À Chicoutimi, un pharmacien ouvre une clinique pour les patients orphelins

«Je ne mets pas de limites.» Le ton est donné: avec sa nouvelle clinique de suivi, baptisée Clinique Unique Santé, le pharmacien communautaire Kevin Girard voit grand. Propriétaire de deux pharmacies Uniprix à Chicoutimi et Chicoutimi Nord, il a eu l’idée de créer sa structure en constatant le nombre grandissant de patients orphelins passant par sa pharmacie. «Plusieurs centaines», alors qu’il estime que 22 000 personnes n’ont pas de médecin de famille au Saguenay-Lac-Saint-Jean. C’est ensuite un autre pharmacien précurseur, Jean-Sébastien Lecompte, qui lui a donné l’impulsion en présentant ses cliniques de diabète et d’obésité en milieu communautaire. «Ça fait longtemps que le gouvernement nous dit qu’il faut qu’on fasse des suivis en pharmacie et qu’on se structure en conséquence», observe-t-il. Si la clinique, officiellement ouverte le 3 juin dernier, suit aujourd’hui plus de 150 patients, les débuts ont été prudents. «On a commencé en janvier 2024 pas à pas, un patient après l’autre», raconte Kevin Girard. Le pharmacien élabore ainsi un questionnaire d’une quinzaine de pages avec l’aide de ses infirmières. «Je voulais créer une chaîne de suivis cliniques, mais nous sommes davantage habitués aux chaînes de travail en pharmacie et de piluliers. Il fallait que ce soit structuré.» À lire aussi: Pharmacie: une clinique de suivi spécialisée pour les patients diabétiques à QuébecRésultat: une organisation au cordeau, qui ne prend pas plus de deux heures par semaine au pharmacien pour ajuster les médicaments. «J’ai formé mes techniciennes pour qu’elles s’occupent du repérage et de la collecte de données. S’ils sont intéressés, les patients sont ensuite envoyés vers les infirmières pour le premier rendez-vous. Moi, j’interviens quand le dossier est prêt à être réglé. En 30 minutes, les infirmières et moi passons une dizaine de cas en revue, c’est très efficace.» Kevin Girard peut prendre en charge toutes les maladies chroniques, mais il a choisi de privilégier en premier lieu les patients diabétiques, hypertendus et souffrant de problèmes de cholestérol. «Je priorise les maladies chroniques car je peux les facturer. Mais si un patient arrive avec un problème de santé mentale important, comme une dépression majeure, ou une crise de goutte, et qu’il n’a pas de médecin de famille, je vais le prendre et ajuster sa médication. Je veux donner un bon service à ma clientèle pour la fidéliser.» Le PL67, «un cadeau du ciel»Car entre le manque de médecins, les départs en retraite et le guichet unique brinquebalant selon lui, les patients sont parfois à la peine pour accéder au système de santé. «Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, le guichet unique ne nous aide pas beaucoup, c’est juste une liste de patients qui n'offre pas de services. Même si on envoie des opinions ou des demandes de consultation, ils ne peuvent rien faire», déplore le pharmacien.À terme, il espère pouvoir offrir ses services à toute la population, et a pensé la structure de sa clinique en conséquence. «C’est un projet au long cours, et je suis prêt à accueillir plusieurs milliers de patients. Si je dois grandir, j’embaucherai davantage d’infirmières!» Pourquoi pas d’autres pharmaciens? Pénurie et coût, répond honnêtement Kevin Girard. «Embaucher des pharmaciens est extrêmement difficile dans la région, et cela coûte plus cher que de recruter des infirmières qui font un excellent travail en termes de suivi. Les seules choses qu’elles ne peuvent pas faire sont les ajustements et la prescription des prises de sang.»À lire aussi: «Une confiance bien méritée»: les pharmaciens unanimes sur le PL 67La clinique a d’ores et déjà reçu des patients diabétiques via les infirmières du CLSC voisin pour effectuer leur suivi. Kevin Girard espère que les médecins leur emboîtent vite le pas, et que les autres pharmaciens en prennent de la graine. Hasard du calendrier, Kevin Girard a choisi d’annoncer officiellement l’ouverture de sa clinique la veille de l’annonce du projet de loi 67 par la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, ouvrant davantage d’actes aux pharmaciens. «C’est un cadeau du ciel, sourit le pharmacien. Le fait de ne pas pouvoir prescrire ou initier un traitement est ce qui nous bloque le plus présentement dans la clinique. Un de nos patients a dû être référé à une clinique privée car on était au maximum de ce qu’on pouvait faire, ça prenait une autre molécule qu’on ne pouvait pas lui prescrire.» Il n’attend désormais qu’une chose: le «go» du gouvernement pour exploiter tout le potentiel de sa clinique. «Ça va être extraordinaire. Je vais former les infirmières pour qu’elles puissent faire le plus de choses possible. Si c’est rentable, qu’on arrive à rentabiliser leur salaire, je n’ai aucune raison de ne pas le faire.»

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