, puisque ça fait trois ou quatre par jour en moyenne. Mais pour les patients, c’est vraiment important et ça leur évite d’aller à la clinique sans rendez-vous, qui est souvent bondée dès 9 heures du matin. D’ailleurs, ces cliniques sans rendez-vous et les services d’urgence orientent désormais les patients vers les pharmaciens selon leur affections. Ça se fait graduellement.Quels conseils donneriez-vous aux pharmaciens québécois qui pourront prescrire plus largement prochainement?N’ayez pas peur, car vous avez les capacités pour le faire! On a tendance à l’oublier un peu, mais nous recevons une formation très poussée pour poser un diagnostic et reconnaître les symptômes d’une condition. Et si vous ne pensez pas pouvoir prendre en charge le patient, n’hésitez pas à le référer. Mais vous allez voir que vous pourrez aider la plupart de vos patients. Et cela en vaut la peine.

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