Une pharmacienne propriétaire n'aurait pas dû consulter le DSQ de son ATP souffrante

Dans une récente décision1, le Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) a condamné la pharmacienne Alaria Chamoun, propriétaire de deux pharmacies à Montréal et Laval, à un mois de suspension pour avoir accédé au dossier santé Québec (DSQ) de son employée et d’avoir consulté sans droit les renseignements de santé confidentiels contenus dans ce même dossier. Entre septembre 2023 et février 2024, Alaria Chamoun emploie cette ATP dans son établissement de Montréal. Cette dernière est «immigrante et pharmacienne dans son pays d’origine et désire obtenir éventuellement la reconnaissance de son titre au Québec», précise la plainte. Le 19 février 2024, l’ATP en question semble se sentir mal. L’une de ses collègues observe qu’elle «se rend fréquemment à la toilette, s’assoit accoudée au comptoir en se tenant la tête, semblant s’endormir.» Après avoir tenté de savoir ce qui n’allait pas auprès de l’ATP, sans succès, sa collègue en informe alors la pharmacienne propriétaire, Mme Alaria Chamoun. Celle-ci demande à son employée si elle souhaite quitter la pharmacie à cause de son état, mais l’ATP lui répond par la négative. À lire aussi: Le pharmacien Michael Assaraf débouté par la Cour supérieure du QuébecPour en savoir plus sur l’état de santé de son employée, la pharmacienne propriétaire décide alors de consulter les onglets Laboratoire, Imagerie médicale et Médicaments de son DSQ, «afin de voir si elle est affligée d’une maladie qui pourrait être contagieuse, et ce, sans le consentement de cette dernière», précise la décision.Cet acte constitue, selon le Conseil de discipline, «un manquement grave et en lien avec la profession, puisqu’il concerne la confidentialité des informations de santé apparaissant au DSQ d’une personne». En effet, non seulement l’ATP n’a pas clairement et librement consenti à ce que son employeur consulte son DSQ, mais la pharmacienne propriétaire n’était pas dans la situation où elle offrait des services pharmaceutiques à sa salariée, ce qui aurait pu être considéré comme une exception à la règle. Une semaine plus tard, soit le 26 février 2024, la pharmacienne propriétaire congédie son ATP. Cette dernière dépose une demande d’enquête auprès du Bureau du syndic deux mois après, en avril 2024.Absences répétées, «traces de prise de sang» et TylenolMD en continuDans sa demande d’enquête transmise par écrit au Bureau du syndic, l’ATP indique que la pharmacienne propriétaire a «violé [son] intégrité» en consultant illégalement son DSQ. De son côté, la pharmacienne propriétaire argue avoir craint que son employée «occasionne une contamination des autres membres du personnel et des clients», et qu’elle pense que cette dernière «a des choses à cacher».Dans une lettre, elle détaille sa version des faits.«Ce jour-là, [l’ATP] s’est présentée au travail très fatiguée et elle avait un comportement étrange. Elle semblait épuisée et avait pris encore une fois plusieurs comprimés d’acétaminophène. Elle est également allée aux toilettes à plusieurs reprises pour vomir et nous pouvions entendre le bruit de l’extérieur. Au cours de la journée en revenant des toilettes, elle était épuisée et s’est assise sur la marche d’escalier qui monte au laboratoire.» L’ATP refusant de rentrer chez elle, sa pharmacienne propriétaire décide de la déplacer sur le poste arrière de préparation des dispills où elle pouvait travailler assise.C’est alors qu’une autre technicienne, installée au poste voisin, fait part de ses inquiétudes à la pharmacienne propriétaire concernant l’état de santé de sa collègue, craignant elle aussi de tomber malade. «Je suis donc allée voir [l’ATP] et je lui ai demandé si elle avait quelque chose à me dire. Elle m’a répondu non et a commencé à avoir un comportement nerveux.»Ne manquez pas: Fraude au DSQ par un étudiant: une autre pharmacienne dans la tourmenteSelon elle, l’employée s’était déjà absentée à plusieurs reprises pour des raisons de santé et des rendez-vous médicaux les semaines précédant les faits. «Elle revenait parfois à la pharmacie avec des traces de prise de sang et se plaignait de plusieurs symptômes. Elle prenait également continuellement du TylenolMD», affirme Alaria Chamoun dans sa lettre. La pharmacienne propriétaire ajoute que son employée aurait elle-même ouvert un dossier-patient à son nom dans le logiciel de la pharmacie «afin de pouvoir s’exercer à son utilisation, vu qu’elle est moins familière avec ce logiciel.» Ce que l’ATP dément.Dans ce contexte et au vu de son état, «j’ai commencé à m’inquiéter réellement pour ma santé et celle de mon équipe devant son comportement cachotier», se défend Alaria Chamoun. «Je craignais sincèrement la transmission d’une maladie contagieuse au sein du laboratoire et la situation me stressait beaucoup.» C’est pourquoi elle aurait consulté le DSQ de son employée, «seulement quelques secondes» selon ses dires. «C’est la seule et unique fois que j’ai consulté son dossier et je n’ai jamais consulté aucun autre dossier sans avoir un motif pharmacologique pour ce faire ou avec l’autorisation préalable de la personne concernée», conclut la pharmacienne propriétaire.Une toute autre condition médicaleSauf que… En lieu et place d’une maladie contagieuse, l’ATP était en réalité enceinte. Cette grossesse, la pharmacienne propriétaire ne l’apprendra que par un appel de la CNESST, saisie par l’employée. Cette dernière explique ses demandes d’ajustement horaires et ses absences des semaines précédentes par des examens médicaux liés à sa grossesse, et explique au syndic qu’elle n’était «pas prête à divulguer cette information» à son employeur.Si le Conseil reconnaît que l’état de l’ATP et l’absence d’informations aient pu inquiéter l’équipe de la pharmacie pour leur propre santé, «surtout dans un contexte postpandémique», cela ne justifie toutefois pas le fait que la pharmacienne propriétaire ait choisi de consulter le DSQ de son employée sans lui demander son autorisation au lieu de lui faire part de ses craintes d’une maladie contagieuse.«En agissant de la sorte, [la pharmacienne propriétaire] s’arroge des droits en tant qu’employeur, des droits que tout autre employeur qui n’a pas accès au DSQ ne possède pas», écrit le Conseil dans sa décision. Son employée n’a par ailleurs «pas à lui divulguer qu’elle est enceinte; il s’agit d’une information hautement personnelle qu’elle n’est alors pas encore prête à divulguer.»Après avoir plaidé coupable, Alaria Chamoun a reconnu «avoir manqué de jugement, avoir agi de manière irréfléchie, sur un coup de tête» et s’est engagée à ne plus consulter le DSQ sans le consentement de la personne concernée à l’avenir. En outre, la pharmacienne propriétaire, qui pratique depuis 16 ans, a révisé la procédure d’accès au DSQ dans ses deux pharmaciens et a pris l’initiative de compléter trois formations sur la confidentialité de la pharmacie, les données personnelles des patients et la protection des renseignements personnels.Alors que le syndic réclamait une radiation de trois mois, la pharmacienne propriétaire a plaidé en faveur d’une simple amende de 3500$, arguant qu’une radiation l’obligerait à «se départir de ses deux pharmacies» et aurait «une incidence sur son travail en matière de suivi de vaccination, ajustement de prescriptions et de sevrage auprès d’une centaine de patients». Le Conseil de discipline a finalement statué sur une suspension d’un mois, qui n’obligera pas la pharmacienne propriétaire à se départir de ses deux pharmacies, contrairement à une radiation temporaire jugée trop «punitive» dans ce cas. «Une suspension d’exercice aura pour effet de l’obliger à trouver des pharmaciens remplaçants pour assurer le fonctionnement de ses pharmacies. Cela aura l’effet dissuasif recherché», conclut le Conseil.Référence: Pharmaciens (Ordre professionnel des) c. Chamoun, 2025 QCCDPHA 20 (CanLII), , consulté le 2025-08-22

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