Cas prise de tête: trois masses, trois diagnostics possibles

Chef de la section d’imagerie du sein au département de radiologie du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), le Dr Matthew Seidler dispose d’un arsenal redoutablement complet: angiomammographie, tomosynthèse, échographie, résonance magnétique, et biopsie, entre autres. «Nous avons la chance de pouvoir compter sur un plateau technique de pointe qui nous permet d’investiguer en profondeur des pathologies mammaires et d’arriver rapidement au bon diagnostic», souligne-t-il. Un atout qui lui a permis, avec ses collègues, de résoudre en deux jours un cas où les images semblaient d’abord raconter trois histoires différentes.La patiente, une femme de 72 ans, avait un antécédent de mélanome du bras. Elle avait consulté son médecin de famille pour une masse apparue dans son sein gauche. L’anamnèse et l’examen clinique avait aussi révélé des lésions cutanées sur la paroi thoracique, un œdème du visage et une dyspnée progressive. Autant de signes qui ont immédiatement inquiété le clinicien. «À 72 ans, devant une masse au sein, le diagnostic le plus fréquent auquel on pense, c’est un cancer du sein», rappelle le Dr Seidler. Mais dans ce cas précis, les choses allaient se révéler bien plus complexes.L’angiomammographie a montré trois masses dans le sein gauche, chacune présentant une prise de contraste – signe d’une activité vasculaire anormale. Plus troublant encore, la peau apparaissait épaissie sur une large portion du sein. «On voyait la masse principale s’allumer, mais aussi deux autres masses, interne et externe», décrit-il. «La peau était significativement épaissie… tout cela était très suspect de cancer du sein.»L’échographie (image à droite) a permis d’examiner ces anomalies de plus près. La plus volumineuse des trois masses se révélait hypoéchogène, aux contours irréguliers et microlobulés, avec une vascularisation interne bien visible - des caractéristiques typiques d’une lésion maligne. Deux autres masses, plus petites, mais d’aspect similaire, étaient également présentes. En explorant la région axillaire gauche, le radiologiste a repéré un ganglion nettement hypertrophié et d’aspect anormal. «Devant une telle constellation d’images, on pense d’abord à un cancer du sein avec métastases ganglionnaires axillaires», explique-t-il. «Mais il fallait confirmer cette hypothèse et comprendre si toutes ces anomalies relevaient du même processus.»Quand le thorax s’en mêleLa radiographie pulmonaire, demandée en raison de la dyspnée, a apporté un nouvel élément au casse-tête. On y distinguait une masse dans le médiastin, au centre du thorax - une découverte qui changeait complètement la perspective. «Chez l’adulte, lorsqu’on voit une masse médiastinale, il faut d’abord penser à un lymphome», précise le Dr Seidler. «Mais la patiente avait aussi une masse suspecte dans le sein. Est-ce une récidive du mélanome, une métastase d’un cancer du sein ou un nouveau processus lymphomateux?»À lire aussi: L’ARNm des vaccins contre la COVID-19 pourrait aider à combattre le cancerPour mieux caractériser l’anomalie à la radiographie pulmonaire, le médecin a eu recours à une tomodensitométrie thoracique (image à droite). L’examen a révélé une volumineuse masse dans le médiastin, comprimant à la fois la trachée et la veine cave supérieure. Cette obstruction expliquait les symptômes. «La compression de la veine cave supérieure explique l’œdème du visage», précise-t-il. «Cela explique aussi la dyspnée et, possiblement, l’épaississement cutané observé au sein gauche.»Le TEP scan a complété le portrait. Le traceur radioactif montrait une captation intense dans la masse médiastinale, le ganglion axillaire, la lésion mammaire et plusieurs nodules cutanés: autant de foyers hypermétaboliques qui semblaient liés entre eux. «Nous avions trois éléments majeurs: la masse intramammaire, la masse médiastinale et l’adénopathie axillaire», résume le clinicien. «Mais même avec ces images, impossible de dire avec certitude s’il s’agissait d’une récidive du mélanome, d’un cancer du sein métastatique ou d’un lymphome systémique avec atteinte intra-mammaire - les trois restaient possibles.»Le bon geste, au bon endroitFace à ces hypothèses, le radiologiste devait choisir le bon site de biopsie. Une biopsie médiastinale? Trop invasive et risquée. Un ganglion axillaire? Possible, mais un résultat «lymphome» ou «mélanome» n’aurait pas nécessairement exclu un cancer du sein concomitant. «Notre objectif est d’obtenir un diagnostic unificateur en minimisant les gestes», souligne le Dr Seidler. Il opte donc pour une biopsie mammaire guidée par échographie, à la fois plus sûre et plus éclairante. L’anapath confirmera un lymphome diffus à grandes cellules B, un diagnostic expliquant l’ensemble des atteintes -mammaires, ganglionnaires, médiastinales et cutanées.Le diagnostic posé, tout s’est ensuite enchaîné très vite. Une chimiothérapie de type R-CHOP a été amorcée en urgence par l’équipe d’hémato-oncologie, compte tenu de la compression médiastinale et de l’obstruction de la veine cave supérieure. Les radiologistes interventionnels ont aussi posé un stent dans la veine cave supérieure pour rétablir la circulation. «La patiente est venue le matin: angiomammographie, échographie et biopsie ont été faites le même jour», relate-t-il. «Nos collègues pathologistes ont rendu le diagnostic très rapidement. Il fallait agir vite, vu l’agressivité du processus.»Pour le radiologiste, ce cas illustre la valeur d’une approche intégrée, où chaque image éclaire la précédente sans jamais suffire à elle seule. «Il faut toujours replacer les résultats d’imagerie dans le contexte clinique complet et croiser les modalités pour construire un diagnostic solide», souligne le Dr Seidler. En combinant l’angiomammographie, l’échographie, la tomodensitométrie et le TEP scan, il a pu assembler les pièces d’un casse-tête déroutant. «L'important, c’est d’écouter la patiente, de comprendre son histoire et de choisir les examens et gestes radiologiques les plus pertinents pour confirmer nos soupçons», conclut-il.

Cas prise de tête: trois masses, trois diagnostics possibles

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes