Cancers précoces: plus de diagnostics, pas plus de décès

Sommes-nous vraiment face à une génération plus exposée au cancer ou à une médecine devenue trop performante pour le détecter? C’est la question posée par une étude publiée dans le JAMA Internal Medicine par le Dr Vishal R. Patel, du Brigham and Women’s Hospital (Boston), le Dr Adewole S. Adamson, de la Dell Medical School (Austin) et le Dr H. Gilbert Welch, de la Harvard Medical School (également à Boston). Leur analyse, qui porte sur trente années de données américaines, conclut que la flambée apparente des cancers avant 50 ans relève moins d’un phénomène biologique que d’un effet de loupe: «Une grande part de cette augmentation reflète un excès de détection, non une explosion de la maladie», affirment les trois chercheurs.Depuis quelques années, la littérature médicale et les médias évoquent une «épidémie» de cancers précoces aux États-Unis et dans le monde, notamment colorectaux et mammaires. Ces inquiétudes ont déjà conduit des sociétés savantes américaines à abaisser l’âge recommandé pour plusieurs dépistages: 45 ans pour le cancer du côlon, 40 ans pour celui du sein. Mais selon le Dr Patel et ses collègues, cette lecture est trompeuse.«Si la véritable fréquence des cancers augmente, la mortalité devrait suivre. Or ce n’est pas le cas», écrivent-ils.À consulter: Cancer colorectal Canada recommande d’abaisser l'âge du dépistage à 45 ansLes chercheurs ont analysé les bases SEER (Surveillance, Epidemiology, and End Results) et National Vital Statistics System entre 1992 et 2022, ciblant huit cancers dont l’incidence croît de plus de 1% par an chez les moins de 50 ans: thyroïde, anus, rein, intestin grêle, côlon, endomètre, pancréas et myélome multiple. Ils ont comparé les tendances d’incidence et de mortalité pour estimer la réalité biologique du phénomène.Des diagnostics qui explosent, mais des décès inchangésRésultat: l’incidence agrégée de ces cancers a doublé (+ 104%) en 30 ans, alors que la mortalité est demeurée stable à 5,9 décès pour 100 000 habitants (RR 1,01; IC à 95% 0,98–1,04). Pour la majorité des localisations, la hausse des diagnostics ne s’accompagne pas d’une hausse des décès.Ainsi, pour le cancer de la thyroïde, l’incidence a presque triplé (RR 2, ; IC à 95% 2,4–3,5), alors que la mortalité reste inchangée (RR 1,0; IC à 95% 0,9–1,1). Le cancer du rein montre une tendance analogue, avec une augmentation d’incidence de 80% (RR 1,8; IC à 95% 1,3–2,5) mais une mortalité cette fois-ci en baisse (RR 0,85; IC à 95% 0,78–0,92), reflet d’un dépistage fortuit accru par l’imagerie abdominale.Le cancer du sein chez les moins de 50 ans affiche quant à lui une incidence en légère hausse (+ 0,6 % par an; RR 1,12; IC à 95% 1,05–1,20), mais une mortalité divisée par deux (HR 0,50; IC à 95% 0,45–0,55), portée par les progrès thérapeutiques et l’amélioration du diagnostic.Seuls deux sites, le côlon et l’endomètre, présentent une corrélation entre incidence et mortalité: le côlon (RR 1,3; IC à 95% 1,1–1,5) et l’endomètre (RR 1,5; IC à 95% 1,2–1,8), avec des hausses de décès respectives d’environ 0,5% et 2% par année. Ces exceptions confirment, selon les auteurs, que «l’essentiel de la hausse globale tient à des tumeurs indolentes découvertes plus tôt».À lire aussi: Quels sont les types de cancers «en augmentation» chez les moins de 50 ans?Le poids du diagnostic précoce à tout prixDans leur discussion, le Dr Patel et ses collègues soulignent les effets collatéraux d’un dépistage trop sensible: anxiété, traitements inutiles, séquelles physiques et coûts sociaux. «Les cliniciens et les patients confondent souvent détection et prévention. Détecter plus tôt ne signifie pas toujours prévenir la mort», écrivent-ils.En entrevue pour le site web Medical Xpress, le Dr Patel précise: «Nous ne remettons pas en cause la valeur du dépistage, mais la tentation d’étendre sa portée à tout prix. L’objectif est de cibler les populations et les tumeurs où l’intervention change vraiment le pronostic.» De son côté, le Dr Welch ajoute dans MedPage Today qu’«une fois qu’une lésion est étiquetée “cancer”, il devient presque impossible de ne pas la traiter – même si elle n’aurait jamais nui au patient.»Le surdiagnostic, un phénomène générationnelDans son éditorial accompagnant l’étude, la Dre Ilana B. Richman (Yale School of Medicine) prévient que «le surdiagnostic n’est pas seulement associé au vieillissement; il touche désormais les jeunes adultes, exposés à des dépistages et à une imagerie omniprésents». Elle rappelle que «le surdiagnostic est une maladie que la médecine crée: nous détectons des cancers qui ne se seraient jamais manifestés».L’interniste invite les cliniciens et les décideurs à évaluer les politiques de santé selon la mortalité, non selon l’incidence. «Notre objectif n’est pas de découvrir davantage de cancers, mais de réduire les décès et la morbidité associés à ceux qui comptent vraiment», insiste-t-elle.Pour aller plus loin: Le problème du dépistage…Entre science, perception et politiqueL’étude de Patel, Adamson et Welch interroge à nouveau la frontière entre prévention éclairée et excès de zèle. L’accès élargi aux tests, la médiatisation des «cancers jeunes» et la sensibilité accrue des outils diagnostiques créent un paradoxe: plus on cherche, plus on trouve – et plus il devient difficile de distinguer le signal du bruit.En conséquence, les auteurs plaident pour: • des seuils diagnostiques révisés et mieux stratifiés; • une recherche accrue sur la trajectoire naturelle des tumeurs précoces; • une communication honnête avec les patients sur les bénéfices et les risques du dépistage.Ces constats trouvent un écho au Québec, où le débat sur le dépistage du cancer du sein reste vif. Alors que l’INESSS recommande d’étendre le Programme québécois aux femmes de 45 à 49 ans, la Société canadienne du cancer plaide pour 40 ans, tandis que d’autres, comme le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs rappellent le risque de surdiagnostic et de surtraitement.L’étude du JAMA Internal Medicine rappelle que la valeur d’un dépistage ne se mesure pas au nombre de cancers détectés, mais au nombre de vies sauvées. «Derrière l’épidémie de cancers précoces se cache peut-être une épidémie de diagnostics», conclut le Dr Patel. Une nuance essentielle, qui pourrait inspirer une réflexion plus neutre et plus ciblée sur le dépistage.RéférencesPatel VR, Adamson AS, Welch HG. The Rise in Early-Onset Cancer in the US Population—More Apparent Than Real. JAMA Intern Med. Published online September 29, 2025. doi:10.1001/jamainternmed.2025.4917Richman IB, Gross CP. Overdiagnosis of Cancer—Not Only Associated With Aging. JAMA Intern Med. Published online September 29, 2025. doi:10.1001/jamainternmed.2025.4925

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